Et si le qatarisme était une bénédiction ?

par Abdelouadoud El Omrani
samedi 11 mai 2013

En réponse à l'article de Salah Horchani : Le qatarisme, ce fléau qui nous menace ! Aujourd’hui, la Tunisie, et demain, qui sait, la France !

 
Prélude : Je ne connais pas Salah Horchani. En faisant son auto-promotion, il a publié sur ma page FB (Abou-Hakim El Omrani) un lien vers son article. Je lui ai répondu : "qu'est-ce que c'est que ce torchon que tu as publié ? Tu appelles ça un article ? Ma foi c'est à mon avis le pur produit de la médiocrité que nous avons subie durant deux décennies sous le règne de Zaba (Ben Ali). Il suffit que tu répondes à cette question : est-ce que tu peux présenter ce torchon à un jury universitaire et le défendre avec des preuves réelles et sans idéologie francophile ? Khatar en arabe est proche phonétiquement de Qatar !! Jamais lu des conneries pareilles.."
Il m'a répondu : "Abou-Hakim El Omrani habite à Doha, je comprends sa réaction".
On appelle cela à Doha comme à Tunis : un coup bas ! J'ai donc décidé de lui répondre.
 
Au sujet du sommaire : un rapide coup d'oeil sur les têtes de paragraphes (numérotés de 0 à 5 avec un avertissement et des notes et références) donne l'impression d'être face à un article structuré avec des analyses logiques et une argumentation. Nous savons toutefois que tout analyste laisse un espace au doute, au questionnement, à la remise en question et à l'opinion contraire ! Mais à lire les titres de paragraphes, puis les contenus, on est frappé par le ton sûr ex-cathedra qui rappelle aisèment le discours idéologique (qu'il soit trotskyste ou fondamentaliste islamiste, tiens ! Wahhabite justement). Alors tout comme le sommaire ne fait pas la substance de l'argumentation, et que l'habit ne fait pas le moine, ce n'est pas parce qu'on porte un trois-pièces qu'il est garanti qu'on a les chaussettes propres ! Excusez ce qui semble du sarcasme, c'est juste une réponse à la hauteur de celui qui appelle un Président de la République arrivé démocratiquement au pouvoir : Tartour. Sobriquet extrêmelent péjoratif et insultant qui désigne une personne sans valeur, "un pov' mec" en langage familier. Pire encore lorsque la personne méprisée est un champion des droits de l'homme dans le monde arabe. Le New York Times a été plys clairvoyant, il a donné son (co) éditorial une fois à Marzouki, du jamaus vu de mémoire de présudent arabe. Amanpour sur CNN l'a interviewé aussi. Ce n'est pas tous les jours que cela arrive. 
 
Au sujet de cet "Avertissement : Les libertés d'opinion, d'expression et de la presse sont menacées en Tunisie"
L'auteur nous propose un vrai "procès d'intention" en citant la très controversée Néjiba Hamrouni, Présidente du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) qui est loin d'être ce dont rêvent les démocrates tunisiens ni la nouvelle génération, ayant été une brave employée de l'ancien régime et qui a su après la Révolution lobbyer adroitement pour garder dans le paysage médiatique tunisien toute la "vieille garde au complet" à l'exception de deux indéfendables : Borhène Besaies (ténor médiatique de Ben Ali) et Oussama Romdhani (chef d'orchestre de l'Agence Tunisienne de Communication Extérieure, le puissant outil de propagande internationale de Ben Ali). Au lieu de défendre la liberté de la presse, la SNJT s'est mise à défendre tous ces journalistes qui durant deux décennies ont empoisonné le paysage médiatique avec leurs courbettes à Ben Ali. C'est cette vieille garde qui régit aujourd'hui le paysage médiatique tunisien, le soumettant de la manière la plus impudique au service de Caid Essebsi et son parti Nida Tounes, copie fade de l'ancien régime.
Je préfère de mon côté citer des références un petit peu plus sérieuses. Dans son rapport sur la liberté de la presse, Freedom House publie dans son Rapport sur la Liberté de la Presse 2013 dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord ce qui suit : "Alors que deux des pays du Printemps Arabe, la Libye et la Tunisie ont largement sauvegardé leurs acquis importants de l'année passée" (trad. de l'original anglais : While two of the Arab Spring countries, Libya and Tunisia, largely retained their significant gains from the previous year). Ce rapport a été publié le 1er Mai 2013 alors que la marche de protestation citée dans l'article aura lieu deux jours plus tard, le 3 Mai 2013 parce que le moindre fait et geste de la Troika au pouvoir est régulièrement et farouchement (idéologiquement) combattu par la clique de Nida Tounes et d'une gauche caviar qui n'ont pas encore digéré leur défaite électorale (on les appelle en Tunisie les zéro virgule, en référence au pourcentage des voix qu'ils ont raflé).
Avec toutes les réserves que je puisse postuler sur Freedom House, elle est sûrement beaucoup plus crédible ques les coups de gueule de Salah Horchani.
Nous pouvons même laisser tomber tout ce beau monde et lire ce commentaire sur l'article de Salah Horchani publié par Henri Diacono alias Henri François le 4 mai 04:51 en bas de page : 
"Loin de moi Horchani, de mettre un bémol à vos alertes concernant « les dangers que courent actuellement les journalistes tunisiens » dont une grande partie, notamment dans la Presse écrite et quelques sites crées sur le web, d’expression française, sont d’une excellente qualité. Mais en tant qu’ancien professionnel sculpté à la rigueur de l’Agence France Presse, force est d’admettre que quelquefois, j’insiste sur ce mot, la liberté d’expression retrouvée dans ce petit pays a donné lieu à une multitude de supports, écrits comme « parlés » au sein desquels le professionnalisme fait cruellement défaut. " fin de citation
Une clairvoyance qui fait cruellement défaut à Salah Horchani...
 
Au sujet du paragraphe 0 intitulé : comme son nom l'indique !
Il est difficile d'imaginer ou d'inventer une entrée en matière aussi ratée, sournoise et de mauvaise foi.
L'auteur se prévaut de sa connaissance de l'arabe pour "fourguer" aux lecteurs francophones un produit de très mauvaise qualité. Salah Horchani nous informe magistralement, le ridicule ne tue point, que "Le mot " خطر" signifie en arabe " DANGER" et s’écrit phonétiquement "KHAṬAR" , terme très proche, phonétiquement, du terme " QATAR" " (sic). Horchani utilise même la majuscule pour mettre en relief sa trouvaille (scientifiquement abherrante).
C'est exactement comme si je disais en arabe à des lecteurs arabes qu'en français le terme "bon" est phonétiquement très proche du terme "con", que le terme "France" est phonétiquement très proche du terme "transe", que "Japon" est très proche de "Lapon". 
Je leur évite les majuscules, il n'y en a pas en arabe, Dieu merci !
Un graphiste ou un épigraphiste vous dirait peut-être que le seul effet est visuel, puisque les mots : DANGER, KHATAR et QATAR sautent à l'oeil et créent peut-être une impression de parenté que Salah Horchani cherche à faire passer à tout prix. Ne parlons ni de démagogie, ni de manipulation, nous avons à faire avec un universitaire bourguigon et tunisien ! Et ce n'est que l'entrée en matière.
 
Au sujet du paragraphe 1 intitulé "Le Qatarisme"
Je ne suis pas en désaccord avec ce néologisme, même s'il renvoie au Catharisme des gnostiques et que les lexicologues les classeraient dans les homophones et antonymes. Le problème avec Qatarisme est la signification qu'on lui donne. La question est de savoir combien de personnes pensent que le Qatarisme loin d'être un fléau, est bien une manne avec des pétro et des gazodollars utilisés pour la première fois de l'histoire peut-être au service des Arabes et non dépensés dans les boites chic de Paris et New-York comme nous voyons depuis des décennies, Al-Jazeera, des investissements bien placés et diversifiés, un PSG en passant, une Vision 2030 qui tend vers la société du savoir et plus... Et même une cerise sur le gâteau : la première coupe du monde dans le monde arabo-musulman, du jamais vu jusque-là. 
Le citoyen lambda a bien le droit d'avoir son point de vue, n'est-ce pas Salah Horchani ?
Il y a une différence entre une critique étayée et une hargne écumant la haine contre tout ce qui est moyen-oriental.
 
Au sujet du par. 2 intitulé : Aperçu non exhaustif du qatarisme en France et en Tunisie
Loin d'être exhaustif en effet. J'appelle plutôt expéditif ce pamphlet incroyable qui inculpe le Qatar d'avoir -tenez-vous bien- d'avoir des recettes de gaz et de pétrole et d'être devenu le premier investisseur du monde. 
Dans l'économie politique de Salah Horchani, il faut garder les gazodollars dans les banques et il faut surtout éviter d'investir tous azimuts. Je ne pense pas que le gouvernement britannique, français ou grec partagent cette vision... A suivre la thèse de Salah Horchani, tous ces commis de l'Etat qui débarquent quotidiennement pour faire les yeux doux au fonds souverain qatari doivent être complètement fous ! 
Personnellement, je trouve que le PSG vient de passer une superbe saison !
Une lecture complètement "à côté de la plaque" fait dire à notre universitaire franco-tunisien que le Qatar travaille à ramener les pays qu'il soumet à l'âge de pierre (ça me rappelle les propos haineux de Rumsfield au sujet de l'Iraq) et à instaurer un Califat wahhabite. 
On est en pleine fantascience. 
Il existe au Qatar trois tendances : les Wahhabites, les Frères Musulmans, et les modernistes. Les premiers représentent le "troisième-âge" dirait-on, les seconds ont trouvé refuge au Qatar (pays d'asile dans le monde arabe) lorsqu'ils étaient persécutés et ont su s'organiser convenablement en s'infiltrant notamment à Al-Jazeera où ils sont relativement puissants avec Qaradhaoui. Les troisièmes sont représentés (voici un tuyau vital :) par l'Emir du Qatar, son épouse Cheikha Mozah et son fils le Prince Héritier Cheikh Tamim et par la nouvelle génération des Al Thani. Rappelons à notre universitaire hâtif qu'il y avait un autre prince héritier avant Tamim, la bonne lecture consiste à comprendre le nouveau choix apportant le moderniste Tamim au pouvoir. Cheikha Mozah est une femme exceptionnelle qui châpeaute le "meilleur campus universitaire du monde arabe" Qatar Foundation, moderne, ouverte et extrêmement courageuse, elle est le fer de lance du courant moderniste du Qatar, et les femmes démocrates gagneraient à la sountenir et l'encourager dans sa lutte. Elle ne porte pas de Burqa et son voile est très léger. Où est le Wahhabisme si ce n'est dans la tête de l'auteur ?!
Le reste, c'est du business et des investissements qui s'adaptent au marché ; les Qataris n'ont jamais prétendu être communistes...
Quand Salah Horchani parle de la prouesse des Qataris d'acheter 150 hôtels en Tunisie, il laisse de nouveau l'analse pour plonger dans la science fiction. Nous avons en Tunisie un parc d'hôtels (pas tous) financés par les banques mafieuses tunisiennes contre pots-de-vin et complètement croulants aujourd'hui parce que jamais entretenus. Leurs promoteurs se contentaient d'encaisser les entrées sans se préoccuper nullement de la maintenance. Ajoutez à cela une politique commerciale du tourisme qui a consisté durant les années Ben Ali à aller chercher le plus bas de gamme et vous aurez une course de la part des hôteliers pour couvrir leurs frais aux dépens du service, et ainsi de suite dans un cercle vicieux infernal de bradage des prix et de services lamentables... Ce sont ces hôteliers qui mettent leurs hôtels en vente, et les Qataris ne sont pas fous pour les acheter. Une rapide étude de l'offre et les investisseurs qataris ont fui. 
Encore une information erronée qui gonfle cette propagande anti-qatarie de Salah Horchani.
Juste deux mots au sujet du décimage des gazelles dorcas et autres quadripèdes et volatiles dont les outardes Houbaras. Salah Horchani ne rentre pas dans les détails lorsque l'information disponible n'étaye pas ses thèses, moi j'appelle cela de la démagogie. Il est vrai que certains Cheikhs ont porté atteinte à notre faune, mais le champion incontesté de ce carnage était feu l'ancien ministre de l'intérieur saoudien Nayef Ben Soltane, le meilleur ami de l'ancien Président Ben Ali. Pourquoi les pseudo-défenseurs de la faune n'ont pas ouvert la bouche alors ? Les photos publiées par Salah Horchani comme des dizaines d'autres sur les réseaux sociaux figurent des massacres en Arabie et non en Tunisie.
 
Enfin, l'auteur replonge dans les procès d'intention lorsqu'il écrit, je cite : "en attendant de lui céder nos sites archéologiques, historiques et touristiques de Carthage, de Kairouan et d’ailleurs, pourquoi pas !, à la manière du scénario qui s’est opéré en Egypte ." Mais toutes les chaines arabes ont déclaré que le scénario égyptien était une intox pure et dure, complètement inexistante !!!
 
Au sujet du par. 3 intitulé : Le qatarisme, ce wahhabisme conquérant et rampant
Je passe outre les diatribes au sujet des chaines francophones sensées diffusées le wahhabisme. Encore une fois, un pêle-mèle qui donne l'impression des fois d'un bourrage de paragraphe pour l'allonger vainement. Le petit clin d'oeil pour Tariq Ramadhan est certainement une petite précaution envers l'universitaire suisse parce que ce dernier est connu pour son adresse à clouer le bec aux défenseurs des théories phantasmagoriques.
Pour le wahhabisme, lire mon explication au paragraphe précédent.
 
Au sujet du par. 4 intitulé : Qatarophilie du Président Tunisien et qatarophobie de son Peuple
J'ignore le crédit académique de Salah Horchani, mais à lire son article, je n'enverrai pas mes enfants à la fac où il enseigne. Cette légèreté dans l'analyse, cette vanité du m'as-tu-vu, et ce mépris envers des nations entières n'ont rien à voir avec l'académie, l'université ou la rigueur journalistique...
Par contre, j'enverrai les yeux clos mes enfants étudier dans une fac où enseigne Moncef Marzouki.
Comme cette réponse commence à se faire longue, je vais expliquer à l'irrespectueux Salah Horchani ce qu'il n'est pas arrivé à percevoir, aveuglé par son idéologie, ou présentant patte blanche à une certaine France. Je vais même faire mieux, je vais laisser quelqu'un d'autre perler à ma place. Dans une émission sur Al-Jazira, Azmi Bechara, l'intellectuel palestinien chrétien et ancien député au Knesset israélien, réfugié actuellement au Qatar, et écrivain de temps en temps au Mobde Diplomatique (Salah Horchani peut toujours essayer) a dit en substance : le génie de Moncef Marzouki a été de créer la Troika, regroupant les islamistes de Nahdha avec les laïcs et les séculaires du Takattol et du CPR ; Marzouki s'est sacrifié politiquement mais a fait le choix patriotique : éviter à la Tunisie la scission nette de la société en Islamistes contre laïcs, ce qui aurait incontestablement amené le pays (trop d'armes en Lybie et bon marché) vers une guerre civile sanglante. C'est ce qu'ont essayé de créer malgré la Troika les renseignemenrs de certains pays occidentaux. Le souvenir du Sarkozien Boris Boillon en Tunisie n'est oas des meilleurs dans l'histoire diplomatique tuniso-française !
 
Enfin, je suis aussi universitaire, aussi citoyen et aussi prétendant démocrate que toi Salah Horchani. Il y a toutefois une différence fondamentale entre nous : je respecte l'être humain, qu'il porte un chapeau melon, un bérêt basque ou un turban comme les Cheikhs du Golfe, je les respecte. Je ne débite pas de sournoiseries ou de mensonges parce que je m'exprime dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Les Américains appellent cela "self-esteem", en arabe nous disons "احترام الذات" ou le respect de soi.
Alors Salah Horchani, avant de demander aux Tunisiens de se réveiller, tu gagnerais beaucoup à te concentrer sur la défense des seuls intérêts tunisiens !
 

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