Etats-Unis : le néolibéralisme tue

par Laurent Herblay
lundi 9 novembre 2015

Les chiffres de l’étude réalisée par le lauréat du prix Nobel d’économie* 2015 font froid dans le dos. Loin de l’idée d’un progrès permanent, l’évolution de la mortalité aux Etats-Unis démontre non seulement une inégalité révoltante, mais aussi qu’il est possible de faire marche arrière.

 
De la pauvreté… à la mort
 
Il faut lire le compte-rendu de cette étude, qui rapporte la hausse de 22% de la mortalité de la population blanche étasunienne qui n’a pas dépassé l’équivalent du lycée, âgé de 45 à 54 ans, de 1999 à 2013. Les raisons de cette évolution sont « une augmentation des suicides et des pathologies liées à la drogue et à l’alcool  ». Les auteurs notent que « ce changement va à l’encontre de décennies de progrès en termes de mortalité et est propre aux Etats-Unis : aucun autre pays riche n’a connu un retournement similaire  ». En revanche, « le taux de mortalité des blancs non hispaniques âgés de 65 à 74 ans, lui, a continué à baisser de 2% ». En outre, un tiers des 45-54 ans déclare souffrir de douleurs chroniques et près de 15% d’une sciatique, qui se retrouve dans l’explosion du nombre d’invalides.
 
Les auteurs notent : « les revenus des ménages où le chef de famille n’a pas poursuivi d’études au-delà du lycée a baissé de 19% en 1999 et 2013 (…) il est possible d’établir un lien avec l’insécurité économique  ». Ils incriminent également « l’angoisse grandissante par rapport au niveau de retraite que cette population peut espérer toucher dans quelques années  », du fait des retraites par capitalisation, dont on se souvient qu’elles avaient poussé des retraités désargentés sur le marché du travail en 2009, du fait de la baisse de leurs revenus… On peut également faire le lien avec un papier récent de The Economist, qui décrivait la forte hausse de la consommation d’héroïne aux Etats-Unis ou les effarants débats sur la légalisation du cannabis dont on connaît pourtant bien tous les dangers.
 
Du capitalisme actionnarial et des inégalités
 
Difficile de ne pas voir la responsabilité de ce capitalisme actionnarial qui pressure toujours davantage les classes populaires, poussant les salaires à la baisse tout en demandant toujours plus d’efficacité sous la menace de délocaliser les emplois dans des pays à bas coûts, quand les salaires des classes dirigeantes se sont, au contraire, envolés. Cette quête folle de la compétitivité, sans doute poussée plus loin qu’ailleurs aux Etats-Unis ne créé pas seulement des inégalités indécentes. Elle semble avoir directement un effet sur la santé de la population, et provoquer une augmentation de la mortalité des classes populaires, broyées par l’insécurité, la pression et les difficultés que notre vie moderne crée. Comment ne pas y voir une raison de l’augmentation des suicides et de la consommation de drogues ?
 
Ce faisant, notre époque moderne, même si elle produit aussi de belles choses, permettant par exemple de soigner des maladies jadis fatales, semble devoir pousser l’humanité à s’auto-torturer au nom d’une vision du progrès totalement inhumaine, demandant sans cesse davantage aux hommes (comme à la planète), sans finalement se demander si cette exigence toujours accrue et qui ne semble pas avoir de limite, n’est pas porteuse d’un malaise tellement violent qu’il peut, comme le montre ce cas, provoquer des morts ? La difficulté est que personne ou presque ne semble se rendre compte de la violence, à peine feutrée de cette époque, dont on peut sans doute voir un symptôme dans l’augmentation des crimes, des délits ou encore des violences à l’école, avec la triste montée du harcèlement.
 
Ce qui camoufle sans doute cette évolution, c’est le caractère finalement assez lent de cette dégradation. Merci au nouveau prix Nobel d’économie* de jeter une lumière aussi crue sur les ravages d’une logique économique qui produit tant de malheurs. Une étape nécessaire pour changer.
 
 
* Prix de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, selon les mêmes règles que le prix Nobel, qui ne comportait pas, à l’origine, de récompense pour les sciences économiques 

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