Faut-il vraiment accorder l’indépendance au Kosovo ?

par Georges Yang
lundi 11 juin 2007

Depuis quelques semaines, le Kosovo refait surface. L’intervention de Matti Ahtisaari et le dernier sommet du G8 ont remis la province serbe au coeur de l’actualité. L’indépendance du Kosovo semble la solution la plus simple, il n’en est rien. On devrait se souvenir de cette phrase de Montesquieu : « A chaque question complexe, il existe une réponse simple, et ce n’est pas la bonne ! »

La réunification de l’Allemagne en 1990 avait été saluée par tous comme un succès, une injustice enfin réparée et la fin d’un anachronisme dû à l’Histoire. De nos jours, la presse et certains diplomates et intellectuels veulent nous faire comprendre que le Kosovo doit inéluctablement se séparer de la Serbie et qu’il va évoluer vers l’indépendance. La situation géopolitique et historique est pourtant bien différente. D’abord, il ne s’agit pas de rattacher le Kosovo à l’Albanie, mais de créer une entité indépendante albanophone peuplée à près de 90% de Kosovars. Les Allemands avaient été séparés contre leur gré par une frontière imposée à la fin de la Seconde Guerre mondiale et avaient ressenti la partition comme une mutilation.

Les Albanais et les Kosovars, par contre, sont deux peuples albanophones n’ayant pas de désir unanime de réunification, même s’il existe des groupes de militants y songeant, le plus souvent instrumentalisés par des fondamentalistes. La Grande Albanie n’a guère existé que du temps de Mussolini, durant la brève occupation du pays de 1941 à 1944. La proximité de culture et de langue aurait pu pousser à une réunification, lors du démantèlement de la Yougoslavie à partir de 1991, il n’en fut rien ! On est loin de l’élan slovène qui a abouti à l’indépendance sans quasiment un seul coup de feu ! La majorité des Kosovars n’a pas véritablement envie de se retrouver sous la tutelle de Tirana. Il existe bien des liens commerciaux, des liens mafieux et culturels, mais il ne semble pas que les partisans de la Grande Albanie soient majoritaires des deux côtés de la frontière.

Concernant le Kosovo, on pourrait, toute proportion gardée, faire le parallèle avec l’Alsace-Lorraine, et ce pour deux raisons majeures.

D’une part, les Alsaciens et les Lorrains (Mosellans) sont en majorité issus de populations d’origine germanique, il suffit d’ouvrir un annuaire téléphonique pour s’en convaincre à la lecture des patronymes. Cela ne veut dire pour le moins du monde qu’ils se considèrent pour autant comme allemands ou même qu’ils se soient considérés comme tels durant les dernières occupations depuis 1870. Les collaborateurs furent très minoritaires et, que je sache, il n’y a pas d’Alsaciens ou de Lorrains qui aient demandé la nationalité allemande à la République fédérale dans le cadre du droit du sang comme le firent les Allemands de la Volga ou des Sudètes. De nos jours, personne ne conteste l’appartenance de ces deux provinces à la France ; trois guerres furent nécessaires, sans parler des nombreux affrontements déclenchés par les rois et l’empereur durant les siècles précédents.

D’autre part, le Kosovo est le berceau du peuple et de la civilisation serbes ; on comprend donc que la Serbie et ses habitants soient irrédentistes et considèrent ce bout de sol comme étant terre serbe. Perdre cette terre serait perdre leur âme. Si l’on accepte le droit de Juifs sur la terre d’Israël, où il y a numériquement de plus en plus d’Arabes, on doit aussi considérer le droit des Serbes sur le Kosovo. Je parle ici démographiquement d’Israël dans ses frontières de 1948, sans même évoquer l’Etat palestinien. De 1871 à 1914, plusieurs générations d’écoliers français ont appris des chants patriotiques de Calais à Marseille en passant par Rennes et Paris. Ils ont chanté « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, oui notre cœur sera toujours français ! » alors que les habitants des trois départements occupés parlaient préférentiellement les patois locaux au français tant au village qu’à domicile. Ils ont d’ailleurs continué à le faire en milieu rural jusqu’au milieu des années 1960.

L’idéal, bien sûr, serait de refonder l’ancienne Yougoslavie et de lui donner une véritable constitution et des institutions démocratiques permettant la diversité religieuse, ethnique et linguistique dans le pays. Je pense, hélas, que cela n’est plus possible de nos jours. Cette hypothèse aurait pourtant permis d’éviter la crise latente qui risque d’éclater en Bosnie, si le Kosovo devient indépendant. La Bosnie est actuellement un pays artificiel qui peut exploser à nouveau à la moindre occasion. Un Kosovo restant dans la République serbe, mais jouissant d’autonomie économique, linguistique et administrative, serait beaucoup plus judicieux si l’on veut éviter de nouveaux conflits, même si ce n’est pas la solution miracle.

En dehors de l’ex-Yougoslavie, les minorités fourmillent de l’Atlantique à l’Oural. Basques, Catalans et Corses à l’Ouest arriveront probablement sous peu à une autonomie encore plus grande que celle dont ils jouissent à ce jour sans tomber dans la guerre civile ou le séparatisme. Par contre je doute que les minorités hongroises de Slovaquie ou de Roumanie arrivent à l’indépendance et encore moins au rattachement à la Hongrie (comme pour les Kosovars, il n’est d’ailleurs pas évident que ces minorités désirent leur rattachement à la Mère Patrie). Mais tant que les populations sont à l’intérieur de l’Union européenne, le risque d’éclatement, de pogrom ou de migration est moindre. Cela est beaucoup moins évident quand il s’agit de territoires de la Fédération de Russie, de la Chine ou de pays du Caucase. L’indépendance du Kosovo peut entraîner des réactions hostiles des Russes, des Chinois et des pays du Caucase et probablement des Baltes à cause de leurs russophones, bien que ces pays soient membres de L’Union européenne. Il faut craindre qu’un effet boule de neige soit la source de déstabilisation en Europe de l’Est.

Mais en dehors de considérations géostratégiques non débarrassées d’arrière-pensés nationalistes, il faut aussi compter avec la position des Serbes. Diabolisés depuis le début du conflit, ils ont servi et servent encore de boucs émissaires dans une guerre où personne n’a eu le beau rôle. Ils sont les méchants d’un film américain où le manichéisme n’a d’égal que le simplisme. On a vite oublié les premiers pogroms antiserbes des années 1980 à 1990 au Kosovo. Certains nationalistes croates ont repris la vieillie tradition oustachi d’Ante Pavelic qui consistait à arracher les yeux à la cuillère à café dès le début de la guerre en Krajina. On a trop vite oublié ces proxénètes albanophones, profitant du conflit pour obtenir le statut de réfugiés politiques en Europe occidentale et faisant fructifier leur coupable industrie de Paris à Berlin en passant par Milan et Zurich. Tudjman en Croatie, Izetbegovic en Bosnie ont aussi leur part de responsabilité dans la guerre et ne sont pas les saints qu’on a voulu nous monter, luttant contre Milosevic. Mais l’hystérie antiserbe alimentée par Bernard -Henri Lévy, ses pitoyables voyages col de chemise ouvert sur son torse étroit dans les rues de Sarajevo ainsi que son film Bosna, hymne à sa propre gloire, ont participé à la désinformation. On est habitué au personnage, il nous a réécrit le même scénario avec Daniel Pearl (ou comment rendre antipathique une véritable victime du fanatisme et de l’obscurantisme, uniquement en en parlant). L’apologie de soi n’a jamais été preuve de journalisme de qualité, voire de témoignage.

Le monde médiatique a trop diabolisé les Serbes, en faisant d’eux les uniques criminels de la guerre civile. Le tribunal international essaie de rétablir l’équilibre en traduisant quelques Bosniaques et Croates, mais a minima. D’ailleurs, Gluksman et Fienkelkraut partagent avec BHL cette vue tronquée du conflit et de l’Histoire, bien que défenseurs d’Israël. La télévision qui façonne l’opinion publique a besoin d’expliquer en termes simples et de ce fait ne peut se permettre les détails contradictoires, le Darfour en est la preuve criante.

Le même BHL, d’ailleurs, participe à la désinformation. Un conflit très complexe est présenté comme un massacre de bons Noirs par de mauvais Arabes, de plus fondamentalistes. Très peu de journalistes en expliquent la trame profonde. On se dirige vers le même type d’interprétation erronée et de désignation de coupables caricaturaux. Et cela, toujours sans nuance, à la manière des séries américaines en noir et blanc dans lesquelles on identifiait les bons des méchants à la couleur de leurs foulards. A ce niveau, on n’a pas beaucoup progressé depuis les années 50 !


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