Gaza : Le ballet diplomatique de l’impuissance est en marche !

par Pierre R. Chantelois
lundi 5 janvier 2009

Est-il possible d’aborder la situation extrême du Proche-Orient au-delà des clivages religieux et analyser sous l’angle géopolitique et géostratégique les événements qui s’y déroulent ? Ni la Bible, ni la Thora et ni le Coran ne peuvent rien à la présente conjoncture. Est-il possible de regarder sous l’angle humanitaire, des deux côtés de la frontière, le sort des populations aux prises avec des décisions politiques qui les touchent de près ? Avant que la lassitude ne gagne les populations du monde, n’est-il pas urgent de jeter un œil sur le ballet diplomatique qui s’est mis en branle depuis quelques jours, qui montre bien toute l’impuissance « des puissances » à ne parler que d’une seule voix et tenter d’en comprendre les mécanismes ?

Le premier ministre tchèque, Mirek Topolanek, dont le pays assure la présidence tournante de l’Union européenne, a résumé ainsi l’opération terrestre d’Israël à Gaza : « opération défensive ». Il n’en fallait pas plus pour que le porte-parole du gouvernement israélien, Avi Pazner, en arrive à la conclusion que son pays bénéficie d’une « grande compréhension internationale ». Karel Schwarzenberg, ministre tchèque des Affaires étrangères, a senti l’urgence de faire marche arrière et de nuancer le propos de son premier ministre : « Mais même le droit indéniable d’un État à se défendre lui-même n’autorise pas des actions qui affectent massivement les civils ». Plus tôt, le ministre Schwarzenberg avait dit que cette déclaration avait été « une grave erreur ».

Avant la réunion spéciale qui s’est tenue à huis-clos au Conseil de sécurité des Nations-Unies, Mahmoud Abbas avait averti Israël : « l’agression israélienne contre Gaza aurait de graves conséquences sur la région ». Après une rencontre de quatre heures, c’était l’impasse aux Nations Unies. Les membres du Conseil ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur une proposition libyenne : « une grave inquiétude face à l’escalade de la situation à Gaza, en particulier depuis le lancement de l’offensive terrestre israélienne ». L’ambassadeur adjoint américain, Alejandro Wolff, a expliqué le veto de son pays : « L’autodéfense d’Israël n’est pas négociable ».

La langue de bois de la diplomatie onusienne a prévalu. « Il y a également de fortes convergences entre les membres du conseil pour appeler toutes les parties à reprendre les négociations de paix », a commenté, à l’issue de la rencontre, l’ambassadeur de la France auprès de l’ONU, Jean-Maurice Ripert, qui préside le Conseil de sécurité pour janvier.

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, pieds et mains liés, n’a pu qu’exprimer sa « préoccupation extrême et déception » au Premier ministre israélien Ehud Olmert. L’impuissance de Ban Ki-moon est particulièrement indécente dans les circonstances. Que donnera cette nouvelle rencontre du président palestinien Mahmoud Abbas et les ministres des Affaires étrangères de certains pays arabes lundi au siège de l’ONU à New York ?

Le discours américain est immuable. « La véritable cause des violences actuelles, ce sont les tirs de roquettes par le Hamas contre Israël ». Washington ne déroge pas d’un iota de sa rhétorique : « Le Hamas est un groupe terroriste s’étant emparé du pouvoir légitimement détenu par l’Autorité palestinienne ». Sans l’appui des États-Unis, à quels résultats s’attend Nicolas Sarkozy qui entreprend une série de rencontres, lundi en Égypte, en Cisjordanie et en Israël, et mardi en Syrie et au Liban ? Qu’espère la Russie qui a, également, annoncé l’envoi d’une émissaire dans la région ?

Israël, fort de l’incohérence internationale et de la faiblesse des pays arabes à parler d’une seule voix, reste sourd aux appels au cessez-le-feu dans la bande de Gaza. Même l’appel de Louis Michel, commissaire européen en charge du Développement et de l’Aide humanitaire, n’a plus d’importance : « Empêcher l’accès à des gens qui souffrent et meurent est une violation du droit humanitaire. J’appelle les autorités israéliennes à respecter leurs obligations internationales et à assurer un espace humanitaire pour la délivrance de secours vitaux ». Qu’importe ce commentaire de Louis Michel : « Dans un territoire qui fait un peu plus de 1% de la superficie de la Belgique, un million et demi de personnes sont entassées et dépendent d’approvisionnements extérieurs pour survivre et leur situation devient chaque jour plus désespérée ». La logique de la guerre n’est pas une logique humanitaire.

Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des Affaires étrangères et ancien envoyé spécial de l’UE au Moyen-Orient, a exprimé samedi sa « solidarité et son soutien » au président palestinien Mahmoud Abbas qui est totalement discrédité et qui n’est maintenu en place que par la seule et bonne volonté des États-Unis. La voix arabe en prend un sérieux coup lorsqu’un diplomate égyptien de haut rang, qui requiert l’anonymat, déclare à l’AFP : « Israël ne va rien gagner à l’opération. Nous réclamons un cessez-le-feu immédiat, mais il est clair que la folie doit s’épuiser de part et d’autre ». De part et d’autre ?

De son côté, le Canada n’a pas évolué sur les causes de cette tragédie : « Nous insistons pour que les efforts diplomatiques internationaux s’intensifient afin d’en arriver à un cessez-le-feu viable et durable, à commencer par l’arrêt de toutes les attaques à la roquette contre Israël. Le Canada considère les attaques à la roquette comme étant la cause de cette crise ». Selon l’AFP, quelque 5.000 personnes ont manifesté dimanche à Montréal pour dénoncer l’offensive militaire israélienne à Gaza et réclamer un cessez-le-feu immédiat. En contrepartie, à Paris, des milliers de personnes se sont rassemblées pour soutenir les opérations israéliennes dans la bande de Gaza. Environ 25 roquettes ont été tirées dimanche sur l’État juif et une femme a été blessée dans la ville de Sderot.

Sur l’échiquier international, il apparaît clairement que la position arabe n’est plus prise en considération, tant la désunion et l’incohérence la rendent inapte à occuper une position dominante dans le règlement du conflit qui sévit à Gaza. Profitant de la transition qui crée un vacuum à Washington, l’Union européenne va tenter le tout pour le tout. Elle va s’improviser négociatrice et intermédiaire. Avec un faux départ comme celui de Mirek Topolanek, c’est « mal barré », diraient les ados.

Sarkozy de son côté, l’Union européenne de l’autre. La babélisation de la diplomatie à l’européenne. Cherchez l’erreur : sans avoir aucun plan en mains, la mission de l’UE part à la recherche de « pistes ». « Nous y allons pour discuter de la situation, il n’y a pas encore de message concret  », a déclaré à l’AFP, benoitement, la porte-parole du chef de la diplomatie tchèque, Zuzana Opletalova. La troïka européenne comprendra outre Karel Schwarzenberg, Carl Bildt, de la Suède, et Bernard Kouchner, de la France. Pour ajouter à la confusion, elle s’entretiendra, avant la visite de Nicolas Sarkozy, avec Hosni Moubarak, à Charm el-Cheikh.

Du côté égyptien, pour ajouter à la confusion, les porte-paroles du Caire tentent de prévenir le coup : la Syrie essaie de lui voler son rôle de médiateur. « Il est clair que la Syrie s’estime bien positionnée pour tirer profit de la situation. Elle cherche à nous évincer en suscitant d’autres médiateurs, mais n’y arrivera pas », commentait encore une fois un diplomate égyptien sous le couvert de l’anonymat.

Qu’en est-il de Gaza ? L’armée israélienne pénètre, d’heure en heure, plus profondément dans la bande de Gaza. Elle est maintenant aux portes de Gaza. Le territoire palestinien et Gaza seraient coupés en deux. Il semblerait qu’il y ait également des affrontements à Jabaliya et à Beit Lahya, dans le nord du territoire palestinien. Comme le rapporte le Jerusalem Post : « D’après des sources militaires, le but est de mettre fin à la circulation d’armes, de vivres et de combattants vers le nord de Gaza et de prendre le contrôle des différents sites de lancement de roquettes. Autre objectif recherché : porter un coup sévère à la branche armée du Hamas qui, selon Tsahal, n’a pas encore été sérieusement affaiblie depuis le début de l’offensive israélienne samedi 27 décembre ».

« Il n’est [toutefois] pas prévu que l’armée israélienne pénètre dans la ville de Gaza ou dans les camps de réfugiés », rapporte à nouveau le Jerusalem Post. Si pour l’heure, il n’est pas question, selon les autorités politiques d’Israël, de réoccuper la bande de Gaza, cette position est nuancée, stratégie militaire oblige, par le général Avi Benyahou : « Il est possible que nous devions garder un certain temps le contrôle de certains secteurs d’où sont tirées des roquettes mais l’objectif n’est pas de réoccuper la bande de Gaza ».

Le premier ministre israélien, Ehoud Olmert, a, d’autre part, déclaré qu’il n’envisageait pas l’ouverture d’un nouveau front sur la frontière avec le Liban, dans le nord d’Israël. Par contre, dans ce qui semble un avertissement voilé au Hezbollah, Ehoud Barak a déclaré que l’offensive israélienne serait élargie « autant que nécessaire » pour en finir avec les tirs de roquettes palestiniens.

Hassan Nasrallah, s’est borné à calquer son attitude sur celle de son puissant parrain iranien en jouant le ressentiment de la rue devant la passivité des régimes arabes modérés. Selon la chaîne de télévision Al-Manar, le chef du mouvement chiite libanais pro-iranien, Hassan Nasrallah, a accusé samedi les dirigeants arabes de collaborer avec Israël pour autoriser les frappes aériennes contre Gaza. « Les ministres arabes des Affaires étrangères ont donné jusqu’à lundi à Israël pour poursuivre ses attaques sur Gaza ». Il a aussi exprimé son mécontentement de voir les dirigeants arabes en désaccord sur la nécessité de tenir un sommet d’urgence et adopter une position commune. Hassan Nasrallah a invité le Hamas à tuer autant de soldats israéliens qu’ils peuvent : « It is when they kill soldiers and destroy tanks that the course of the battle will be determined ».

Timur Goksel, ancien conseiller de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), expliquait à Reuter que « le Hezbollah est devant un dilemme. Malgré toute sa rhétorique sur la Palestine, il ne peut pas faire grand-chose pour Gaza, sauf à entraîner le Liban dans un autre désastre. Alors il prend la tête de la réaction populaire ». Toujours selon Goksel, « les gouvernements arabes qui espéraient que les combattants chiites libanais s’attaqueraient à Israël en représailles de son offensive contre le Hamas, soutenu par la Syrie et l’Iran, en sont pour leur frais et se retrouvent face à leur propre impuissance ».

Du côté du Hamas, il ne faut s’attendre à aucun assouplissement. Quelle qu’en soit l’issue. La population n’est plus au premier rang des priorités. Dans une rhétorique de guerre, les populations sont les laissées pour compte. « Votre entrée à Gaza ne sera pas une promenade de santé et Gaza sera votre cimetière avec l’aide de Dieu », a lancé un porte-parole du Hamas, Ismaïl Radwane. Le Point rapporte que, selon la télévision du mouvement islamiste, la « résistance a préparé des centaines d’hommes et de femmes pour mener des opérations de martyr », c’est à dire des attentats suicide.


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