Gonflé !!! Erdogan dénonce un meurtre « raciste » et « fasciste »

par PETINOS
samedi 6 juin 2020

Les événements de Minneapolis - la mort de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, durant son arrestation par la police américaine, qui le soupçonnait d'avoir voulu écouler un faux billet de 20 dollars - prennent une dimension internationale.

Vendredi 29 mai, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a qualifié de « raciste » et « fasciste » le meurtre[1].

Tout le monde a vu les images affreuses : Lors de l'intervention, George Floyd a été plaqué au sol par un agent qui a maintenu son genou sur son cou pendant de longues minutes. « Je ne peux plus respirer », l'entend-on dire sur un enregistrement de la scène. Toute personne normalement constituée ne peut qu’être indignée et condamner avec la plus grande fermeté et détermination cet acte odieux.

Dans un tweet, Recep Tayyip Erdogan a dénoncé « l'approche raciste et fasciste qui a conduit à la mort de George Floyd dans la ville américaine de Minneapolis à la suite d'un acte de torture ». « Je suis convaincu que ceux qui ont commis cet acte inhumain recevront le châtiment qu'ils méritent. Nous allons suivre cette affaire », a lancé Recep Tayyip Erdogan. 

Dans la bouche de n’importe quelle personne normalement constituée, ces paroles ont un sens fort. Cependant, quand on connait les us et coutumes du personnage en question (c’est-à-dire, le président turc), on doute : Erdogan a fait disparaitre des milliers des Turcs et des Kurdes, opposés à sa politique d’islamisation forcée de la société turque, il a envahi la Syrie et la Libye, menace la Grèce, l’Égypte, Israël et Chypre, emprisonne tout opposant, licencie tout apposant, muselle la Presse, limite les libertés publiques…la liste est longue… Alors, quand j’entends ces paroles dans sa bouche, je doute de leur sincérité (et c’est le minimum).

Juste une petite piqure de rappel des actes les plus visibles de la dynastie Erdogan, qui n’hésite jamais à récupérer tout événement ou acte, pour asseoir sa domination sur la peuple et la société turques afin d’imposer son idéologie islamo-nationaliste (la liste n’est pas exhaustive) :

1. Quand lire un livre et parler est un délit passible d’emprisonnement ou l’interdiction de nombreux classiques en Turquie.

Un régime du début du siècle dernier a brulé massivement des livres sur la place publique…et, plus récemment, le gouvernement Erdogan a interdit quelques 140 000 livres de droit de cité dans les bibliothèques publiques turques car jugés subversifs et soutenant le terrorisme ; il s’agit des livres de Baruch Spinoza, d’Albert Camus et de Louis Althusser. Leurs ouvrages, entre autres, ont été retirés des bibliothèques publiques turques, au motif qu’ils mettaient en avant les idées du prédicateur Fethullah Gülen, ennemi juré du président turc, exilé aux États-Unis et accusé d’être le cerveau de la tentative de coup d’État de juillet 2016. 

2. Que pouvons-nous dire de plus sur la liberté d’expression en Turquie ?

Juste un exemple caractéristique : Le président du Parti nationaliste (MHP), Devlet Bahceli, a qualifié de « terrorisme » les manifestations des gilets jaunes en France, avertissant que ceux qui pourraient vouloir les imiter en Turquie paieraient un lourd tribut. « Je précise d’avance que s’il existe des aspirants au terrorisme des gilets jaunes, ils en paieront un lourd tribut. Ceux qui portent un gilet jaune devraient se préparer à dormir nu, et ce n'est pas une blague », a-t-il déclaré dans un communiqué du 12 décembre 2019. Bahceli a, en outre, souligné qu'il continuait à soutenir l'alliance de son parti avec le Parti de la justice et du développement (AKP, le parti du président Erdogan, au pouvoir depuis 2002) pour les élections locales du 31 mars 2019.

« Nous allons agir avec sincérité. Nous ne resterons pas coincés sur des problèmes mineurs. Ceux qui tenteront de comploter contre la Turquie le matin du 1er avril [au lendemain des élections locales] et ceux qui feront des rêves jaunes nous trouveront devant eux », a ajouté Bahceli.

3. Les exemples de la violation de la liberté d’expression sont nombreux dans la Turquie d’Erdogan.Je citerai ici un des derniers rapports de l’ONG Reporters sans frontières (RSF).

En effet, le hasard du calendrier a fait que le 25 avril 2018, Reporters sans frontières avait publié son rapport annuel sur la liberté de la presse. D’autres rapports ont suivi et ils sont aussi accablants.

Si je cite celui-ci c’est que le même jour, la justice turque condamnait à de lourdes peines des journalistes du quotidien d’opposition kémaliste Cumhuriyet.

On lit notamment sur le site de Reporters sans frontières à propos de ces condamnations : « Le directeur exécutif du quotidien, Akın Atalay, son rédacteur en chef Murat Sabuncu, le journaliste d’investigation Ahmet Şık, les chroniqueurs Kadri Gürsel et Hikmet Çetinkaya, le caricaturiste Musa Kart, l’ancien rédacteur en chef par intérim Aydın Engin ainsi que les administrateurs Bülent Utku, Güray Öz, Önder Çelik, Mustafa Kemal Güngör, Hakan Karasınır et Orhan Erinç, ont été condamnés à des peines allant de deux ans et demi à huit ans, un mois et quinze jours de prison pour “assistance à une organisation terroriste”. Le comptable du journal, Emre İper, a été condamné à trois ans, un mois et quinze jours de prison pour “propagande terroriste”. Au bout de près d’un an et demi de détention provisoire, Akın Atalay a enfin été remis en liberté conditionnelle. Les fiscalistes de Cumhuriyet Günseli Özaltay, Bülent Yener et le rédacteur en chef du supplément Livres, Turhan Günay, sont acquittés. Le tribunal traitera séparément les dossiers de l'ancien rédacteur en chef Can Dündar et du journaliste İlhan Tanir, en exil. »

Le seul méfait de ces journalistes a été le refus d’obéir au sultan d’Ankara, Erdogan, gêné par les révélations de la presse turque, notamment de Cumhuriyet, sur, entre autres, la corruption des personnes de son entourage et le rôle du régime turc dans la montée et le financement de l’Etat islamique.

Enfin, RSF classe la Turquie 157au niveau mondial dans le domaine de la liberté de la presse, avec deux places de moins par rapport au classement de l’année dernière.

L’article des RSF intitulé : « Le journalisme à l’heure de la purge massive », dit : « La chasse aux médias critiques menée par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan culmine depuis la tentative de putsch du 15 juillet 2016. L’état d’urgence a permis aux autorités de liquider d’un trait de plume des dizaines de médias, réduisant le pluralisme à une poignée de journaux harcelés et à faible tirage. La Turquie est de nouveau la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias. Passer plus d’un an en détention avant d’être jugé est devenu la norme, et lorsque tombent les condamnations, elles peuvent aller jusqu’à la prison à vie incompressible. Les journalistes incarcérés et les médias fermés sont privés de tout recours effectif : l'Etat de droit n'est plus qu'un souvenir dans une République devenue hyper-présidentielle, où même les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont plus systématiquement appliquées. La censure d’Internet et des réseaux sociaux atteint elle aussi des niveaux inédits. »

4. Egalité homme/femme à la turque.

Le président turc a déclaré à plusieurs reprises qu’hommes et femmes ne pouvaient pas être traités de la même façon « parce que c’est contre la nature humaine ».

Le président turc précisait dans un discours, en novembre 2018, en marge d’un sommet sur la justice et les femmes, à Istanbul, devant un parterre très largement féminin, que les femmes ne pouvaient pas être naturellement égales aux hommes. Il disait précisément : « Notre religion [l’islam] a défini une place pour les femmes : la maternité. »

Erdogan expliquait encore : « Leur caractère, leurs habitudes et leur physique sont différents (...). Vous ne pouvez pas mettre sur un même pied une femme qui allaite son enfant et un homme. (...) Vous ne pouvez pas demander à une femme de faire tous les types de travaux qu’un homme fait, comme c’était le cas dans les régimes communistes (...) ; c’est contraire à leur nature délicate. »

Avant de conclure en lançant des critiques contre les mouvements féministes :« Vous ne pouvez pas expliquer ça [cette « place définie »] aux féministes parce qu’elles n’acceptent pas l’idée-même de la maternité. »

Ce n’est évidemment pas la première fois que le président turc tient de tels propos. En 2012, il avait pris position contre l’avortement. Par ailleurs, il exhorte régulièrement les femmes à faire trois enfants, afin de relancer la natalité turque.

5. Rappelons, en guise de conclusion, qu’Erdogan a envoyé un de ses représentants à la grande manifestation parisienne au lendemain de l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo…On n’est pas à un oxymore près !

 

[1] Voir : AFP, 29 mais 2020.


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