Gorbatchev, Frederick De Klerk, Pierre Buyoya. Trois réformateurs, trois destins

par PIERRE J. LAURENT
lundi 6 octobre 2014

A l’instar d’autres grands réformateurs, tels Michael Gorbatchev ou Frederick De Klerk, le crime de Pierre Buyoya serait d’avoir contribué à sortir son pays de l’impasse à deux reprises. Le destin de tous les réformateurs serait-il finalement d’être des éternels incompris ? Sa candidature pour la tête de la Francophonie suscite des commentaires pour le moins étranges, même s’ils viennent d’une minorité d’opposants.

Avec David Gakunzi et Edgar C. Mbanza. URSS années 80. Le système soviétique semble figé et immuable. Lourdeurs bureaucratiques, corruption généralisée, l’économie est dans un état déplorable et les droits de l’homme bafoués. En 1982 surgit Gorbatchev. Homme d’appareil du Parti communiste de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev est jeune, parle bien et semble audacieux. Libéralisation de la presse, réhabilitation des victimes de la répression stalinienne, glasnost, perestroïka, rétablissement du dialogue américano-soviétique sur les armes nucléaires, rapprochement avec la Communauté européenne… Tremblement de terre, effondrement de l’Union soviétique. Chute du rideau de fer, réunification allemande. Après avoir démissionné de son poste de président de l'URSS en décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev se tourne très vite vers l’écologie. Très populaire en Occident, Gorbatchev l’est beaucoup moins dans son pays : candidat à l’élection présidentielle en 1996, il ne recueillera que 0,5% des suffrages exprimés.

Autre destin : Frederik de Klerk. 1990 l’Afrique du Sud est dans l’impasse. Grèves, manifestations, marches de protestation, le pays est devenu ingouvernable. Une part de la classe politique blanche s’accroche pourtant à la loi de l’apartheid. Son leitmotiv : « No change ». Pas de changement, toujours plus de répression. Frederik de Klerk, lui, préfère négocier : « la rigidité est mauvaise ... je crois à la persuasion » dira-t-il. Le 2 février 1990, il fait un discours historique : il annonce la fin de l’apartheid, la légalisation des mouvements anti-apartheid, la libération des prisonniers politiques et surtout celle de la figure de proue du mouvement anti-apartheid : Nelson Mandela. L’Afrique du Sud ne sera plus jamais la même. Négociations entre De Klerk et Nelson Mandela, négociations âpres, difficiles mais avec au bout l'établissement d'une constitution provisoire et les premières élections multiraciales en avril 1994 à la suite desquelles le nouveau Parlement élit Nelson Mandela à la présidence de la République. Frederik de Klerk devient vice-président avant de retirer de la scène politique. De Klerk est aujourd’hui un homme parfois controversé mais respecté.

Enfin Pierre Buyoya. Burundi 1987. Tensions au pays des mille collines, libertés religieuses et civiles bafouées, peurs, rumeurs de guerre civile. L’impasse est totale. Il faut un changement de cap. Le pays n’étant pas doté de mécanismes démocratiques, tout changement de régime ne peut venir que d’un coup de force. Début septembre, un groupe d’officiers décide de prendre les choses en main.

Immédiatement, le nouveau régime libère la parole, lance de nombreuses réformes. En juin 1993, pour la première fois les Burundais se rendent aux urnes pour élire leur président. Ndadaye est choisi dans ambigüités. Buyoya accepte le verdict des urnes, s’incline et se retire du pouvoir. Mais dans certains milieux du pouvoir, on grince des dents. Le 20 octobre 1993, le nouveau président est assassiné lors d’une tentative de coup d’Etat. Le Burundi entre dans une zone de turbulences : massacres, purifications ethniques, rebellions. Actes génocidaires affirment même certaines ONGS. En 1996 le Burundi est au bord du gouffre, avec déjà 300 000 morts dans le pays. L’impasse est totale.

Qui pour éviter au Burundi un scénario à la rwandaise ? Poussé par des voix éminentes de la société civile et certains hauts gradés de l’armée, Pierre Buyoya s’engage, reprend le pouvoir, rétablit la sécurité. Immédiatement, il initie des négociations inclusives avec toutes les forces prenantes au conflit. Le processus aboutira à un accord de paix global – l’accord d’Arusha – conclut sous la médiation de Nelson Mandela.

Pierre Buyoya se retire de nouveau du pouvoir et décide de mettre son expérience au service de la cause de la paix et de la démocratisation en Afrique. Depuis, il a supervisé plusieurs processus électoraux en Afrique, a assuré la médiation lors des négociations pour la paix au Soudan. Quand la crise malienne éclate, l’Union africaine se tourne naturellement vers lui et le désigne comme son Haut Représentant pour le Mali et le Sahel. Pierre Buyoya est aujourd’hui candidat au poste de secrétaire général de l’OIF. Et depuis, dans certains médias, il y a cette étrange phrase qui revient comme un refrain : oui, Buyoya est un diplomate apprécie ; oui, au regard de son expérience, il est le candidat idéal pour ce poste mais… Mais quoi donc ? Mais il y a ses deux coups de force. En somme le crime de Buyoya serait d’avoir contribué – au risque de sa propre vie - à sortir son pays de l’impasse à deux reprises. Etrange … Etrange… Le destin de tous les réformateurs serait-il finalement d’être des éternels incompris ?


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