Grève et délocalisation… en Chine
par Joaquim Defghi
jeudi 15 mai 2014
Que la Chine délocalise ne constitue pas un scoop. Par contre, avez-vous déjà lu ou entendu qu’une entreprise implantée en Chine délocalise sous la pression de ses clients occidentaux, ces derniers étant mécontents du blocage de la production occasionné par une grève ? Cette information peut être mise en parallèle avec d’autres actualités qui questionnent sur l’économie et l’autorité chinoises.
Les fabricants de chaussure à nouveau à l’affiche
Débutée mi-avril dans le sud de la Chine, une grève a mobilisé près de 50 000 ouvriers travaillant pour des fabricants de chaussures. Les manifestants réclamaient des aides au logement et des contributions pour la sécurité sociale. Les contestations ont duré deux semaines avant que le gouvernement n’intervienne. Minimisée par les médias, cette grève fut cependant la plus importante de ces dernières années.
L’entreprise Yue Yen, le plus grand fabricant au monde de chaussures selon son site internet, est une compagnie taïwanaise basée à Hong-Kong. Elle fournit de grandes marques comme Adidas, Nike ou Timberland. Ce mouvement social lui coûtera 60 millions de dollars en 2014, cette somme incluant l’augmentation de salaire des ouvriers.
Au plus fort des revendications, Adidas a annoncé qu’il renoncerait à de futures commandes afin d’éviter tout impact sur son exploitation. Le PDG de Nike s’en est tenu à un discours plus policé : « nous voulons nous investir avec des partenaires qui font de bonnes choses avec leur force de travail ». En réponse à ces menaces, l’Union Syndicale Internationale a organisé des manifestations devant des magasins Nike et Adidas à Taipei, Hong Kong, Istanbul, Los Angeles, New York et Melbourne. Cependant, Yue Yen a effectivement délocalisé des lignes de production dans le sud de l’Asie en réponse à ces augmentations de coût de main d’œuvre.
Evolution des mœurs ?
L’agence de presse nationale chinoise, Xinhua, a admis que les gouvernements locaux avaient pu jouer un rôle dans le mécontentement des employés. Afin d’attirer les investissements étrangers, les pouvoirs locaux autorisent les entreprises à échapper à certaines taxations.
Des observateurs ont noté que ces grèves ont une portée plus grande que celle d’un simple conflit social. William Hurst, auteur de Les travailleurs chinois après le socialisme, a écrit dans un éditorial pour Al-Jazeera : « sur le long-terme, la grève pourrait se révéler un tournant décisif dans l’évolution des réformes chinoises… le signe annonciateur d’une transition significative de la Chine vers un nouveau modèle économique ».
Ces manifestations ont également illustré les connaissances techniques des grévistes qui ont utilisé les réseaux sociaux et la messagerie instantanée WeChat de leurs smartphones. Ceci a rendu plus difficile le travail des autorités chinoises pour les bloquer. Ces dernières ne sont tout de même pas restées les bras croisés. Elles sont intervenues pour briser la grève, ont procédé à l’arrestation des principaux activistes, mais ont aussi emprisonné Zhang Zhiru et Lin Dong, des dirigeants d’ONG qui avaient informé les employés de leurs droits de négocier avec leur direction.
Un géant qui a besoin de plus de temps
Les délocalisations non désirées par le gouvernement commencent à frapper la Chine. Un auteur chinois, Shengbing Zhang, souligne que « dans un contexte globalisé, le capital a plus d’options tandis que les travailleurs en ont très peu ». Ces évènements interviennent en des temps de tensions économiques accrues où la Chine se fait tancer par les Etats-Unis à cause d’une monnaie qui est repartie à la baisse :
Cours du Yuan de 2011 à 2014 par rapport au dollar (une remontée de la courbe signifie une baisse de la monnaie)
A cela s’ajoute la chute de 80% des transactions immobilières qui pourrait bien signifier l’éclatement de la fameuse bulle immobilière pouvant mettre à mal la finance de l’ombre. Notons également que la Chine ne souhaite pas monter trop rapidement sur la première marche du podium économique mondial. Elle a volontairement souhaité minimiser les prédictions de la Banque Mondiale la voyant première en termes de PIB d’ici fin 2014.
La Chine préfère mettre en avant le PIB par habitant, indicateur qui la place en 99ème position mondiale. Etre n°1 implique des responsabilités dont la Chine ne veut pas pour le moment. Peut-être parce qu’elle n’est pas suffisamment sûre d’avoir acquis un ascendant économique durable. Elle semble avoir besoin de plus de temps avant de pouvoir jouer pleinement un rôle de leader mondial. Un temps mis à profit pour assainir ses problèmes internes.
Joaquim Defghi
Blog : actudupouvoir.fr
Twitter : @JDefghi
Sources complémentaires des liens de l’article :
- Strike Shut Down in China Before May Day, The Diplomat
- Adidas shifts orders after massive strike at Chinese shoe factory, CNN
- #ChinaSolidarity : 48,000 workers on strike largest Adidas & Nike shoe manufacturer, Union-league.org