Guangzhou-Paris par le train

par Alain Roumestand
jeudi 3 septembre 2015

Guangzhou Paris par le LGV chinois, le Transmongolien, le Transsibérien, les trains de l'Ukraine, de la Hongrie, de l'Autriche et de l'Allemagne.

Le transmongolien transsibérien à Pékin

Le pari de départ était simple : regagner Paris depuis la Chine uniquement en empruntant le train et observer depuis le train et dans le train les pays traversés, la Chine, la Mongolie, la Russie, l'Ukraine, la Hongrie, l'Autriche et l'Allemagne, leurs économies, leurs sociétés, leurs politiques, avec les voyageurs qui montent et qui descendent, avec les arrêts brefs ou longs dans les gares.Sans jamais quitter les trains, exception faite pour les correspondances incontournables.

Soit 13500 km en 10 jours, à travers 7 fuseaux horaires, les noms, pour certains mythiques, de Beijing, la Grande Muraille de Chine, Erlian, le désert de Gobi, Ulan-Bator, lac Baïkal, Irkutsk, Krasnoiarsk, Tomsk, Novosibirsk, Omsk, Tjumen, Iekaterinburg, Sverdlovsk, Perm, Nijni Novgorod, Moscow, Kiev, Budapest, Wien, Frankfurt am Main.

Made in China

Vue du train, la Chine de l'est, ce sont avant tout les embouteillages monstres sur les rampes d'accès aux villes, avec l'intense voile nuageux de la pollution qui masque souvent le soleil, les grosses berlines allemandes que leurs propriétaires sont fiers d'exhiber, les malls luxueux, gigantesques centres commerciaux qui rassemblent les grandes marques internationales, les restaurants où la nouvelle classe moyenne fait sagement la queue dans les rangées pour couples, pour familles avec enfant, les sky-scrapers toujours plus haut pour en imposer et pour loger les staffs des entreprises.

 Mais cette Chine des grandes villes ce sont aussi les havres de paix en bord de mer, avec leur histoire préservée, des concessions occidentales des années 20 du siècle précédent à l'ombre desquelles tout un peuple de vieillards s'adonne au karaoké, à la danse traditionnelle, tout en se faisant couper les cheveux par un "figaro" travaillant pour une association humanitaire. Des quartiers anciens aux maisons délabrées, aux façades mangées par les compteurs et les fils électriques entrelacés, où prospère la pharmacopée chinoise faite d'insectes, de crapauds, de serpents et où l'on peut se faire préparer un cobra dont le sang servira à confectionner votre apéritif.

Dans les gares bondées on attend sagement que l'embarquement s'effectue par des portiques sécuritaires censés empêcher les attentats meurtriers et ouvrant le passage pour des trains ultra-modernes. Passagers connectés comme jamais, emportés sur des LGV à 300 km/h vitesse de croisière, pour parcourir les 2300 km qui séparent Guangzhou de Pékin, en 8h.

Peu éloignées des voies de communication donc des voies ferrées, les centrales thermiques, les cimenteries, les lignes à haute tension, les usines flambant neuf avec capitaux chinois et étrangers, comme cette usine franco-singapourienne Tereos-Syral - Wilmar, prometteuse, qui utilise le blé des grandes plaines du pays, pour produire gluten, glucose, fructose, alcool, amidon, nourriture pour le bétail et qui réutilise les matières sèches restantes pour le biogaz alimentant les chaudières.

Par la fenêtre du train le voyageur peut observer les strates des constructions : villages de briques du temps de Mao, premiers HLM des années Deng Xiaoping, et les tours des logements récents encore en partie inoccupées (bulle immobilière oblige).

Dans les campagnes toute une population en activité entre les villes Wuhan, Zhangzhou,Changsha, Pékin avec les champs de blé, de riz, de maïs, les bambous, la pisciculture, les buffles et le maraichage, sans oublier les parcours des auto-écoles sur d'immenses parkings dédiés à la formation des futurs automobilistes qui se préparent à parcourir des infrastuctures routières surdimensionnées et ... les centaines de panneaux solaires qui laissent bientôt place au nord du pays à des milliers d'éoliennes.

Peu à peu les activités industrielles s'estompent et ce sont les élevages de moutons, de chevaux sur des terres quasi désertes ou désertées.

Les voyageurs quittent le pays qui affole l'Occident par la chute momentanée de son marché boursier de Shanghaï malgré la création par les autorités d'un fonds de soutien "China Securities Finance Corporation", qui surprend par la rapidité avec laquelle le régime fait tomber les têtes des responsables de la catastrophe des explosions de Tianjin dans l'entreprise Rui Hai International, qui interpelle par la décision du gouvernement de créer des bureaux d'état de la sécurité dans les entreprises qui peuvent subir des cyber-attaques terroristes, quand on sait que le président Xi Jinping appelle à la censure des universitaires, des avocats, des organisations non gouvernementales, des plateformes du web et de la presse.

Made in Mongolia

A la frontière entre Chine et Mongolie les bogies du train K3 transmongolien transsibérien pris à Pékin sont changés car l'écartement des rails n'est pas le même dans les 2 pays ( vieilles craintes de puissances longtemps hostiles appartenant à un camp ou à l'autre).

Et en effet les différences entre les 2 pays sautent aux yeux. Et pas seulement pour des questions statistiques, les 3 millions d'habitants sur un territoire grand comme 3 fois la France. La steppe mongole, le désert de Gobi, les plaines arides s'étendent à perte de vue avec les yourtes tentes ancestrales, les chevaux sauvages, les chèvres, les vaches, les yacks, les moutons et les chameaux en liberté. Les routes ont fait place à des pistes poussièreuses qui semblent ne mener nulle part. Les bergers, gardiens de plus ou moins maigres troupeaux apparaissent et disparaissent comme par mystère, vestiges d'un autre âge, car le pastoralisme ancestral a vécu et est remplacé ailleurs par l'élevage plus intensif qui explique la désertification de vallées entières.

A 8 h du matin dans la première localité mongole entraperçue, silence entêtant et torpeur d'une ville tout droit sortie d'un western-spaghetti, tout comme la voie à sens unique qu'emprunte le train et qui défile par l'embrasure de la porte vitrée "palière", entre deux bandes de terrain caillouteux et blême.

Dans les gares, des vendeuses qui entassent leurs produits dans des caddies d'un autre âge. Et toujours la steppe renouvelée. Le train se déplace en laissant derrière lui un nuage de fumée noire.

La capitale Oulan-Bator grosse ville passée très vite d'un siècle à l'autre, avec ses 4x4 ses bornes Wifi, asphyxiée par l'exode des populations rurales, aux toits multicolores et aux blocs d'habitation en ciment brut, polluée, avec à ses abords des cimenteries abruptes, preuve que le pays se construit et tente de relever des défis économiques, coincé entre Chine (qui investit, entre autres dans le textile, le cachemire) et Russie. A proximité de chantiers de construction, des villages de yourtes hébergent les ouvriers du bâtiment et révèlent la précarité des salariés mongols éloignés du folklore qui fait échouer des européens, en mal de nature forte, dans ces habitats inconfortables.

A la chute du communisme, des fortunes colossales se sont créées avec des oligarques qui se sont emparés de l'économie et qui influencent la politique du pays. L'ancienne nomenklatura s'est convertie au capitalisme. La Mongolie est riche en cuivre, tungstène, pierres précieuses, or, charbon, pétrole qui restent encore peu exploité. Le danger premier, avec l'exploitation du sous-sol et l'industrialisation, étant la pollution air, eau, sol et un désastre écologique tout à fait plausible. Le PIB ayant été multiplié par 10 depuis 2001.

Made in Russia

La frontière avec la Russie est sinistre à minuit. Passage interminable, fouille systématique, contrôle administratif et policier, chiens renifleurs de poudre blanche, service de santé détecteur de fièvre dangereuse avec un thermomètre électronique.

Au réveil les premières isbas le long de la voie du mythique transsibérien et la taïga à s'y perdre avec ses variétés d'arbres résistant aux situations climatiques extrêmes. Le lac Baïkal véritable pays lacustre d'eau douce, lieu de villégiature sans doute lors du court été, voie navigable, zone de pêche et de recherche scientifique.

Les surfaces agricoles prennent leur tribut sur les forêts incendiées par endroits en de fortes enclaves. On croise des convois ferroviaires (vieilles locos ou non) de bois odorant, de charbon, de machines en tous genres (dont des véhicules militaires), de containers de compagnies européennes et extra-européennes comme Cosco, CMA-CGM, Maersk. Camions-containers aussi sur des routes défoncées par la rigueur du climat hivernal. On pourrait se croire à nouveau à l'ère de l'industrialisation soviétique à outrance, avec un rôle accru de l'état dans l'économie. Malgré les sanctions occidentales suite au rattachement de la Crimée et au gain de puissance réalisé, malgré la dépréciation du rouble par rapport au dollar US, l'inflation, une dépression de la consommation, les entreprises russes poursuivent leur redressement, les investisseurs se montrant plus favorables (détenteurs d'obligations de sociétés russes avec rendement de 7,3% cette année). La reprise de l'activité est là avec 78% des entreprises russes qui connaissent une progression de leurs ventes.

Plus à l'ouest des champs de céréales à perte de vue.Tous les kilomètres, la distance qui sépare de Moscou le voyageur est inscrite sur un poteau signalétique et dans toutes les gares les russes sont à l'heure de Moscou source de désagrément par ailleurs.

Beaucoup de marcheurs chez les Russes qui vivent à proximité de la voie, en tenue de travail, en débardeurs shorts (il fait chaud) ou en baigneurs-nageurs.

Forêts, plaines défilent. Les villes industrielles se succèdent au rythme de la vitesse du train (70 km/h) avec leurs cheminées d'usines fumantes omniprésentes et les gares qui possèdent presque toutes une locomotive rutilante des années d'après- guerre, fièrement exposée.

Krasnoïarsk, Novossibirsk avec sa gare aux statues monumentales célébrant l'abnégation des soviétiques partant au front contre les exterminateurs nazis, Tioumen cité pétrolière, Ekaterinbourg ville moderne berceau politique de Boris Eltsine et tombeau des Romanov, Perm, Nijni-Novgorod de Michel Strogoff héros de Jules Verne qui est devenue une énorme agglomération, Vladimir et ses églises orthodoxes. L'Oural ligne de partage entre l'Europe et l'Asie est symboliquement franchi.

Made in Ukrainia

A Moscou, par crainte des attentats notamment tchétchènes, des portiques de sécurité attendent tous les voyageurs en partance de la gare dite de Kiev. Proche de cet édifice colossal, à la façade monolithe, néoclassique, érigée pendant la première guerre mondiale, un gigantesque centre commercial à multiples étages où se croisent les russes consommateurs, sous des sunlights obsessionnels. Les mêmes utilisent un boulevard adjacent sur fonds de gratte-ciel futuristes pour des accélérations automobiles, pieds au plancher, l'espace de quelques centaines de mètres pour impressionner le quidam, au volant de lourds mais véloces Cross-over ou SUV.

Le Moscou-Odessa qui circule de nuit passe par Kiev capitale de l'Ukraine nouvelle. Les voyageurs s'entassent sur des couchettes exigües dans des compartiments ouverts à tous vents et l'on croise des femmes en chemises de nuit, des hommes en caleçon, des enfants qui dorment tête bêche sur de véritables châlits, "hard sleeper"...

Contrôle à la frontière russo-ukrainienne avec des épagneuls renifleurs. La gare de Konotop est envahie par un marché ambulant à même le quai. Population miséreuse et bâtiments en ruine aux abords de la gare. Dans le train des ukrainiens essayent de vendre du caviar en boite, des icônes, des peluches, des bijoux, des jeux pour enfants à des prix dérisoires. La monnaie, la Hryvnia, non échangeable ne facilite pas les achats des voyageurs. Monnaie dévaluée de 48% en 2014.

Kiev est usée par la guerre à l'est, les "rebelles" pro-russes et la confrontation politique et économique avec la Russie. Les tués hantent les esprits. Dans la gare centrale de Kiev de nombreux militaires en partance pour la guerre à l'est, le poing levé. La presse parle de 50000 ukrainiens mobilisés. Des ukrainiens s'étonnent que le nord du pays continue à commercer avec son puissant voisin alors qu'à l'est c'est une véritable guerre de position. La Russie achète 19% des exportations de viande et de produits à base de viande ukrainiens, 63% du poisson, 21% du lait et des produits laitiers, 34% des légumes du pays.

Sur les trottoirs près de la gare, des kiéviens vendent leurs objets personnels, des chaussures de sport, des chemises russes, des chaussettes, des cocottes-minutes, des portraits de Lénine, des objets religieux ; les campagnards étalent fruits et légumes. Bâtiments vétustes, équipe de terrassiers, pelletant inlassablement la caillasse le long des voies, des rames de trams usés jusqu'aux essieux continuant de déverser des usagers inquiets de l'avenir et partagés sur les options à venir : l'Union Européenne ? la Russie ? ou les deux ?

Au loin les églises aux toits et aux bulbes dorés, souvenir d'une période moins anxiogène, moins meurtrière et plus clémente.

Car l'Ukraine de 2015 c'est plus de 6000 morts dans une vraie guerre civile, c'est une inflation de 46%, une dette de 71 milliards de dollars auprès de financiers privés et fonds américains, un système bancaire aux créances douteuses, des réserves de change diminuées de moitié en 2014, un défaut de paiement évité de justesse en juillet de cette année, l'aide apportée par le FMI à une économie exsangue, l'est industriel dans le camp des pro-russes, avec le Donbass, son charbon, son acier, qui représente près de 20% du PIB, qui a chuté de 8% en 2014.

Made in Hungaria

Après la frontière entre l'Ukraine et la Hongrie, tout change. Les bogies pour cause de nouvel écartement des rails incompatible sont changés. Plus de 4 heures d'attente sous un soleil de plomb. Dans chaque gare hongroise le jingle des annonces reproduit (bizarrerie ?) les premières notes de la Marseillaise.

Voitures récentes, maisons pimpantes ou en dur, cultures soignées (maïs, tournesol, arbres fruitiers), arrossage automatique et systématique, équipements permis grâce aux subventions européennes de développement, montrent qu'on est bien dans l'U.E. Intercity rapide pour aller à Budapest.

Devant la gare de Budapest Keleti des dizaines de migrants. Sur les quais de la gare des dizaines de migrants, dans le train bondé pour Vienne des dizaines de migrants. Des contrôleurs débordés, dépassés, qui font déplacer des voyageurs sur des places assises surbookées, des couloirs envahis.

Des jeunes mères avec leurs bébés dans les bras ou posés à côté d'elles à même le sol. Des filles avec leurs soeurs, leurs cousines, sur leurs gardes, souriantes et apeurés à l'approche d'un uniforme. Ceux qui n'ont pas payé, trop nombreux, reçoivent un papier leur demandant de s'acquitter au plus vite ! Dans un compartiment miraculeusement préservé un homme aux allures de mafieu fait du business, conclu par une accolade et un" tope-là" bruyant, avec deux jeunes africains.

Des hommes venus de Serbie, de Macédoine, en provenance de l'est méditerranéen, épuisés, somnolents, dormant debout. Et au milieu de ce tohu-bohu, des Hongrois, des Autrichiens, des ressortissants européens, des asiatiques en tourisme, debout et même dans les espaces laissés libres entre les wagons.

Nous retrouvons tout ce monde dans la nouvelle gare de Vienne aux formes futuristes. Nos routes vont diverger. Nous regagnons Paris, la France, en traversant l'Autriche puis l'Allemagne...

Beijing Moscow

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