Guerre au Mali : examen des non-dits

par tiptop
jeudi 24 janvier 2013

Que fait la France au Mali ? Quels sont les véritables enjeux d’une guerre qui susciterait à en croire les médias unanimisme de la part des Français, des européens et des maliens ? Les choses sont-elles aussi simple que la désormais classique « lutte contre le terrorisme » ? En première lecture ce conflit ne rentre pas dans les schémas classiques des interventions militaires françaises en Afrique. Faut-il y voir à tout prix une résurgence de la Françafrique que brocardait hier les guignols de l’info en montrant Chirac et Pasqua en route pour Bamako dans l’espoir de se refaire ? D’ailleurs, faut-il une seule grille de lecture pour comprendre un engagement militaire qui pèse lourd dans la balance d’un pays surendetté ? Rappelons juste une évidence : vu les risques inhérent à toute intervention militaire et le coût général global (entre 700 000 et 3 000 000 € par jour suivant les estimations), la France ne s’engage pas sans raison. Et celles-ci peuvent être multiples voire même contradictoires n’en déplaise aux esprits cartésiens.

La France n’en est pas à sa première ingérence militaire en Afrique, nul besoin de trop insister. Du Cameroun nouvellement indépendant au Biafra, en passant par le Katanga, le Tchad, le Congo-brazzaville, la côte d’ivoire et l’épisode désastreux du Rwanda, ce ne sont que quelques exemples qui illustraient ce qu’Achille Mbembé appelle « la contractualisation de la relation coloniale », c’est-à-dire la défense du pré-carré en fondant les indépendances nouvellement acquises sur une relation « d’interdépendance » à travers une série d’accord de coopération qui perdurent encore, quoique régulièrement renégociés. La guerre froide ayant vécu, les états africains postcoloniaux, ne disposant plus d’une rente diplomatique (un des fondements du système Foccart), se sont saisis sous la pression des occidentaux et soucieux de leurs intérêts propres, d’autres types de rentes. En premier lieu une rente de lutte contre le terrorisme (AQMI) et une rente de lutte contre l’immigration clandestine qui complètent celle, multiséculaire, liée à l’extraction, d’aucuns diront pillage, des matières premières. Rappelons aussi que la France depuis le génocide Rwandais, dont elle est toujours accusée par le TPIR de complicité, hésite depuis à intervenir de façon ouvertement unilatérale où elle n’a que des coups à prendre. Elle cherche en tous cas comme en Côte d’Ivoire à agir sous couvert de l’ONU ; un cache sexe pour masquer des intérêts non pas nationaux comme on pourrait le penser, mais souvent privés… Bref la Françafrique de papa a vécu … pour renaître tel un phénix en s’inscrivant dans le processus de libéralisation des échanges. La France n’est plus la seule à se partager le gâteau africain.

Or une fois le contexte général des ingérences françaises posé, le Mali ne rentre pas à priori dans le cadre des interventions militaires visant à protéger directement, voir conquérir, des intérêts économiques puissants. Les entreprises françaises sont peu présentes au Mali et pour cause, le sous- sol malien est pauvre à part les mines d’or au Sud-ouest[1]. Les investissements directs français sont d’ailleurs faibles ( 5 M $ en 2006 contre 200 pour le Gabon). De plus il n’a que 5000 ressortissants français (contre 20 000 au Sénégal Chiffre 2007) presque tous au sud du delta intérieur (région de Bamako) donc non directement menacés par les terroristes. D’ailleurs depuis la Lybie, la sacro-sainte défense des ressortissants français n’est plus mise en avant. C’est qu’il y a un discours de justification autrement plus puissant puisqu’il s’agit ni plus ni moins de « libérer les maliens » des « barbares » qui en cassant les monuments séculaires de la mythique Tombouctou ont provoqué un (juste) émoi. Il ne s’agit pas ici de moquer ce très traditionnel discours de la France « protectrice de la liberté et de la civilisation » au vu de son passé impérialiste et néocolonialiste. Il y a tout de même quelque plaisir à voir les « barbus fanatiques », expression consacré, se faire tailler des croupières par l’armée française, encore que ces derniers n’ont pas dit leur dernier mot. L’ennemi désigné est méprisable. Pour autant ne soyons pas naïf il y a bien des intérêts économiques et stratégiques en jeu. Faut-il s’en étonner ?

Si aujourd’hui le mot guerre est assumé, car faisant l’objet d’un consensus, il faut rappeler qu’elle fait suite à plusieurs années de covert action au Sahel. Des guerres souterraines sont menées sans dire leur nom. Un raid avait déjà été mené au Mali de concert avec l'armée mauritanienne, le 22 juillet 2010 - sans que Bamako en ait été préalablement informé ! -, et le déploiement de troupes au Niger et au Burkina Faso, en septembre, à la suite de la prise d'otages d'Arlit au Niger[2]. Les intérêts français ne se situent pas au cœur du Mali mais à sa périphérie ! La déstabilisation de ce pays serait lourde de conséquence pour le Niger voisin (où Areva extrait l’Uranium dans des conditions plus que discutables[3]) et la Mauritanie. Le contrôle de la frontière nord avec l’Algérie pose aussi problème et nous avons vu en quoi l’attaque du complexe gazier en Algérie pouvait être lié au conflit Malien, quoique indirectement, car vraisemblablement préparé en amont de l’intervention française. Le sud malien, étant sous contrôle de l’état central, sert de zone tampon protégeant la zone sud-sahélienne de l’activisme de l’AQMI. Le 25 août devant la Conférence des ambassadeurs, le président Sarkozy a théorisé un « arc de crise » qui s'étendrait du Pakistan au Mali. Mais aussi en Somalie, sous prétexte de lutte contre la piraterie, dans un cadre juridique pour le moins flou en dépit de la légitimité internationale que les Nations unies confèrent à l'opération Atalante de l'Union européenne. L’intervention française s’inscrit donc dans une vision stratégique globale et ne départit pas de la défense de ses intérêts qui dépassent aujourd’hui largement son pré-carré historique.

La deuxième motivation tient à sa politique extérieure. Une intervention aussi bien cadrée dans ses objectifs permet à la France de se poser en puissance globale face à la toute puissance économique de l’Allemagne (qui au passage oublie un peu rapidement ses liens avec l’Afrique …). Il s’agit officiellement de gagner du temps, préparer le terrain et permettre aux forces africaines de prendre le relai. Fort bien. Il serait idiot de penser que la France ait intérêt à rester longtemps sur le territoire malien. Elle rassure ainsi ses voisins africains après la gestion calamiteuse de la crise ivoirienne tout en renouant avec une tradition interventionniste Gaullienne et place du même coup la droite française dans l’embarras. Bref la voix de la France se fait entendre dans le concert des nations. L’on n’omettra pas de signaler qu’une fois de plus elle le fait par la voix … des armes. N’en déplaise à Eva Joly, la France est traditionnellement une nation guerrière et c’est même par la violence qu’elle a souvent porté les idéaux universels (révolution française, colonisation …) et défendu ses intérêts sous la Vème république notamment en Afrique[4].

En dernier lieu l’état français répond à des objectifs de politique intérieur. C’est l’aspect le plus cynique de cette affaire. De la conquête de l’Algérie en 1830 à la Libye sous Sarkozy, il en a été souvent ainsi. Il y a des guerres honteuses qui se cachent comme au Cameroun de 1956 à 1964 et des guerres qui s’affichent car, à tort ou à raison, les objectifs paraissent clairs, et font l’objet d’un consensus fut-il soutenu par une propagande active. Ces guerres que l’on qualifie de « justes » participent au grand « roman national ». Il n’y a qu’à voir les images passées en boucle des Maliens accueillant drapeau tricolore à la main les troupes françaises ravies d’un tel accueil. Ces mêmes troupes essuyaient des quolibets et autres joyeusetés quelques mois auparavant en Côte d’ivoire. Il est vrai qu’en 2003 elles avaient tiré à balles réelles dans la foule et en 2011 délogé un tricheur du pouvoir pour en loger un autre … plus docile. D’ailleurs le gouvernement de Traoré se sert du bon accueil (non feint ) des maliens à des buts de politique intérieure et joue aussi des ressorts de la réciprocité en tenant le discours « les français nous doivent bien ça, après notre tribut du sang lors des deux guerres mondiales… ». Aussi ces images font du « bien » au Français. Le sous-texte de cette propagande étant « les maliens ne sont pas ingrats », « La France est (enfin) à la hauteur de ses idéaux ». La côte du président remonte et c’est l’effet le plus spectaculaire de l’opération : il enterre son image de « flanby » et se montre en président à poigne à la surprise générale. Méfions-nous toujours des (faux) mous ! Par contraste l’intervention en Lybie était raccord avec l’image volontariste et va-t-en-guerre que l’on se faisait de Sarkozy et de ce fait il en a peu profité politiquement. A dire vrai, l’ancienne connivence de la France avec Kadhafi, véritable bras armée de la lutte contre les clandestins, l’homme des basses œuvres françafricaines, brouillait un peu les cartes et l’opinion publique se souvient de la tente plantée à l’Elysée en décembre 2007. Rappelons à ce propos que la chute de Kadhafi a accéléré la prolifération des armes (russes et … françaises) dans la zone saharienne, une partie étant récupérée par AQMI. Le gouvernement Sarkozy a promptement retiré les troupes de Lybie sans finir le travail. La droite devrait s’en souvenir avant de critiquer « l’aventurisme » de Hollande.

Aussi nous pouvons conclure avec Jean-François Bayart, politiste spécialiste des mondes africains et musulmans[5], que « la militarisation de la politique africaine de la France permettent d'occulter les origines sociales ou politiques de ce genre de conflits qu'il est plus confortable d'imputer à la barbarie supposée des Africains (ou de l'islam) qu'à l'injustice dont ils sont l'objet et dont elle est souvent complice ». Mais ce constat amer ne doit pas non plus nous empêcher de nous réjouir avec les Maliens du reflux des bandes armées islamistes. Pour une fois, les intérêts du peuple africain vont dans le sens de celui des intérêts français aussi discutables soient-ils. 



[1] « film-documentaire.fr - film - Le Prix de l’or ». Consulté le janvier 24, 2013. http://www.film-documentaire.fr/Le_Prix-or.html,film,12427.

[2] http://www.malijet.com/actualte_dans_les_regions_du_mali/rebellion_au_nord_du_mali/27007-enlev_s_lors_du_raid_franco-mauritanien_du_22_juillet_2010_en_te.html

[3] Le Monde, 23 décembre 2003.

[4] Pour un examen des principales interventions militaires voir Le Monde Diplomatique, L’Atlas 2010, [s. l.], ARMAND COLIN, 2009, p. 174.

[5] « Quelle politique africaine pour la France ? » Consulté le janvier 24, 2013. http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/251010/quelle-politique-africaine-pour-la-france.

 

 


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