Guerre du Congo : quelqu’un peut-il parler aux Rwandais ?
par MUSAVULI
lundi 8 octobre 2012
C’est une énième guerre infligée au peuple congolais par les dirigeants rwandais, et il est peut-être temps de parler à un acteur silencieux mais dont l’importance du rôle dans l’histoire coule de l’évidence : le peuple rwandais.
Avec cette affaire du M23, la communauté internationale considère que le Rwanda mène là une guerre de trop. Tout le monde sait ce que veulent vos dirigeants : ils veulent s’emparer des zones minières de l’Est du Congo et se foutent pas mal des millions des vies humaines, congolaises, qu’ils piétinent au passage. C’est un comportement qui, à lui seul, mine la crédibilité des dirigeants qui revendiquent d’avoir mis fin au plus grand carnage de la région, le génocide rwandais (800.000 morts). Les chiffres des massacres du Congo (six millions de morts) ont largement dépassé ceux du génocide rwandais et la balance commence à pencher dangereusement contre vos martyrs. D’autant plus que dans leurs aventures militaires au Congo, vos dirigeants utilisent des individus peu recommandables, parmi les pires criminels au monde[1] et recherchés par la justice internationale (Bosco Ntaganda, Laurent Nkunda, Jules Mutebutsi, Innocent Zimurinda,…). Tous figurent sur la liste des criminels[2] recherchés par la Cour Pénale Internationale. Vous ne pouvez pas aller plaider votre cause au Tribunal Pénal d’Arusha en entretenant des individus qui commettent des massacres et des viols de femmes dans un pays voisin. Personne ne vous prend au sérieux, et vous devriez commencer à vous inquiéter. Car l’avenir d’une nation repose sur la crédibilité de ses dirigeants. Les mensonges dont les dirigeants rwandais ont inondé les médias durant les guerres du Congo (il n’y a pas un seul soldat rwandais au Congo) ont été tels qu’on vous écoute désormais avec un peu de recul. Et le déroulement de certaines opérations ne plaide pas en votre faveur.
A Bunagana, le M23 avait négocié une trêve sous les auspices des casques bleus, officiellement pour permettre aux élèves congolais de passer les examens d’Etat (Bac). Il a profité de la trêve pour s’équiper en armes et infiltrer des villes en fondant des combattants au milieu des déplacés de guerre. Ce qui s’est passé par la suite rappelle le tristement célèbre procédé du « talk and fight ». Un Casque bleu indien et de nombreux soldats congolais ont été tués. C’est un procédé de ruse qu’on vous attribue et qui a tellement fait souffrir les Congolais de bonne foi qui vous tendaient le bras. Ne vous étonnez pas que dans l’avenir plus personne ne veuille discuter avec vous. Mais peu importe.
Votre pays, après le génocide, continue de bénéficier d’un régime d’impunité sur la scène internationale, quel que soit le niveau de cruauté avec lequel vos dirigeants traitent et maltraitent le peuple congolais. Vous devriez pourtant vous inquiéter puisque ce régime d’impunité ne peut pas durer éternellement. Jour après jour, le Peuple de Lumumba, avec de maigres moyens, continue de lutter larmes aux yeux pour être un jour écouté. Un jour sa voix sera entendue quelque part, comme la vôtre l’a été en 1994. Je ne sais pas ce qui se passera, mais ce ne sera sûrement pas bon pour vous.
Il faut préciser tout de suite que vous, en tant que peuple, vous n’êtes pas responsable du comportement de vos dirigeants. Et il est même certain que, dans vos ménages respectifs, vous ne profitez ni du massacre des Congolais ni du pillage du Congo. Mais vous êtes dépositaire du devenir du Rwanda et vous devriez regarder ce qui s’est passé avec les peuples dont les ancêtres se sont rendus coupables d’actes de cruauté. Un jeune allemand d’aujourd’hui baisse systématiquement les yeux lorsqu’on lui parle de la Deuxième Guerre Mondiale et du génocide des Juifs. Les Américains portent comme une croix le massacre des Indiens d’Amérique et les Australiens vivent comme une honte éternelle l’extermination des Aborigènes. Pensez-vous sincèrement au sort qui attend vos enfants et vos petits-enfants lorsqu’ils croiseront les enfants et les petits enfants des Congolais que vos dirigeants martyrisent aujourd’hui ? Vous êtes pourtant conscients que quelle que soit la puissance et la longévité d’un régime, il finit un jour par tomber. Les peuples, quant à eux, restent et continuent de vivre les uns à côté des autres. Le peuple congolais ne vous fait aucun mal et vous devriez d’ailleurs le remercier pour sa générosité.
En effet, lorsqu’un certain 06 avril 1994, vous abattez l’avion de votre Président Habyarimana (vous ou quelqu’un d’autre, peu importe), les Congolais ont leurs problèmes. Ils doivent se sortir de la galère dans laquelle le régime de Mobutu les avait plongés. Un premier groupe des Rwandais, les Tutsis, frappe à la porte du Congo. Ils sont accueillis avec générosité. Le Congolais ne roule pas sur l’or, mais il partage le peu de repas qu’il a avec le Tutsi qui fui le génocide. En juillet 1994, un deuxième groupe des Rwandais vient frapper à la porte du Congo. Les Tutsis ont pris le pouvoir à Kigali et les Hutus doivent fuir. Aucun peuple sur la planète ne veut de vous après l’horreur que vous veniez d’étaler sur la face du monde par ces massacres à la machette. Les Congolais acceptent de vous accueillir et se retrouvent tous seuls avec une terrible charge, la communauté internationale vous ayant abandonnés dans les bras d’un peuple pauvre, mais qui essayait seulement de vous aider avec des moyens précaires. Les Congolais avaient leurs problèmes. Vous n’auriez jamais dû être une charge aussi lourde et un problème aussi compliqué pour un peuple qui vous accueille avec générosité.
L’histoire retiendra que vous avez remercié le peuple congolais en transformant le Pays de Lumumba en champ de bataille pour poursuivre dans la violence les antagonismes interethniques qui vous minent depuis la nuit des temps. Vos dirigeants prétendent que le Rwanda est un pays en paix, mais ils savent qu’en réalité, ils ont juste déplacé le champ de bataille et imposé au peuple congolais un conflit qui ne concerne que vous. Les Congolais ont longtemps prié pour que vous puissiez vous entendre, vous réconcilier chez vous et les laisser tranquilles. C’est déjà très difficile de subir trente-deux ans de dictature. C’est encore difficile de subir sur son territoire deux guerres d’un peuple étranger. Et lorsque les Congolais croient que c’est fini, ça recommence. Pire, en découvrant le coltan dans le sous-sol congolais, vos dirigeants pensent maintenant à s’emparer des régions de l’Est du Congo. Comment pouvez-vous imposer de telles souffrances à un peuple qui ne vous a fait aucun mal et vous a juste accueilli alors que plus personne ne voulait de vous ? Ne voyez-vous pas que les autres peuples du monde vous observent et retiennent de vous, injustement, ce qu’il y a de pire ? L’excuse de la lutte contre les FDLR, vous savez bien qu’elle ne marche plus.
La ville de Goma peut tomber entre les mains des dirigeants rwandais, ça n’a pas d’importance. La ville de Bukavu peut également être prise militairement. Des centaines des civils congolais vont être massacrés, c’est évident. Mais la suite de l’histoire est connue d’avance. Le M23 n’ira pas jusqu’à Kinshasa et le peuple congolais utilisera le reste de son territoire pour se battre contre l’occupation. Comprenez que les Congolais n’ont pas le choix. Aucun peuple au monde n’accepte l’occupation et la soumission à une puissance étrangère. D’autant moins que cette puissance étrangère utilise des méthodes aussi barbares que les massacres, les viols de femmes et les pillages. Tôt ou tard, la cause du peuple congolais finira par être entendue.
L’impunité dont bénéficient les dirigeants de votre pays n’est pas destinée à durer. De plus en plus de voix dans le monde se demandent comment il peut y avoir un tribunal pénal international pour juger les auteurs du massacre de 800.000 personnes (Rwanda), 300.000 personnes (Ex-Yougoslavie) et rien pour les six millions de Congolais. Comment les Occidentaux peuvent-ils créer un tribunal spécial pour rendre justice à la famille d’un seul homme, Rafiq Hariri[3] (ancien Premier Ministre libanais) et continuer à ignorer les six millions des familles congolaises qui errent en exil de porte à porte à la recherche d’une oreille attentive ? Cette cause-là, chers voisins rwandais, est destinée à être entendue un jour.
L’idée que les Rwandais bénéficieront d’une totale impunité jusqu’à la fin des temps est une illusion dont vous devriez commencer à vous débarrasser. C’est encore pire à cette époque des nouvelles technologies où au moindre coup de feu les ONG et des milliers d’anonymes recherchent les victimes, identifient les criminels, rédigent des rapports et les transmettent aux quatre coins de la planète. Ces rapports, même s’ils ne sont pas immédiatement suivis d’effet, restent soigneusement conservés quelque part. L’impunité dans un monde comme celui-là est une totale illusion.
En définitive, si vous n’êtes pas responsables des actes de vos dirigeants, le peuple congolais, avec qui vous allez vivre pendant des siècles encore, attend de vous, en revanche, quelques signaux. Tout d’abord, il ne vous demande pas de l’aider, parce que vous n’avez pas les moyens d’aider le Congo. Le Congo peut s’en sortir tout seul. D’ailleurs, chaque fois que vos dirigeants prétendent aider le Congo (les deux Guerres du Congo, opérations conjointes FARDC-RDF,…) les Congolais se retrouvent confrontés à davantage de difficultés que par le passé. Ainsi, la meilleure aide que vous pouvez apporter au peuple congolais, c’est de ne pas essayer de l’aider et de laisser le Congo tranquille. Ce sera déjà beaucoup.
Vous pouvez ensuite manifester quelques gestes, comme dire publiquement et de façon répétée que vous désapprouvez le comportement de vos dirigeants et que vous êtes solidaires avec les victimes du Congo. Si vous pouvez faire davantage, c’est vous qui voyez, mais au Congo, on connait le régime politique que vous subissez. Il ne vous permet même pas d’éternuer, pour ainsi dire.
Boniface MUSAVULI
[3] L’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri, dans l’attentat du 14 février 2005, a donné lieu à la création du Tribunal spécial des Nations unies pour le Liban, actif depuis mars 2009.