Haïti, la métamorphose d’Obama ?

par Benjamin Delombre
mardi 19 janvier 2010

Alors que le président Obama va, le 20 janvier, fêter le premier anniversaire de son investiture, il semblerait que la gestion de la crise en Haïti marque un certain tournant dans sa politique internationale. Retour sur un an de présidence.

Une rupture dans l’appréhension des affaires internationales

L’élection, le 4 novembre 2008, de Barack Obama à la tête de la première puissance mondiale a suscité d’immenses espoirs de changement par rapport à l’ère Bush non seulement aux États-Unis mais aussi dans le monde entier. En ce qui concerne la diplomatie américaine, on peut dire qu’une rupture importante avec la politique étrangère de Bush s’est produite le 4 juin 2009, lors du discours au monde musulman prononcé par le président Obama depuis le Caire. Cette allocution est une brisure franche vis-à-vis de l’Axe du mal qui fut longtemps le « fond de commerce » du président Bush. Bien qu’étant une stratégie particulièrement efficace pour s’assurer le soutien de la population américaine, ce procédé a entraîné sous les deux mandats de George W. Bush la présence d’un anti-américanisme important dans les pays musulmans. Il faut dire que la stratégie adoptée par le nouveau président américain est en totale opposition avec celle de ses prédécesseurs notamment lorsqu’il prononça cette phrase : « Les États-Unis ne seront jamais en guerre contre l’Islam ». Il s’agissait ici de rompre avec l’idée, par ailleurs souvent répandue par les jihadistes, que les conflits USA-Afghanistan ou USA-Irak étaient des guerres de religion.

Le deuxième point important est semble-t-il la visite de M. Obama en Chine au mois de Décembre dernier. Bien que, sur un plan des droits de l’homme, ce dernier ne restera pas dans les annales, on a vu des États-Unis en position d’infériorité face à la Chine. Cette posture apparaît toutefois très pragmatique du fait de l’importance des capitaux chinois dans l’économie américaine.

Enfin, force est de constater que l’attitude du pays envers les Nations Unies a elle aussi beaucoup varié depuis un an. En effet, les États-Unis paient, depuis l’arrivée de leur dernier président, leur cotisation à l’organisation. Ainsi, des situations où les États-Unis s’en iraient faire la guerre de l’autre côté de la planète, sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU, semblent moins plausibles. Ces actes ou tout au moins ces volontés sont sans doute ceux qui ont pesé dans la balance pour le choix de Barack Obama en tant que lauréat du prix Nobel de la paix.

Une fin d’année difficile à la Maison Blanche

Le vote favorable du Sénat concernant la réforme du système de santé a certainement adouci une fin d’année rude pour l’exécutif américain. En effet, la côte de popularité du premier président afro-américain était assez faible en cette fin d’année 2009. Ainsi, selon un sondage en date du 9 décembre, 46% des américains jugeaient favorablement sa politique alors que 44 % la désapprouvaient. En plus de cela, le manque d’efficacité des services secrets américains et leur manque de communication avec le Bureau ovale lors de l’attentat raté du 25 décembre n’ont sans doute rien arrangé. Obama avait prévenu, au soir de sa victoire, «  le plus dur est devant nous ». Porteur de tant d’espoirs, la chute ne pouvait être que plus lourde pour l’ancien sénateur de l’Illinois, l’état de grâce est bel et bien terminé.

Et puis le tremblement de terre en Haïti a eu lieu. L’administration américaine a certainement vu dans cette catastrophe un moyen de redorer son blason et en même temps le moral de sa population. C’est une sorte de réapparition de la doctrine Monroe dans le sens où l’auteur de cette dernière, président des États Unis dans les années 1820, avait déclaré son droit d’ingérence sur l’ensemble du continent Américain. Dès le jeudi 14 janvier, on a donc pu lire, écouter ou voir que les États-Unis prévoyaient une aide de 100 millions de dollars à Haïti – l’Union Européenne semble s’aligner sur la décision américaine, l’organisation ayant, lundi 18 janvier, annoncé le chiffre de 100 millions d’euros. De plus, un porte-avions, l’USS Vinson, et un navire hôpital, l’USNS Comfort étaient attendus sur zone. Samedi 16 janvier, le président américain s’est présenté devant la presse pour faire un point sur la situation en Haïti. Deux de ses prédécesseurs l’accompagnaient alors, Bill Clinton et George W. Bush, auxquels il a confié une mission de coordination des collectes. En plus de cela, M. Obama a déclaré son intention d’envoyer 10 000 hommes dans l’île des Caraïbes. Comme l’a dit un membre de l’entourage présidentiel, la maison Blanche « entend clairement montré que ce n’est pas Katrina ». On ne peut que se réjouir devant les moyens mis en œuvre par l’administration américaine pour subvenir aux besoins des Haïtiens. Simplement, d’un point de vue international, on peut y déceler un changement dans la politique américaine. Les premiers à avoir remarqué cette différence d’attitude et à en avoir subi les frais sont les Français.

La France entretient des rapports étroits avec Port au Prince du fait, notamment, qu’Haïti soit un ancien territoire français et qu’il soit aussi francophone. Paris pensait donc être l’intermédiaire privilégié entre les Haïtiens et l’aide internationale, jouer si l’on peut dire le rôle de coordinateur général des missions de secours. Cependant, ce sont les parachutistes américains de la célèbre 82ème division aéroportée qui ont pris le contrôle de l’aéroport Toussaint Louverture de Port-au-Prince et qui en effectuent la gestion. Il faut noter que l’aéroport peut accueillir quatre-vingt-dix « rotations » par jour. Étant donné l’arrivée tout azimut de l’aide internationale, le petit aéroport - il ne comporte qu’une seule piste - et le ciel Haïtien n’ont pas tardé à être encombrés. Les autorisations d’atterrissage sont donc très strictement délivrées sur le critère de la maximisation des moyens nécessaires. Cependant, la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton était attendue dans la fin de la journée de Samedi, profitant ainsi d’une des quatre-vingt-dix rotations disponibles. Dans le même temps, un avion de la sécurité civile française s’était vu refusé à plusieurs reprises la possibilité d’atterrir. Dans la journée de samedi, Alain Joyandet, secrétaire d’État chargé de la coopération a fait savoir qu’il avait « protesté officiellement » sur l’attitude des États-Unis. Les relations seraient ainsi assez tendues entre Paris et Washington. Toutefois, le ministère des affaires étrangères a fait savoir dimanche que la France n’avait émis « aucune protestation ».De ce fait, les américains semblent avoir retrouvé un statut de domination qu’ils avaient mis en exergue tout au long de la seconde moitié du XXème siècle, c’est-à-dire un certain comportement de gendarme du monde . Cependant, on peut considérer aussi que, Haïti se trouvant dans la zone du continent américain, les États-Unis disposent, eux aussi, d’une certaine légitimité à agir en organisateur des secours.

Henry Kissinger disait de Théodore Roosevelt, président des États-Unis d’Amérique du 1901 à 1909, que « personne n’avait aussi bien compris les relations internationales avant lui ». Il disait aussi du Woodrow Wilson, résident de la Maison Blanche entre 1913 et 1921, « qu’il avait mieux que quiconque compris comment pensait le peuple américain ». C’est la définition même de l’alternance entre le réalisme et l’idéalisme qui naît de ces deux hommes et qu’on retrouve par ailleurs chez les différents présidents qui les ont suivis. Il semble aujourd’hui qu’Obama se soit parfaitement inspiré d’eux dans la stratégie qu’il a mis en place sur le plan international, à savoir traiter d’égal à égal avec les autres puissances mondiales tout en revenant parfois, comme c’est le cas en Haïti, à une politique plus idéaliste qui satisfait les citoyens américains, attitude qu’il n’avait cependant que peu montré jusqu’à présent.


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