Hamid Karzaï sur un siège éjectable
par morice
lundi 26 janvier 2009
On le sait, la situation en Afghanistan est catastrophique, et nos pauvres militaires français le savent bien. Le ravitaillement de la capitale du pays devient trop alétoire et n’est plus assuré : il a lieu en majeure partie via le passage du Pakistan, via la célèbre passe de Khyber ... et il est effectué par des camions civils, privés, qui ne veulent plus prendre le risque de la traverser. C’est le Pakistan qui pose problème : en amont, les zones tribales devenues instables, touchées par le prosélytisme du Lakshar i taiba et ses lois ancestrales rétrogrades, ne garantissent plus l’acheminement des vivres. Leur activisme remonte jusque Peshawar, où le 13 décembre un dépôt de camions a été incendié. Or 75% du ravitaillement de la capitale vient par la route, dans des conditions assez souvent dantesques... Et ce ne sont pas les 50 malheureux camions militaires indiens donnés au gouvernement Afghan il y a cinq ans qui ont pu y changer quelque chose. Les camions d’essence sont particulièrement visés depuis l’année dernière : en mars 2008, trente six avaient été détruits. Kaboul est bel et bien encerclée, et un cauchemar déjà vu recommence pour elle. On ne donne pas cher de sa résistance, comme nous vous l’avons déjà dit ici-même.
Kaboul sur le point de tomber, voilà qui n’arrange pas du tout les affaires d’Obama, qui a fait sa campagne sur un retrait Irakien.. et une meilleure lutte contre les talibans en Afghanistan. Voilà donc notre nouveau leader dynamique fort embarrassé. Le bourbier afghan dure depuis trop longtemps à ses yeux. Aux grands maux les grands remèdes, a-t-il dû se dire. Le lendemain même de sa prise de fonction, Obama dépêche sur place son envoyé (très) spécial : Richard Holbrooke, l’homme des accords de Dayton, celui qui va assurer la théorie des vases communiquants prévue : on prélève des soldats sur le contingent irakien (le pays étant laissé à son sort, ce qui promet !), et on le reverse en Afghanistan. Jusque là, pas de problèmes (à part l’irak qui va imploser !). Non, à part le cas du président Karzaï... le meuble de trop à bouger dans le déménagement. Qu’en faire ?
Obama sait qui il est : il s’était déjà fait une idée de la situation sur place en août dernier, lors de sa visite à la base de Bagram, notamment, dont "l’objet (officiel) était d’évidemment parler aux commandants » et d’« être à l’écoute de leurs plus fortes préoccupations ». Bagram, qui, il faut le préciser, présente tous les symptômes d’un autre Guantanamo... Officieusement, Obama a évoqué un pays sans son président actuel. Car son idée, c’est simple, se résume à un constat amer. Celui qu’il a rencontré le 20 juillet dernier est le seul grand responsable de la gabegie afghane : Hamid Karzaï, c’est bien lui. Une semaine avant, sur CNN, il l’avait déjà bien chargé en effet : "I think the Karzai government has not gotten out of the bunker and helped organize Afghanistan and [the] government, the judiciary, police forces, in ways that would give people confidence." En résumé, Obama était déjà prêt depuis l’été dernier à se débarrasser de l’encombrant président afghan qui selon lui n’a rien fait pour son pays, bien au contraire. Et les choses semblent aujourd’hui fortement s’accélérer dans ce sens : selon plusieurs observateurs, Obama aurait carrément réclamé la tête de la marionnette mise en place par son prédécesseur, en le rendant responsable de tous les maux du pays, lui et son frère. Il s’est persuadé, en compagnie de Gates et de Petraeus, qui analysent clairement la situation semble-t-il, qu’une victoire militaire est impossible, et que pour gagner diplomatiquement, il faut se débarrasser d’abord de l’encombrant Karzaï. Saluons sa lucidité, nous avons suffisamment parlé ici de ce que l’individu et sa famille avaient de néfaste.
Dans un article au vitriol de The Independent, Karzaï serait en effet déjà tout bonnement enterré définitivement par la nouvelle administration d’Obama. Le cas de son frère, organisateur et bénéficiaire du principal trafic de drogue du pays, n’a pas dû plaider en sa faveur. Obama a déjà fait plus que prendre ses distances avec le chef de l’état croupion mis en place par l’organisation Bush et la CIA, qui tire, elle, directement profit des récoltes, ce n’est plus un mystère pour personne. Ça ne l’a jamais été, d’ailleurs. Le jour même où Barack Obama recevait un "brief" rapide sur le désengagement irakien et le nouvel engagement afghan par le général Petraeus, trois hommes frappaient à la porte de la maison blanche. Non, pas des rois mages attirés par une nouvelle étoile diplomatique, mais trois leaders... afghans : Abdullah Abdullah, l’ancien ministre des affaires extérieures du pays, pro-indien (et ancien de l’Alliance du Nord), Ashraf Ghani, celui des Finances, celui qui tient la corde pour l’élection présidentielle de 2009, et Ali Ahmad Jalali, l’ex-ministre de l’intérieur qui s’était opposé à Karzaï sur le terrain de la lutte contre la drogue (et donc surtout à son frère). Belle troïka. Le troisième est un vrai personnage en politique : ce pachtoune qui a passé vingt ans à combattre les russes a fini par venir habiter aux USA, après être devenu un des animateurs vedettes de la radio patriotique Voice of America ! Le second a étudié à la prestigieuse université de Columbia, avant d’entrer à la Banque Mondiale au moment de l’intervention de W. Bush dans son pays. C’est sur lui que les espoirs du pays reposent pour succéder au corrompu Karzaï. Bref, ces trois mousquetaires afghans ont une autre dimension que le falot président actuel. Le futur remplaçant de Karzaï sera très certainement l’un d’entre eux. Pour mémoire, si c’est Abdullah, les relations seront plus faciles qu’avec les deux autres, pour Nicolas Sarkozy : il parle couramment le français. Comme Karzaï d’ailleurs, que nous avons pu croiser en 1985 à Lille, où il a séjourné en tant que... journaliste.
Les trois ont été amenés à Washington par un quatrième, Gul Agha Sherzai, le gouverneur de la province de Nangahar, un ancien chef de guerre tribal, qu’Obama avait rencontré personnelllement cet été à Jalalabad. Ce dernier s’était plaint depuis longtemps au futur président de l’incapacité de Karzaï à diriger le pays, et de ne rien faire pour arrêter la corruption qui y régnait. Lors de sa visite éclair dans le pays, Obama lui avait réservé la priorité, ce qui n’avait pas été sans épines diplomatiques en haut lieu, Karzaï n’aimant pas être snobé... Gul Agha Sherzaï a beau se plaindre aujourd’hui de Karzaï, il n’a guère fait mieux, avant lui, loin de là : "he ruled Kandahar prior to the Taliban rise, and the corruption and feuding of his regime strengthened his Taliban opposition. Sherzai’s officials were notorious for bribery, extortion and widespread theft. He was a governor in name only during the anarchic reign in the mujahideen period" précise GlobalSecurity. L’afghanistan ne peut en fait se dépêtrer de ses chefs de guerre : "Like Rashid Dostum in the north, Ismail Khan in the west and Haji Qadir in the east, Sherzai has re-emerged as one of the most prominent political and military figures in the country." Bon courage, donc, à Obama...
Ne restait déjà plus l’été dernier qu’un seul espoir à Karzaï, déjà condamné : que le prochain secrétaire d’état aux affaires étrangères le soutienne. Manque de chance, la semaine juste avant d’entrer en fonction, Hillary Clinton définissait l"Afghanistan comme un "narco-état", ayant à sa tête "a government plagued by limited capacity and widespread corruption". Tir de barrage complet contre la famille Karzaï, au plus haut de l’état protecteur, avec un dernier missile envoyé par le responsable sur place des troupes de l’Otan. Selon lui, le problème essentiel, ce ne sont pas les Talibans, mais... bien l’équipe de Karzaï et son incompétence crasse : "The basic problem in Afghanistan is not too much Taliban ; it’s too little good governance." Karzaï a fait le plein en 2008 des récriminations américaines et des responsables des troupes de l’Otan. Son siège éjectable est prêt pour 2009. Obama n’a plus qu’à appuyer sur le bouton.
Il est vrai que les griefs contre Hamid Karzaï sont nombreux : avant tout, comme pour les dirigants irakiens, l’accusation de détournement de fonds de l’aide de la communauté internationale. Et ce preuves à l’appui ! "En six ans de présence étrangère, rien n’a changé, sinon pour le pire. Pourquoi ? A cause de la corruption généralisée, de l’absence totale du sens des responsabilités des hauts fonctionnaires, de leur inconscience, et j’irais même plus loin : on assiste aujourd’hui à la perte de confiance de la communauté internationale vis-à-vis de l’Afghanistan" tonne en juin dernier dans Rue 89 Ramazan Bachardost, 46 ans ,ancien ministre du Plan et aujourd’hui député. L’homme en a à dire sur le chef de l’état : "Quand j’étais ministre, j’ai vu de mes propres yeux des diplomates iraniens remettre au chef de l’Etat des valises remplies de dollars. J’avais beau lui dire qu’il n’était pas le chef d’une mafia mais bien un président élu devant rendre des comptes à la Nation, cela n’avait aucun impact. Karzaï gouverne comme un chef de tribu et cet argent a sans doute été employé à acheter des gens et leur loyauté !" Rideau. Obama a dû apprendre la même chose il y a longtemps et sa décision semble prise depuis toujours : l’avenir de l’Afghanistan se fera sans Karzaï. Mince, encore un président auquel le nôtre était allé chaleureusement serrer la pince et poser fièrement en sa compagnie. Décidément, quand ce n’est pas Khadafi, parti aujourd’hui en guerre contre l’UPM...
Maintenant que la décision est déjà acquise, reste à savoir quelle technique Barack Obama va employer pour évincer celui qui s’accroche depuis si longtemps à son siège présidentiel. La méthode douce étant l’attente d’élections en novembre prochain. C’est long (trop long ?). Le méthode moins douce étant l’attente de l’offensive sur Kaboul des talibans pour en profiter pour évincer l’homme jugé incapable de gouverner, ou de lutter contre les talibans, via un coup d’état rondement mené. La troisième... ah, la troisième, est celle habituelle de la CIA. Tordue, bien entendue. Karzaï ne survit dans son palais que grâce à la protection de ses mercenaires qui veillent sur lui 24H sur 24, en assurant la surveillance de ses nombreux véhicules blindés lors de ses déplacements. Il a déjà échappé à au moins deux attentats. Dont le dernier en avril, lors d’un défilé militaire attaqué à la roquette RPG. J’imaginerais bien, personnellement, un de ses mercenaires de DynCorp grassement soudoyé par la CIA organiser un attentat "interne" ou faire passer la voiture officielle au bon moment sur une "roadside bomb" plus meurtrière que les autres. Ou une beaucoup plus puissante. Je ne sais pas, mais Hamid Karzaï, pour moi, comme ça, finira satellisé ou en passoire, la fin dévolue habituellement aux personnes qui ont pris leur pays pour leur guichet personnel. En "profiteur du chaos", comme le sont aussi ses gardes personnels. Ne me demandez pas de vous le prouver, ce que je vous raconte. Mais une longue lecture des habitudes des services secrets m’incline à penser de la sorte. Quand la presse titre depuis des mois "comment s’en débarrasser", très souvent un accident "bête" arrive, j’ai déjà remarqué. Parmi les trois solutions, bizarrement, c’est la troisième en effet que je retiens, malgré un Obama qui se présente comme "différent" : pressé par le temps (il a promis de rétablir l’autorité gouvernementale en, Afghanistan), il devrait peut-être se résoudre à des moyens plutôt expéditifs pour se débarrasser d’un meuble dont personne ne veut plus. Et en diplomatie, il n’y pas de service de ramassage d’encombrants.
Obama dénonçerait alors l’odieux attentat, ou l’incroyable accident (si c’est mieux fait encore), bien entendu, et le cours de l’existence dans le monde reprendrait. Sans Karzaï, ni son frère... qui ont confondu ostensiblement pratiques mafieuses et politique. G.W. Bush a mis sur pied deux gouvernements : un en Afghanistan, et un autre en Irak. Les deux se révèlent aujourd’hui les plus corrompus au monde, et n’en ont plus pour longtemps à vivre : finalement la marque de fabrique des neo-cons, pressés de mettre à la tête des pays qu’ils envahissent leurs doubles véritables ?
Moralité secondaire de l’histoire ? Un bon journaliste ne fait pas nécessairement un bon président...