Hollande au Congo : la France doit tenir bon
par MUSAVULI
jeudi 25 octobre 2012
Il fut un temps où la France réagissait au quart de tour chaque fois que le Congo-Kinshasa était menacé. Les Congolais, dans l’espace francophone, disposaient d’un solide rempart de dernier recours. Ce n’était pas la démocratie, bien entendu, mais un peuple vivait en sécurité, à l’intérieur de ses frontières.
En redécouvrant l’ancien Zaïre en marge du 14ème sommet de la francophonie, le locataire de l’Élysée a dû avoir un choc. C’est un pays ruiné par des années de guerres de pillage et de massacre et un peuple littéralement détruit[1]. Ici, Paris n’a strictement rien à se reprocher, bien au contraire. En 1994, l’Hexagone a dû se « retirer » des affaires de cette région sous le flot d’accusations mensongères[2] mûrement orchestrées par des propagandistes dans l’affaire du génocide rwandais. Dix-huit ans plus tard, ceux qui accusaient la France de crimes ont réussi l’effroyable exploit de liquider six millions de Congolais. A cette hécatombe s’ajoutent les viols de femmes par milliers, l’instauration du pillage comme logique d’État. Ils ont, par-dessus tout, entraîné dans l’extrême pauvreté le pays potentiellement le plus riche d’Afrique. Le Congo-Kinshasa est en effet aujourd’hui classé « pays le plus pauvre du monde » (187ème sur 187 pays[3]) selon l’indice de développement humain.
Pour revenir sur le bilan humain, personne n’est dupe. A six millions de morts, on n’est plus dans les dégâts ordinaires d’un conflit. On est dans une campagne d’extermination suivant un procédé assez facile à décrypter : les guerres à répétition préparées et déclenchées par un même groupe d’individus bénéficiant d’une totale impunité[4], sachant que tous les génocides sont l’œuvre d’individus assurés de la totale impunité. Les massacres planifiés dans le silence des médias, la dispersion des populations dans des zones inhospitalières, le blocage de l’aide humanitaire, les viols de femmes à grande échelle et la destruction des familles, l’exode des populations, la famine, l’épuisement, les épidémies,… Toutes ces tragédies mises ensemble, et orchestrées de façon répétées (depuis 1996), sont de loin un procédé d’élimination des populations plus efficace que les chambres à gaz (Allemagne nazie) et les machettes (extrémistes rwandais).
Ce type de procédé a été reconnu comme un moyen d’extermination de nature génocidaire dans le conflit du Darfour (Soudan). En mars 2009, la Cour Pénale Internationale a émis un mandat d’arrêt contre le Président soudanais Omar el-Bechir. Le Procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, parlant du « génocide » du Darfour avait indiqué que ce génocide avait été exécuté « sans chambres à gaz, sans balles, sans machettes, mais par la famine, les viols et la peur »[5]. Or, comparé à la tragédie du Congo, le Darfour fait figure de simple terrain d’expérimentation.
Devant le scandale annoncé d’un génocide étouffé que subit le peuple congolais, certaines langues, en haut lieu, commencent à se délier[6]. Mais le mal est fait. La question que se posent les Congolais, et que se posent toutes les victimes et rescapés des campagnes d’extermination, est de savoir « pourquoi a-t-on laissé faire ».
Fallait-il sincèrement que la France se retirât et abandonnât dans ces conditions un peuple qui comptait tant sur sa protection ? Le Congo est, en effet, à l’image de ces scènes déchirantes où on voit les « Blancs » et leurs familles s’en aller laissant des autochtones qui regardent disparaître l’avion dans les nuages avant de se faire massacrer. La France n’aurait jamais dû se retirer, tellement le massacre était annoncé.
En tout cas, son départ fit céder une digue et ouvert la voie à toutes sortes d’aventures de prédation comme celles du tristement célèbre M23, groupe armé derrière lequel se dissimule une énième agression du Congo par le Rwanda et l’Ouganda, dans le but évident de mettre la main sur les gisements miniers du Congo.
Et les autorités congolaises dans tout ça ?
Aucun espoir !
Le drame du peuple congolais, comme a pu s’en rendre compte le Président Hollande, c’est que les autorités font partie du problème. Elles sont arrivées au pouvoir, à Kinshasa, dans les rangs des armées d’agression et d’occupation ougandaises et rwandaises (cas du Président Kabila), ou des mouvements armés « montés » de toutes pièces par Kampala et Kigali. Les « dirigeants congolais », de ce fait, ne pouvaient pas être les représentants légitimes d’un peuple qu’ils ont agressé et aidé à faire agresser de l’extérieur. Imposés au peuple congolais par des puissances étrangères au service desquelles, naturellement, ils pillent leur propre pays, les dirigeants de l’actuel régime de Kinshasa brillent surtout dans la répression contre leurs propres compatriotes.
En tout cas, ces dirigeants-là ne sont absolument pas au service du peuple congolais. On ne peut autrement expliquer que le pays potentiellement le plus riche du Continent africain soit devenu le « plus pauvre du monde ». C’est ainsi que des centaines d’ONG (plus de 200), les agences et les missions des Nations Unies[7] (17 mille casques bleus) doivent parcourir le pays pour s’occuper d’un « peuple » sans véritable Etat et pallier les carences des autorités çà et là.
Pire, au problème de légitimité de départ (guerres d’agression), s’ajoute le déni de la démocratie. En effet, en novembre 2011, le régime de Joseph Kabila s’illustre tristement par un gigantesque hold-up électoral et réprime les manifestants dans le sang[8] (des civils tués[9] par l’armée et la police dans les rues de Kinshasa). Depuis, le pays est plongé dans une crise politique à laquelle s’ajoute l’incapacité chronique à régler des problèmes aussi ordinaires que la sécurité nationale. L’est du Congo, avec ses immenses gisements de coltan, d’or, de pétrole, de cassitérite, de diamants,… est en train de passer sous le contrôle du Rwanda dissimulé derrière une rébellion de paille, le M23. Les autorités de Kinshasa, installées au pouvoir par le régime de Paul Kagamé, ne peuvent pas faire face militairement et battent en retraite. On ne se bat pas contre ses maîtres. Les Congolais, jetés dans la nature, sont abandonnés entre les mains des ONG et des agences des Nations-Unies.
Pendant ce temps, à Kinshasa, les députés, issus des élections contestées, s’octroient tout de même une confortable rémunération mensuelle de 13 mille dollars[10], tandis que les ministres passent à 30 mille dollars. Plus du double des revenus versés aux députés[11] et aux ministres[12] français[13]. Une confirmation de plus que ces dirigeants-là vivent vraiment dans un autre monde que celui de « leur » peuple. Au Congo-Kinshasa, pays le plus pauvre du monde, le soldat, pourtant en guerre, perçoit une solde, irrégulièrement versée, d’environ 50 dollars, tandis que l’enseignant, fonctionnaire d’État, est tout simplement laissé à la charge des parents d’élèves.
Ainsi, les Congolais se retrouvent entre les mains d’un régime sans réelle légitimité (imposé de l’extérieur), anti-démocratique (hold-up électoral), incapable de régler les problèmes économiques et sociaux (extrême pauvreté des Congolais) ni de protéger la population et le territoire national (débâcles militaires à répétition dans le Kivu), mais brutal vis-à-vis des populations civiles (massacre des populations dans le Bas-Congo[14], assassinats, dont celui du militant des droits de l’Homme Floribert Chebeya qui enquêtait sur ces yueries).
Le Président Hollande a dû se demander par où commencer. Malgré les trépignements du « régime », il a tenu à honorer la mémoire du militant des droits de l’Homme assassiné en 2010 dans les locaux de la police à Kinshasa. En inaugurant une plaque au Centre culturel français de Kinshasa et en faisant rebaptiser la médiathèque « Floribert Chebeya », le Président français a sûrement commencé là où il faut commencer. Les droits de l’Homme. Car la République Démocratique du Congo est avant tout un désastre en matière des droits de l’Homme. Le pays se trouve en effet en proie aux pires exactions qu’on puisse infliger à un peuple en même temps : massacres récurrents, viols de femmes à grande échelle (capitale mondiale du viol[15]), sanctuaire de l’impunité et gigantesque charnier (six millions de mort).
Si Paris peut, comme on a pu l’espérer, empêcher la prise de Goma par les troupes rwandaises (dissimulées, comme d’habitude, derrière le M23), ce serait le plus grand répit pour le peuple congolais depuis 18 ans. En entendant le Président français marteler son attachement à l’intangibilité des frontières du Congo-Kinshasa, les habitants de Goma ont poussé un ouf de soulagement. Depuis la débâcle militaire, les Congolais savent le sort qui les attend dès la chute de la ville : massacres (les assassinats, comme un signe annonciateur, ont commencé çà et là dans la ville, infiltrée et encerclée), viols, pillage, exode des populations. Si Paris peut traduire son engagement dans les actes (résolutions au Conseil de sécurité de l’ONU, sanctions contre le Rwanda, envoi de troupes françaises pour protéger la population), il n’y a pas de temps à perdre.
Paris l’a déjà fait, avec succès, en 2003, dans la province voisine d’Ituri, dans le cadre de l’opération Artémis. En moins d’une semaine, l’armée française avait réussi à stopper les massacres interethniques et à neutraliser les « seigneurs de guerre » locaux. Nombreux d’entre eux ont été, depuis, capturés et traduits devant la Cour Pénale Internationale (Thomas Lubanga[16], Germain Katanga, Mathieu Ngudjolo).
Le chantier qui suivra sera celui de l’instauration progressive d’une gouvernance responsable afin de tourner définitivement la page au désordre actuel qui fait du Congo, à l’Est (crise militaire) comme à l’Ouest (crise de légitimité politique) un désastre intégral.
Boniface MUSAVULI
[1] Dans l’Est du Congo, chaque famille a perdu au moins un membre du fait de la guerre qui se poursuit depuis 1996.
[2] Dans l’affaire du génocide rwandais, il n’y a que deux certitudes : sa reconnaissance (Résolution 955 du Conseil de Sécurité de l’ONU) et l’effectivité des tueries à grande échelle à travers le pays. Au-delà de ces deux certitudes, tout (y compris le « rôle de la France ») est « pollué » par un déluge de mensonges d’Etat, des postures partisanes, l’obsession de la propagande, des « recherches » et publications commanditées, l’opportunisme médiatique. Mais, pour les Congolais, tout le bruit autour du génocide rwandais fut un moyen de masquer les tueries et le pillage qui se déroulaient au Pays de Lumumba.
[4] Pas un seul dirigeant rwandais, ni civil ni militaire, n’a jamais été poursuivi pour les crimes commis au Congo, des crimes pourtant répertoriés dans d’innombrables rapports d’ONG (Amnesty International, Human Rights Watch, FIDH, ONG locales,…) et même des experts mandatés par l’ONU (voir rapport du Projet Mapping – août 2010 // http://www.ohchr.org/Documents/Countries/ZR/DRC_MAPPING_REPORT_FINAL_FR.pdf).
[5] http://archives-fr.novopress.info/12234/extermination-des-animistes-et-des-chretiens-du-darfour-par-les-musulmans-%C2%AB-un-genocide-de-grande-ampleur-%C2%BB/
[6] L’ambassadeur américain chargé des crimes de guerre au Département d'Etat, Stephen Rapp, a affirmé au journal britannique The Gardian, que le Président rwandais Paul Kagamé pourrait être poursuivi devant la Cour Pénale Internationale.
[7] Inefficaces pour protéger les populations, comme dans de nombreux conflits, mais ce n’est pas le sujet.
[9] http://www.hrw.org/fr/news/2011/12/21/rd-congo-24-morts-depuis-l-annonce-du-r-sultat-de-l-lection-pr-sidentielle
[11] Un député français perçoit une indemnité parlementaire de 5 514,68 € brut mensuel
[12] Un ministre français perçoit un traitement brut mensuel de 11 029,36 €
[13] 5ème puissance économique du monde
[15] La RD Congo est « la capitale mondiale du viol » selon Mme Margot Wallström, l'envoyée spéciale de l'ONU pour les violences faites aux femmes et aux enfants dans les conflits. (http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20100428114305/)
[16] L’ancien seigneur de guerre d’Ituri, Thomas Lubanga, a été condamné le 10 juillet 2012 par la Cour Pénale internationale pour crimes de guerre commis en Ituri (RD Congo). Il est le premier condamné de la CPI.