Hong Kong sous un autre angle

par Sonia Bressler
samedi 18 octobre 2014

Sous le doux nom des « parapluies de Hong Kong » nous assistons impuissants en à un double jeu d’information et de désinformation. Certains médias n’hésitent pas à titrer « la révolution des parapluies », d’autres s’interrogent. Tous tirent à vue sur la Chine. Et j’ai le sentiment que personne n’accepte de voir ce qui se déroule pourtant simplement sous nos yeux. En tant que chercheuse infatigable, je ne supporte plus d’entendre des mots privés de leur sens. Savez-nous encore ce que signifie le mot « révolution » ? Ou bien jouons-nous simplement sur l’image qu’il renvoie auprès des inconscients collectifs ?

Entre les illusions démocratiques occidentales et les rêves d’une jeunesse bercée et éduquée dans un entre deux, il nous faut faire une mise au point.

 

Les faits

Commençons par les faits, ils sont clairs et simples : Occupy Central est un mouvement de désobéissance civile qui a débuté à HK le 28 septembre 2014. Il a été lancé par Benny Tai un professeur de droit à l’Université de Hong Kong. Il a appelé, à cette date, des milliers de gens à bloquer les routes et à paralyser le centre de la ville si les gouvernements de Pékin et de Hong Kong n'accédaient pas à leur demande : le suffrage universel pour l'élection du « Chef exécutif en 2017 » et celle du Conseil Législatif en 2020.

Le 28 septembre une manifestation pacifiste. Le lendemain pareil sauf que les policiers ont lancé des gaz lacrymogènes vers 17h. Ce geste soulève l’indignation mondiale et c’est le début des amalgames avec les manifestations de la Place Tien’anmen (de 1989).

Le 30 septembre plusieurs quartiers sont bloqués. De nouveau, les Hongkongais décident d'arrêter de travailler et de rejoindre les manifestants pour protester contre le recours à la force. On estime le nombre des manifestants à 70 000. Les réseaux sociaux deviennent inaccessibles (attention je le souligne mais c’est exactement ce qui arriverait si nous étions en France, aux Etats-Unis ou ailleurs). Désormais les manifestants passent par l’application FireChat. Cette technologie passant par Bluetooth, elle ne peut donc être stoppée, d’où son grand succès : 100 000 téléchargements en une seule journée.

L’asphalte est occupé, des tours sont organisés pour distribuer la nourriture, collecter les déchets, etc. Dans les médias, commencent à apparaître les figures de Joshua Wong (17 ans) et de Alex Chow et de Lester Shum, le secrétaire général de la Fédération des étudiants de Hong Kong et son adjoint. Alex Chox et Lester Shum ont été détenus plus de 40 heures à partir du vendredi soir pour avoir franchi les barricades érigées autour de Civic Square, dans le complexe du gouvernement de Hong Kong.

Peu à peu on évoque le doux nom de révolution avec ses idoles, ses martyrs potentiels et plus personne ne cherche à interroger ni l’histoire de Hong Kong, ni la parole des autres habitants. Puis peu à peu les médias occidentaux se détournent de ce mouvement. Nous somme le lundi 13 octobre et Le Monde évoque les suites. Ce matin les barricades ont été retirées par des policiers afin de rétablir la circulation. « Des dizaines d'hommes masqués ont fondu sur les manifestants prodémocratie qui campaient encore, lundi 13 octobre, sur le principal site de la protestation à Hongkong. La police s'est interposé entre les deux groupes avant que les assaillants ne disparaissent » (Cf. Le Monde avec AFP & REUTEURS)[1] -

 

Qu’est-ce qui est en jeu ici ? Et finalement qu’est-ce qu’Hong Kong ?

Hong Kong signifie « port aux parfums » ou « port parfumé », sous ce nom on se prend à rêver à des odeurs d’épices, de soies, de parfums, etc. Il y a comme une mythologie à Hong Kong. Comme le souligne si bien Wikipedia « officiellement Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine, est la plus grande et la plus peuplée des deux régions administratives spéciales (RAS) de la République populaire de Chine (RPC), l'autre étant Macao. Elle compte environ sept millions d'habitants que l'on appelle Hongkongais ».

Remontons un peu dans l’histoire, vers 1830. À cette époque, Hong Kong est un joli port de pêche qui compte 7500 habitants (majoritairement des pêcheurs et des producteurs de charbon de bois). Mais sa position stratégique sur la rive orientale de la Rivière des Perles, sur la côte sud de la Chine (jouxtant la province du Guangdong au nord) attire les convoitises. Hong Kong devient très vite le lieu « relais » de Canton. Toutes les marchandises transitent ici. Les britanniques s’y installent. Ils feront valoir leur présence lors de la Première guerre de l’Opium (entre 1839 & 1842). Le Traité de Nankin (29 août 1842), établit de nouvelles possibilités pour les occidentaux. Il ouvre quatre nouveaux ports au commerce et proclame la cession de l'île de Hong Kong au Royaume-Uni. La Chine est aussi dans l'obligation de verser des indemnités de 21 millions de dollars sur 4 ans, pour la drogue détruite en 1839.

Ce traité fait partie intégrante des « Traités inégaux » 不平等條約. Cette expression désigne un ensemble de traités datant du 19ème siècle, imposés à la Chine, la Corée, et le Japon de la fin de l'époque Edo par les puissances occidentales colonisatrices de la région (Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Allemagne, Russie, États-Unis, Autriche-Hongrie, Portugal, ainsi que le Japon de l'ère Meiji).

Au cours de la seconde Guerre de l’opium (de 1856 à 1860), la Grande Bretagne s’empare du territoire de Hong Kong. Elle y installe un comptoir. Très appauvrie après l’occupation japonaise au cours de la Seconde Guerre mondiale, Hong Kong connaît une forte croissance économique à partir des années 1960. Elle devient l’une des principales places financières et boursières mondiales.

Tandis que la Grande Bretagne est fortement affaiblie par la Guerre des Malouines, la Chine négocie la rétrocession de Hong Kong. L’accord sino-britannique de 1984 signé par Deng Xiaoping et Margaret Thatcher accorde au territoire le statut particulier de Région Administrative Spéciale et prévoit la rétrocession pour le 1er juillet 1997. Il précise également que Hong Kong devra conserver de 1997 à 2047 un certain degré d’autonomie en vertu du principe "Un pays, deux systèmes". L’Assemblée nationale populaire chinoise adopte en ce sens en 1990 une Loi fondamentale garantissant à Hong Kong la conservation de sa monnaie, de son administration et de son système judiciaire.

 

« Un pays, deux systèmes »

« Notre politique consiste à appliquer le principe dit « un État, deux systèmes » ; pour parler plus précisément, cela signifie qu'au sein de la République populaire de Chine, le milliard et demi de Chinois habitant la partie continentale vit sous un régime socialiste, tandis que Hong Kong, Macao et Taïwan sont régis par un système capitaliste. Ces dernières années, la Chine s'est attachée à redresser les erreurs "de gauche" et a élaboré, dans tous les domaines, une politique qui tient compte des conditions réelles. Cinq ans et demi d'efforts ont porté des fruits. C'est précisément dans cette conjoncture que nous avons avancé la formule « un État, deux systèmes » pour régler le problème de Hong Kong et de Taïwan. » Deng Xiaoping

D’un point de vue linguistique l’expression « deux systèmes », signifie que deux systèmes coexistent au même endroit, au même moment. Comment en un même lieu, en une même place faire coïncider deux systèmes (économique, social, etc.) si différents ? C’est un pari historique plus que risqué. D’un point de vue global, c’est très intéressant. Appliquer un double système, c’est chercher à ne garder que le meilleur de chacun des systèmes, devenus des sous-systèmes de ce nouveau système. Cet entre-deux est unique. Il fait progresser un nouveau système qui se nourrit des avancées de ces deux sous systèmes : le capitalisme et le socialisme. Il convient donc de voir comment, dans le futur, la fusion de ces deux systèmes serait possible pour le bien commun de l’ensemble de la population chinoise.

Mais si nous prenons l’effet sur les esprits de chaque citoyen, nous pouvons y lire très vite les failles. Deux systèmes signifient alors que chacun, en fonction de sa propre expérience, de sa propre histoire (donc de ses frustrations), va espérer selon un des systèmes. Peu à peu, de génération en génération, se transmet une forme d’idéalisme doublée d’une fantasmagorie qui est propre à chaque citoyen. Comment dès lors accepter une situation contractuelle établit des années en arrière ?

Selon l’article 31 de la Constitution de la République populaire de Chine[2] « L’Etat établit, en cas de besoin, des régions administratives spéciales ; les systèmes à appliquer dans ces régions administratives spéciales sont déterminés sous forme de loi, selon la situation concrète, par l’Assemblée populaire nationale ». Il faudra attendre début de l’année 1983 pour que le gouvernement chinois formule douze points fondamentaux qui régissent Hong Kong.

Au point numéro deux, on peut lire « la Chine créerait, en vertu de l’article 31 de la Constitution, une région administrative spéciale à Hong Kong, qui relèverait directement du gouvernement populaire central et jouirait d’une autonomie de haut degré ».

Au point trois, on peut lire « la Région administrative spéciale de Hong Kong serait dotée du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire indépendant ».

Le point quatre stipule clairement « le gouvernement de la Région administrative spéciale serait constitué d’habitants locaux, les principaux membres du gouvernement seraient nommés par le gouvernement populaire central sur la base des résultats des élections ou consultations organisées dans les différentes régions de Hong Kong ». Le cinquième article établit que les acquis sociaux en matière de système de santé, de liberté d’expression, etc. seraient préservés.

Le dixième article précise que Hong Kong peut et est encouragé à poursuivre ses relations extérieures avec les autres pays.

Enfin le douzième article explique la durée de ce contrat : cinquante ans.

Ce système est donc conçu pour durer jusqu’en 2047.

 

Les parapluies ou les désillusions démocratiques occidentales

Les parapluies ont fleuri sur le bitume de Hong Kong, les gratte-ciels se jouent de ces multitudes de couleurs, les colères grondent. Mais quand on prête attention à ce que se joue réellement, nous entendons un écart de langage. D’un côté, la volonté du gouvernement chinois est inchangée : faire fonctionner, cohabiter ses deux systèmes en vue d’en créer un meilleur pour l’ensemble de la Chine. De l’autre, les interlocuteurs ont changé : ils sont plus jeunes, ils sont bercés des illusions démocratiques occidentales. Mais s’ils regardent bien, même quelques générations avant eux, le droit de vote n’existait pas et n’était pas même envisagé.

Si maintenant nous élargissons le prisme : « le suffrage universel » qu’est-ce que c’est ? Cette expression désigne le vote de l’ensemble des citoyens (par opposition au suffrage censitaire ou au suffrage capacitaire).

Dans sa version moderne, le « suffrage universel » est individualisé. Il s'effectue donc selon le principe un homme = une voix, contrairement au vote plural ou au vote familial. C’est Diderot qui en 1765 utilise pour la première fois cette expression de « suffrage universel » dans le sens de « vote à l'unanimité ». Mais, c’est à Guizot que nous devons le sens actuel du suffrage universel comme « droit de vote attribué à tous les électeurs ». Reste donc à définir qui sont les électeurs. Par exemple, en France, les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944.

Ainsi nous voyons que le « suffrage universel » brandit comme pierre angulaire de la « démocratie » est une représentation, un mythe. C’est en effet un droit essentiel à toute population, mais ce n’est pas le seul.

Il faut donc déjouer les expressions toutes faites, les regarder sous différents angles pour en comprendre les enjeux.

 

Derrière les parapluies : l’acheminement à la parole

Quand on grandit dans un territoire aux « deux systèmes » cela a des conséquences. Comme évoqué plus haut, chacun, en fonction de sa propre histoire va chercher à s’attacher au système qui lui convient le mieux. Ce système devient une utopie et par la-même un endroit impossible, un système sans lieu réel, sans réalité concrète. Par, ce que j’appelle, le phénomène de la contagion des réels, chaque individu ayant cette utopie va se regrouper, se retrouver sous un étendard commun sans pour autant y placer la même chose. Chaque parapluie est une mosaïque. Chaque morceau de la mosaïque reflète de toute évidence une vision de ce « suffrage universel », de cette « démocratie » en marche. Mais si nous prenions chaque personne à part, les descriptions de la société envisagée seraient toutes différentes.

Du côté du gouvernement chinois, il faudrait prendre en compte cette réalité d’une jeunesse qui a grandit dans un « entre-deux ». Ce que nous voyons sous nos yeux, est un moment de déséquilibre. Le moment précis où la réalité d’un système (établi il y a des années) tend un miroir insupportable à cette jeunesse qui n’a pas connu la période au cours de laquelle le traité a été signé. Elle s’est donc bercée d’illusions démocratiques occidentales. Elle rêve en panoramique, en réseaux sociaux. Face à elle, pour continuer à faire fonctionner avec harmonie le traité « un pays, deux systèmes », il faut laisser cette jeunesse exprimer ses rêves. Ils sont des bulles de couleurs festives. Il faut écouter. Dans l’écoute, il y a la parole, la pédagogie. Dans cet acheminement commun à la parole, le traité « un pays, deux systèmes » grandira, évoluera avec harmonie vers un système unique qui embrassera les deux sous-systèmes existants.

 



[1] http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/10/13/a-hongkong-la-police-demantele-les-barricades-des-pro-democrates_4504908_3216.html

[2] Approuvée et promulguée le 4 décembre 1982 par la 5ème sessions de la Vème Assemblée populaire nationale.


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