Huckabee. Le Messie est là !

par Pierre JC Allard
vendredi 11 janvier 2008

Tout semble aller chaque jour un peu plus mal et il suffit de lire un journal américain pour comprendre que nous sommes en toute fin de civilisation.

Ce n’est pas seulement les grands dossiers qui vont au diable - Irak, crise des subprimes, prix du pétrole, 2 000 000 d’individus en prison, etc. - mais la vie au quotidien qui témoigne de la décadence. La décadence de ces gens qui tuent pour rien dans les écoles ou les centres d’achat, de ce type qui s’amuse à faire battre des chiens, d’une justice qui met un adolescent en prison 5 ans, parce ce qu’on lui a fait une pipe, la décadence qui est PARTOUT.

Le système néo-libéral ne nous gouverne plus comme un peuple, mais nous exploite comme un cheptel... et de plus en plus on se conduit comme des bêtes. Qui nous débarrassera du régime néo-libéral ? Personne ne peut raisonnablement nous en libérer, car le régime néo-libéral est stable. Il manie l’ultime instrument de pouvoir : la CORRUPTION. L’Église, les syndicats, quiconque est une menace pour le système parle un peu, reçoit son prix... et se tait. Il n’y a pas de RAISON pour que le système néo-libéral prenne fin.

Aucune raison. Il reste le déraisonnable. L’individu "déraisonnable", celui qui considère comme trivial, voire méprisable, ce que la richesse peut acheter, est incorruptible. Quiconque ne cherche pas à optimiser ses avantages devient incorruptible ; il devient donc un adversaire redoutable pour le régime car le capitalisme, n’ayant aucun idéal à offrir, est absolument démuni quand il est privé de l’arme de la corruption. Quiconque ne veut pas de ce que le système peut offrir en devient le seul adversaire efficace. Mais qui ne veut pas de ce que le système peut offrir ?

Ne pensons pas à "ceux qui n’ont rien" et donc rien à perdre ; cette illusion a été la tombe de l’expérience communiste. Ceux qui n’ont rien ne sont pas déraisonnables ; ce sont, la plupart du temps, ceux qui se vendent à plus bas prix ! Ils sont immédiatement suivis de ceux qui ont peu, puis de ceux qui jugent qu’ils n’ont pas assez.

Ne pensons pas non plus à ces autres gens déraisonnables que sont les vertueux, modèle Robespierre, résistant à la tentation et abattant un système au nom de la justice ou de la liberté. Leurs autres travers mis à part, il n’y a jamais eu beaucoup de ces gens et nous avons un système d’éducation qui fait habilement en sorte qu’il y en ait de moins en moins. Il suffit de fréquenter les mouvements et groupuscules contestataires, pour voir à quel point leurs leaders et adhérents y cherchent une gratification plutôt qu’une action efficace.

Qui reste-t-il ? Ceux qui sont non seulement déraisonnables, mais irrationnels. Ceux qui ne veulent ni argent ni rien que le système peut offrir, mais AUTRE CHOSE qui n’est pas de ce monde. Les "fous de Dieu" qui peuvent mettre leur vie même dans la balance, puisque cette vie n’a pas d’importance réelle. Ceux-là sont des ennemis redoutables pour le système. Plus je réfléchis, plus j’incline à penser que ce sera un mouvement religieux qui apportera au néo-libéralisme son inévitable fin.

Ça, et rien d’autre. Mais quel mouvement religieux ?

Laissons les islamistes : c’est un simple leurre. Quand on cherche un élément "déraisonnable" qui pourrait devenir pour un temps imperméable à la corruption et s’opposer ainsi efficacement au système, il n’y a pas de meilleur candidat que le mouvement fondamentaliste américain. Une montée en puissance des mouvements religieux américains semble bien plus susceptible de réussir la mise à mort de la société néo-libérale qu’une démarche islamiste. Les fondamentalistes détiennent actuellement la balance du pouvoir aux USA. Ils sont le cheval de Troie dans les murs du système.

Il n’y a pas aujourd’hui d’opposition entre le système néo-libéral et le mouvement fondamentaliste américain, mais celui-ci n’en constitue pas moins un élément instable, une bombe amorcée au coeur de l’Amérique et qui n’attend qu’une étincelle pour exploser. Pourquoi ? Parce que la plus grande partie du mouvement fondamentaliste américain vit une insoutenable contradiction.

Tous ces Reborn Christians, à l’écoute de prédicateurs habiles qui leur extorquent des dizaines de milliards par année, se sont mis fanatiquement au service d’un message "chrétien" dont on a réussi le tour de force de faire disparaître la composante "charité", n’en gardant qu’une foi aveugle dans le nom de Jésus et des tabous sexuels mal précisés.

Il fallait bien la faire disparaître, cette composante charité, pour que ne saute pas aux yeux l’opposition entre le vrai message chrétien basé sur le partage et le système néo-libéral basé sur l’égoïsme et l’accumulation des richesses. Mais la charité étant l’essence même du message chrétien, le Reborn Christian ne peut trouver la charge émotive qu’on lui promet dans ce message chrétien amputé de l’essentiel, qu’en se convainquant sans cesse que l’amputation n’a pas eu lieu. En langage de psy, il "scotomise pour résoudre une dissonance cognitive".

C’est un état hautement instable. L’opposition irréconciliable entre le néo-libéralisme et les valeurs chrétiennes peut apparaître à tout moment - on dira "miraculeusement", le temps venu - spontanément ou, plus probablement, comme effet d’un calcul politique d’apprenti sorcier. Il suffit d’une étincelle. Un candidat à la présidence qui veut absolument "faire sortir le vote" en Iowa, par exemple, ou faire la différence dans une élection serrée en Floride.

Qu’il y ait combustion spontanée ou qu’on allume l’incendie, toutefois, le processus sera le même dans son déroulement comme dans ses effets.

Un "prophète" - de bonne ou de mauvaise foi - se manifestera qui viendra souligner cette opposition : "comment peut-on suivre Jésus et laisser les Africains mourir de faim ?", "comment peut-on suivre Jésus et bombarder les Afghans ?", "comment peut-on suivre Jésus et laisser des millions d’Américains sans soins de santé ?", "comment l’Amérique peut-elle être chrétienne et faire ce que fait l’Amérique ?" Sodome, Apocalypse, Armageddon... Jésus !

Le prophète prêchera au fondamentaliste que son âme immortelle est en péril imminent, si les politiques économiques et sociales néo-libérales ne sont pas changées. Il parlera de Satan et d’Antéchrist et donnera mauvaise conscience au fondamentaliste. Il lui fera terriblement peur.

Considérant l’extrême raffinement de l’équilibre politique aux USA - et les compromissions auxquelles sont prêts pour garder le pouvoir ceux qui ont été formés à l’école néo-libérale - l’émergence de millions de fondamentalistes réclamant une redistribution de la richesse - et tout aussi incorruptibles que sera grande leur peur de l’Enfer - changera le paysage politique américain plus rapidement et peut-être encore plus brutalement que ne pourraient le faire des attentats.

Rapidement, car Savonarole à la TV, avec un bon maquillage et des jeux de lumière, parlant de la charité à des fondamentalistes repentants et tout honteux de l’avoir négligée... Hitler peut aller se rhabiller ! Peut-être brutalement, car nul ne peut prévoir comment la situation résultante évoluera. Ce sera peut-être le modèle de l’Abbé Pierre, mais il se peut hélas, aussi, que la justice n’ait pas sa place dans ce qui pourrait devenir un règlement de comptes appliqué "au nom de Dieu". Il n’est pas dit qu’on ne va pas exproprier, confisquer, distribuer à tort et à travers, le temps que la raison revienne.

Les fondamentalistes, pour qui veut mettre fin au système néo-libéral, sont des alliés circonstanciels dangereux.

Je me souviens de cette phrase de Churchill - à qui l’on reprochait de devenir l’allié circonstanciel de Staline - répondant que si les Panzers envahissaient l’Enfer, il aurait un bon mot à dire pour le Diable. Churchill avait la répartie facile, mais tous les réfugiés de la Deuxième Guerre mondiale n’étaient pas rentrés chez eux, que Churchill parlait de "rideau de fer" et qu’on était déjà en pleine Guerre froide.

Si 50 millions de fondamentalistes américains nous débarrassent du néo-libéralisme - et je ne vois pas qui d’autre pourrait le faire, maintenant que le système néo-libéral a bloqué toutes les avenues raisonnables de changement - il faudra bien s’y résigner. Mieux vaut sans doute accepter que la voie de l’irrationnel canalise toutes les frustrations et apporte un changement, plutôt que de supporter indéfiniment l’exploitation machiavélique que le système libéral nous impose. Mais ce n’est pas un scénario qui me réjouit.

Une meute de toqués lançant une Inquisition. Le remède ne serait-il pas pire que le mal ? Un régime dominé par des Croisés et des Zélotes ne serait-il pas encore plus exécrable que notre structure actuelle de banquiers et de shylocks ? La Nouvelle Société, que je croyais en première ligne pour prendre la relève du néo-libéralisme moribond, me semble soudain avoir été reléguée au second rang par un fort à bras qui s’appelle Fanatisme.

Si ce sont ces "alliés circonstanciels" qui doivent mettre fin à l’exploitation, il faudrait penser tout de suite à ouvrir un "deuxième front" et voir ce qu’il est possible de faire pour qu’un "nouveau christianisme" reprenant le pouvoir soit plus tolérant, plus évolué, plus humain ... Plus chrétien que l’ancien.


Pierre JC Allard


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