Huggy les mauvais tuyaux, ou les magouilles irakiennes

par morice
lundi 24 novembre 2008

On s’en doutait, et les preuves parviennent au compte-gouttes à l’extérieur : l’Irak n’aura servi qu’à certains, qui ont détourné tout l’argent envoyé pour sa reconstruction. Les seuls bénéficiaires de cette occupation ne seront donc jamais les irakiens eux-mêmes, mais bel et bien la poignée de contractants étrangers ayant hérité de la manne offerte par un Congrès US fort peu scrupuleux en définitive sur l’usage des millions de dollars octroyés. L’argent de l’aide s’est en majeure partie évaporé... pour atterrir directement dans les poches des entreprises toutes étroitement liées au pouvoir en place. Ce n’est plus une occupation, c’est un tiroir-caisse constamment ouvert, ou Dick Cheney venait lui-même puiser des émoluments en qualité d’administrateur d’Halliburton, par exemple. Des contrats remportés sans appels d’offres, en particulier lui auraient permis de faire fortune. Depuis 2003, aucune étude sérieuse n’a été entreprise sur les résultats obtenus sur les chantiers de reconstruction, aucun bilan n’ été fait... Une fois l’argent versé, on a fait semblant de creuser... au cas où une vague commission de contrôle passerait, et après on a tout laissé en plan. Sans même parfois reboucher. La reconstruction irakienne est un désastre. Couvert et entretenu par les autorités mises en place par les américains.

Et comme d’habitude, on a le droit en priorité à la propagande américaine, une propagande dans toute sa splendeur dans le domaine de la reconstruction. Ehontée, spécialement celle d’USAID, très certainement le pire organisme qui existe, car sous l’aspect d’une aide humanitaire est bien le relais direct d’une politique et des agissements déguisés de la CIA. "L’agence Usaid publie régulièrement un bulletin, Iraq reconstruction weekly update, qui voit dans la reconstruction de l’Irak une suite sans fin de projets extraordinaires, de miracles qui améliorent la vie des citoyens, lesquels seraient pénétrés d’admiration et de gratitude. Le ministère de la défense américain et les organismes associés éditent des rapports dithyrambiques sur les immenses progrès accomplis" nous disait le monde diplomatique en avril 2007 sous la plume de Joy Gordon, qui dénonçait la duplicité de l’organisme humanitaire et les dégâts des marchés conclus à la hâte sous le titre significatif de "En Irak, la reconstruction aussi est un échec". Une duplicité flagrante : même sous la forme de rapports bidons, le site a de plus en plus de mal à annoncer quelqu’avancement de travaux que ce soit dans le pays. Pour l’année 2008, on a eu droit à un numéro spécial d’août, et c’est tout. Nulle trace de de la mise à jour hebdomadaire promise. A peine une photo sur un tracteur antédiluvien descendant dans un lac une roue à aubes "pour oxygéner les poissons" (rien n’est dit sur le taux d’uranium appauvri de l’eau !), un match de foot entre irakiens et un bout de page sur le microcrédit avec au milieu ce titre en forme de superbe injonction de méthode coué  :"generating optismism" dit-on.... Rien, le néant. Même au temps de la colonisation soviétique de la Mer D’Aral, devenue un désert, on est pas allé aussi loin dans les paroles creuses d’autosatisfecit.

Le 28 juillet 2008, l’Hufftington Post révèle la photo d’un énorme complexe en béton et parpaings, situé à quelques miles de Bagdad, le Khan Bani Saad Correctional Facility. Ce devait être une prison de 1800 places, construite par la firme américaine Parsons, ça ne le sera jamais. "It’s a bit of a monument in the desert right now because it’s not going to be used as a prison," précise l’inspecteur Bowen qui vient de la découvrir. 40 millions de dollars y ont été investis. Pour rien : l’ensemble n’a jamais été terminé, et ne le sera jamais. Le bâtiment a été construit à la n’importe comment, en béton parfois sans armature "many concrete walls lack proper iron reinforcements and "can collapse at anytime" dit Sayyed Rasoul al-Husseini, le chef du village de Khan Bani Saad où a été bâti le momument inutile. Sans, ou avec, mais avec des coffrages défecteux et de l’acier visible prêt à rouiller. Le naufrage complet "Bowen said the prison was part of a $900 million Parsons contract to build border posts, courts, police training centers and fire stations. It was one of 12 contracts awarded in 2004 in hopes of restoring Iraq’s infrastructure. Of 53 construction projects in the massive Parson contract, only 18 were completed.As of this spring, Parsons had been paid $333 million. More than $142 million of that _ or almost 43 percent _ was for projects that were terminated or canceled." Parsons s’est bien goinfré au minimum 333 millions de dollars pour ne même pas réaliser la moitié de ses contrats ! Et ce n’est pas tout : durant la construction, on a entreposé sur place pour 1,2 million de dollars d’outils : pelles, pioches, etc... Comme la construction n’a pas été finie, la clôture autour non plus : résultat, tout le matériel a disparu depuis. Volé. La différence entre la propagande US annonçant les travaux et le résultat final est sidérant. Vu d’avion, le désastre est patent. D’autres contrats paraissent tout aussi suspects. Celui-ci par exemple. Très peu de photos pour 33,8 millions de dollars ! Quant à savoir ce que fiche une firme de bâtiment dans le transport de missiles...

Par rapport aux sommes allouées c’est incroyablement affligeant : dans le rapport de 2007 (annoncé "weekly updated", or il n’y a aucune mise a jour !), on apprend que Bechtel a touché 1 263 411,678 dollars, pour la reconstruction de batiments tels que "airports, buildings, emergency communications, power, railroads,roads and bridges, Umm Qasr seaport, water and sanitation, Basra Hospital"... En août on présentait toujours le cas affligeant de Bassorah avec un "projet" à 730 000 dollars pour la construction d’une aile de 618 mètres de long dédiée au traitement rénal qui devait être terminé en 6 mois. Une unité chargée surtout de masquer l’état sanitaire des eaux de la "venise du Moyen-Orient".. : en juillet 2006 c’était l’annonce d’un hôpital pour enfants faite à grands renforts de publicité par Laura Bush elle-même... qui avait été... annulée, sous une excuse qui vaut son pesant de dollars : "But U.S. officials dropped contractor Bechtel Corp. from the project after it missed deadlines and ran up big cost overruns, Dr. Chasib Latif Ali, executive director of the Health Ministry, told The Associated Press. Bechtel Corp. blamed the problem on Iraq’s security crisis." Toute l’hypocrisie d’un système de propagande dans la réponse de l’officiel  : "ah oui, mais on ne peut rien construire sous les attentats". Ces mêmes attentats qui n’existent plus, selon la même propagande, déjà, à la même époque : officiciellement il y en a plus, mais quand ça ne construit pas on en retrouve sous les tapis ! La réalité est bien plus triviale : Bechtel avait trop gonflé ses coûts : "The United States is dropping Bechtel, the American construction giant, from a project to build a high-tech children’s hospital in the southern Iraqi city of Basra after the project fell nearly a year behind schedule and exceeded its expected cost by as much as 150 percent," nous apprend le Washington Post le 28 juillet 2006 : rien à voir avec la sécurité. Rien du tout : l’habituelle gourmandise d’une entreprise, rien d’autre ! Selon plusieurs sources, la firme Halliburton et sa filiale KBR qui fournit essence et plateaux repas aux GI’s est sur la sellette  : "une responsable du génie militaire a mis en cause directement son état-major. Dans un courrier au gouvernement, Bunnatine Greenhouse affirme avoir été soumise à des pressions pour qu’Hallibuton remporte des contrats sans appel d’offres. A l’annonce des résultats financiers, le PDG de KBR a préféré éviter le sujet. Andy Lane précise pourtant que les contrats de son entreprise avec le gouvernement ont été porté de 4 à 8 milliards de dollars entre 2001 et 2005. John Kerry, le candidat démocrate à la présidence a repris ces chiffres à son compte pour en faire le symbole de la collusion entre le gouvernement et certains milieux industriels". Un John Kerry pressenti pour obtenir un portefeuille chez Obama, qui pourrait être tenté de fouiner davantage dans les comptes de ...Dick Cheney. L’heure de la vengeance approche. Dick pourrait fort mal finir ses longues années de service (39 ans !) auprès de l’Etat. Car il n’a pas bénéficié que de la guerre en Irak.


Sur place, en juillet 2008, sur 180 hopitaux annoncés, et 142 officiellement signés avec un seul contractant (Bechtel) seuls... 6 avaient été terminés ! Bechtel, le constructeur sélectionné avait pourtant bien empoché les 50 millions de dollars dès 2004... sans avoir à rendre de compte finaux. Au total, le budget est passé à 186 millions de dollars. Autre fine excuse trouvée : "a Health Ministry spokesman in Basra, Kadhim Radi Hassan, said a hike in the price of construction materials imported from Kuwait helped drive up costs." L’inflation et la crise économique ont autant bon dos là-bas qu’ici. Le résumé de la position des américains en Irak c’est "ce n’est pas de notre faute mais celle des autres". Voici maintenant le Koweit pointé du doigt : pourquoi pas, pourrait-on se dire en jouant les candides et les fausses excuses. En 2003, Bechtel annonçait avoir signé pour 680 millions de dollars de contrats au total en Irak. Pas un contrat n’a été terminé en temps ni livré tel qu’il avait été défini au départ : beaucoup sont arrêtés et ne reprendront pas. En revanche personne n’est revenu sur les liens étranges entre Bechtel et la famille Ben Laden... "Bin Laden’s estranged family, a sprawling, extraordinarily wealthy Saudi Arabian dynasty, is a substantial investor in a private equity firm founded by the Bechtel Group of San Francisco" dit pourtant et clairement le New-Yorker, dès 2003, sans être beaucoup écouté.

Aujourd’hui c’est le New YorkTimes qui en remet une couche, et une bien épaisse, bien plus épaisse que la peinture blanche recouvrant les Humvees défectueux de la police irakienne. C’est à propos de la distribution d’eau à Fallujah : le journal parle de gabegie véritable, dénonçant les adductions sans pompe faute d’électricité, toujours aussi défaillante, ou le manque d’argent pour relier les maisons au réseau d’égoût abandonné lui aussi en plein milieu de la rue. Pourtant, comme le note le journal, selon l’armée US tout se passait bien "the Army Corps has repeatedly promoted the Falluja project as a remarkable success in its constant stream of news releases on Iraq reconstruction." En fait, les militaires ont constamment baratiné : en avril dernier, ils annonçaient que le projet avait démarré en mai 2007 et qu’il y avait certes un léger retard... en réalité la construction durait depuis 2004 et devait initialement être terminée en 18 mois ! Des inspecteurs dépêchés sur place par Ryan Croker ont découvert en prime que les raccords aux maisons avaient été scellés par une entreprise irakienne appelée pour finir la tâche : celle-ci, impayée, avait tout bétonné de dépit : le gouvernement irakien avait empoché l’argent à sa place ! Le régime de Saddam Hussein, qui volait constamment son propre pays a laissé de sévères traces en plus haut lieu : comme en Afghanistan, la corruption est de règle. Des irakiens écœurés avaient bien tenté de finir eux-mêmes les travaux et de réaliser eux-même leur adduction d’eau, mais dans des conditions incroyables d’insalubrité : deux gamins qui avaient tenté de descendre dans les égoûts pour le faire étaient morts axphyxiés par les émanations de gaz ! Un bébé de 3 ans était tombé dans les égoûts, car la plaque qui recouvrait l’un d’entre eux ne tenait même pas  ! Au final, le commentaire de l’inspecteur principal US est sans appel "Of the more than 130 inspections we’ve done of projects in Iraq, this is the most dangerous we’ve seen for the people involved, it boggles the mind as to what they were thinking"

La pitoyable incapacité des Etats-Unis à fournir eau et électricité et à faire redémarrer l’économie, le pillage éhonté du pays et les sommes exorbitantes versées à des sociétés américaines pour une reconstruction hâtive ont alimenté une insurrection qui exige le départ des troupes étrangères. Des manifestations ont eu lieu ces dernières semaines dans les rues : elles traduisent en même temps une profonde insatisfaction, mais elles accusent surtout un pouvoir en place, celui du premier ministre Nouri al-Maliki dont on n’imagine absolument plus qu’il puisse rester une semaine en place les américains une fois partis. Il est tout simplement haï par la population pour une raison encore une fois extrêmement simple : il est corrompu jusqu’à la moëlle, ce que révèle également le NYT dans une autre édition du 17 novembre, sous un titre ravageur : "L’Irak éjecte tranquillement ses officiels anti-corruptions". Maliki, depuis plusieurs mois, en effet, démissionne tous les fonctionnaires chargés de lutter contre la corruption dans le pays, et là encore pour une raison simple : c’est que tous les dossiers qu’ils élaborent convergent ... vers lui et vers son gouvernement !

Une corruption qui a pris une dimension gigantesque, précise le NYT : "One Iraqi former chief investigator recently testified before Congress that $13 billion in reconstruction funds from the United States has been lost to fraud, embezzlement, theft and waste by Iraqi government officials". Les sagouins au pouvoir ont réussi à ponctionner 13 milliards de dollars d’aide à eux seuls ! Selon les informations dont on dispose, sur 30 ministres, 17 ont vu leur responsable anti-corruption retiré du service du minstère. Parmi ceux-ci en premier les "Ministries of Water Resources, Culture, Youth and Sport, and Trade". En premier donc celui chargé de l’eau, dont l’impéritie va conduire à un sérieux problème sanitaire dans le pays, avec la résurgence d’épidémies endémiques telles que le choléra ou le typhus. Maliki, avait été déjà l’objet de sévères remontrances de la part d’un juge chargé de vérifier l’intégrité publique Rathi al-Rathi, (Radhi al Radhi) qui a subi des pressions énormes de la part du gouvernement : après avoir lui-même été accusé de corruption par Maliki, il a dû quitter le pays, sa femme ayant reçu des menaces de mort : il est réfugié depuis l’été 2007 aux Etats-Unis, où il doit tous les jours songer à un pays qui n’en finit pas de se faire exploiter jusqu’au trognon par une poignée d’hommes politiques véreux. Que va donc en penser Obama ? Mystère. En France, on avait déjà émis un idée via la bouche de notre Bernard national... Maliki, Karzaï.... de sacrés problèmes en perspective pour Obama... selon d’autres sources, ce sont 80% des 21 milliards d’aide qui ont fondu comme neige au soleil. La facture s’approcherait des 17 milliards évaporés !

On savait que le gouvernement en place était fait d’hommes liges, on ne savait pas à quel point ils imiteraient leurs vainqueurs en venant eux-aussi se servir dans la caisse. Selon un observateur tel que Stuart Bowen, nommé "Special Inspector-General for Iraq Reconstruction" c’est près de 10% du budget du pays qui disparaît en coulage intensif. Avec un retour de bâton effrayant : l’argent prêté par les USA pour redresser le pays, au final... se retrouve à servir à acheter des armes pour abattre des soldats US nous dit Bowen "This money that’s stolen doesn’t merely enrich criminals," Mr Bowen said. "(It) frequently goes out to fund criminal militias or insurgents. That means lost lives for US troops."... une incroyable suite d’événements que nous pressentions il y a déjà longtemps dans l’article sur les détournemets d’armes dans le pays. Bowen annonçait déjà en 2006 la perte de 14 000 armes destinées au gouvernement irakien et évanouies dans la nature ! Une gabegie à un point tel que ce gouvernement en arrive à ne pas dépenser tout l’argent octroyé faute de savoir quoi faire avec : "the estimates are that $8-10bn of Iraq’s budgets will go unspent because of Iraq’s lack of capacity to spend that money," ajoute l’Inspecteur . Tout le résumé de la situation incroyable en Irak : des milliers de liasses de dollars dorment à Bagdad car on ne sait pas comment les dépenser, alors que dans les rues on parle de retour de typhus ou de choléra !!! Impensable gabegie !!! Un reportage accablant de NBC de Lisa Myers sur les "intouchables" gouvernementaux irakiens révèle l’étendue des dégâts... jusqu’aux américains concernés, visibles dans un second reportage..

Derrière tout cela, il y a un homme qui sourit : c’est Moqtada al-Sadr, qui attend son heure depuis toujours. Les américains à peine partis, on ne donne pas deux jours à Maliki pour être renversé par le chef sunnite qui fait la pluie et le beau temps dans le pays, le leader qui décide ou non de la reprise des combats. L’homme fort du pays c’est lui, même les américains le reconnaissent. Les hommes mis en place par les américains, par leur peu de souci de leur propre peuple n’ont aucune chance de rester à la tête du pays. En moins de deux semaines un ancien état laïc va verser religieux, avec tout ce que cela implique comme déboires. Les américains auront décidément tout fait en Irak pour offrir aux extrémistes religieux ce qu’ils souhaitaient : l’histoire retiendra le fait qu’au final le remède aura été pire que la maladie. Le pays est au bord de la partition religieuse, à laquelle est favorable Biden, d’ailleurs, le pouvoir religieux attend son heure et il est certain de l’obtenir : on peut parler de fiasco total de l’aventure irakienne. Les objectifs atteints sont inverses de ceux visés au départ.

On a fabriqué des terroristes à la pelle par une conduite sanguinaire de la guerre et un non respect évident des populations, on a fabriqué une génération complète de gamins haineux qui ne rêvent que de venger les humiliations subies, on a fabriqué un sentiment qui risque de durer des dizaines d’années, celui du rejet de la démocratie présentée sous son aspect le moins abouti, celui de la corruption des élites. On a volé une première fois le pays en se sucrant sur son pétrole, et une deuxième en se servant grassement sur la reconstruction. L’Irak est devenu en cinq années une république véritablement bananière, où la corruption règne en maîtresse. Les richesses archéologiques ont été détruites à coup de bombardements ou volées, la culture mésopotamienne laminée par cinq années de conflit. Le pays mettra un siècle à s’en relever, pour retrouver un semblant de fonctionnement correct. C’est un échec total que laisseront derrière elles les troupes d’Obama. A peine partis, le pays s’embrasera à nouveau, c’est une évidence à laquelle tout le monde s’attend. Y compris les conseillers d’Obama, bien en peine de trouver une solution un tant soit peu digne. L’héritage des profiteurs Bushiens s’annonce très lourd à gérer.

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