Il en est des révolutions comme du reste : il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va

par Le faucon maltais
samedi 21 mai 2011

Les révolutionnaires sont d’accord sur ce dont ils ne veulent plus. Mais une fois que se posera la question de l'alternative, ils risquent bien d’être perdants car ils ne sont pas d’accord sur ce qu’ils veulent.

Une légère brise vient du sud. Il souffle là-bas, paraît-il, un vent de révolution. Le monde arabe est dans la rue, chasse les pouvoirs autoritaires les uns après les autres, espérant changer la donne dans un monde où depuis des décennies il voit toujours les mêmes gagner toutes les parties sans jamais de redistribution des cartes.

Régénérés par cette brise, même l’Europe sort de sa torpeur. Après l’Islande qui a pris un chemin de traverse dans la crise financière au lieu de suivre l’autoroute de l’Union Européenne et des Etats-Unis, voilà maintenant les jeunes espagnols qui sont dans la rue depuis quelques jours…

Ils protestent contre ce pouvoir inique qui a si bien su mutualiser les pertes d’un financier, sur le dos d’un peuple qui avait été écarté des gains pendant tant d’années précédentes… Ils protestent contre une démocratie dont ils comprennent un peu tard qu’elle fonctionne sur le rythme des échanges marchands et de la compétition, et que par conséquent elle est forcément, par nature, au service des plus riches et des plus puissants.

La plupart des observateurs progressistes en France applaudissent ces mouvements, se réjouissant de voir trembler les murs d’un système dont ils sentent depuis longtemps qu’il est de plus en plus dur, de plus en plus injuste, de plus en plus destructeur de l’humanité en nous et de l’Humanité tout court.

Si on peut aisément comprendre ce sentiment d’espoir que fait naître tout réveil chez un peuple opprimé (le fût-il de son plein gré), on ne peut pas pour autant se contenter d’un tel simplisme dans l’analyse des phénomènes socio-politiques actuels.

La grande force du pouvoir démocratique, même perverti, c’est celui de réunir l’assentiment de la foule. La multitude des opinions diverses opte en démocratie pour un consensus par défaut. Elle préserve ainsi la paix civile.

Le consensus par défaut est une solution très imparfaite : il ne satisfait qu’un groupe minoritaire, les autres groupes s’en contentent donc faute de mieux. Lorsqu’une majorité de gens sont d’accord sur le fait que le consensus par défaut les satisfait tellement peu qu’ils préfèrent risquer de perdre la paix civile, cela s’appelle une révolution.

Les révolutionnaires lancent des révolutions car ils sont d’accord sur ce dont ils ne veulent plus. Mais une fois que se posera la question de l'alternative, ils ne seront pas forcément d’accord sur ce qu’ils veulent…

Une révolution dans une démocratie (fût-elle d’apparence) n’a donc que deux aboutissements possibles : soit un pouvoir plus autoritaire (un groupe majoritaire ou mieux organisé, impose aux autres le pouvoir et les valeurs qui lui conviennent) ; soit une refondation en profondeur des valeurs sur laquelle la dite-démocratie était fondée, refondation emportant l’assentiment de la multitude. Mais alors comment s’assurer de cet assentiment si ce n’est sous une forme démocratique ?

Les mouvements actuels sont d’accord sur ce dont ils ne veulent plus. Mais ils n’ont pas fait cette refondation de valeurs. Aussi peut-on craindre, quand se posera la question de l’alternative, que le groupe majoritaire ou le mieux organisé impose ses valeurs et son pouvoir, qui sera alors par nature plus autoritaire pour les autres que ne l’était le consensus par défaut.

J’en appelle aux révolutionnaires de tous poils, aux porteurs d’espoirs pour l’avenir, aux amoureux des peuples : la révolution pourrait bien être le tombeau de vos espérances. Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va, nous disait Sénèque…

Il est urgent de préparer la relève, de faire la carte du chemin, de poser les pierres d’angle de notre maison humanité. Il est urgent que les hommes se mettent d’accord sur la définition de ce qui les sert et ce qui les dessert, d’accord sur ce qui construit et ce qui détruit dans ce monde, d’accord sur ce qui est l’humanité de demain.

« Le vingt-et-unième siècle sera spirituel ou ne sera pas » : la phrase de Malraux n’a jamais été aussi d’actualité qu’aujourd’hui.


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