Il faut sauver le soldat Bernie

par EllaMicheletti
mardi 15 mars 2016

Le deuxième Super Tuesday a lieu ce soir mardi. Doivent voter la Floride, le Missouri, l’Ohio, l’Illinois et la Caroline du Nord. La surmédiatisation de Donald Trump et Hillary Clinton fait de l’ombre aux autres candidats républicains et démocrates. Le monopole que les médias leur accorde laisse penser que tout est déjà joué dans le jeu démocratique. Bien dommage quand on sait que, du côté des démocrates, Bernie Sanders se montre bien plus novateur et original que sa rivale.

Bernie Sanders en meeting à Phoenix. Photo Gage Skidmore.

La chasse aux voix dans chaque Etat américain n’est pas encore finie mais Trump et Clinton ont, chacun à leur manière, donné le ton de cette campagne. L’un utilise ses provocations et propos outrageants, l’autre mise sur des soutiens richissimes et son statut de candidate de l’establishment. L’ex-secrétaire d’Etat démocrate a déjà remporté 13 élections primaires sur 22. De plus, elle a déjà convaincu 1221 délégués sur les 2383 nécessaires pour l’investiture démocrate. Bien loin derrière se tient Bernie Sanders. L’écart qui le sépare de Clinton est non négligeable puisqu’il n’a pour l’instant l’appui que de 571 délégués. Bernie Sanders est toutefois passé à un cheveu de la victoire dans l’Iowa avec 48,6 % des voix contre 48,8 % pour Clinton. Il a également gagné le Maine, ce qui a été une surprise pour tous. D’après le sondage de Realclearpolitics[1], Clinton était censée remporter cet Etat avec 21 points d’avance. Dans le Michigan, Bernie Sanders a là encore créé la surprise en remportant cet Etat convoité pour ses 147 délégués démocrates avec 50% des voix contre 48 pour Clinton. Dans le New Hampshire, Sanders a également terrassé sa rivale avec 20 points d’avance. Il a su prouver à plusieurs reprises qu’il attirait d’ailleurs les plus jeunes, lui qui est le candidat le plus âgé à 74 ans. 83% des démocrates de 18 à 29 ans ont voté pour lui et seulement 16 % pour Hilary Clinton. Chez les femmes, Bernie arrive aussi à s’imposer, surtout les jeunes. Un comité Women for Bernie Sanders a été créé pour le soutenir. Toujours dans le New Hampshire, les femmes de moins de 30 ans sont 82% à avoir voté pour lui. Son programme, contrairement à celui de sa rivale, bouscule l’ordre établi, méprise l’ultra-libéralisme, défend les plus humbles.

Bernie, celui qui est vraiment humain et social

« Mais on n’est pas en France ici ! » Telle est la phrase d’un cynisme à peine voilé qu’Hillary Clinton a lancé récemment à Bernie Sanders au sujet de sa proposition d’une couverture maladie universelle. Ces quelques petits mots n’ont pas eu un retentissement phénoménal. Pourtant, ils en disent long sur le mode de pensée de celle qui les a prononcés. Il est vrai que les USA ultra-libéraux et adeptes du désengagement de l’Etat fédéral ne sont pas la France. Personne ne songe à affirmer que le modèle social français est applicable dans son intégralité dans un pays avec une histoire aussi différente. Toutefois, ce culte de « no welfare-state » aux Etats-Unis sert en l’occurrence d’excuse à Hillary Clinton pour éviter de concevoir une politique humaine et surtout protectrice des Américains. La chose semble évidente pour les Français ; elle est extraordinaire dans un pays où la moindre action de l’Etat est vue comme néfaste. Mais se moquer d’une proposition honorable d’un rival montre que des vieilles lubies sont profondément ancrés dans la conception américaine de la politique. Hilary Clinton cherche bien sûr à se montrer socialement aux antipodes d’un Trump mais point trop n’en faut. Une sécurité sociale pour tous les Américains, on frôle le communisme. De même, Bernie Sanders vante les bienfaits des revalorisations salariales et s’engage pour l’IVG et l’accès à la contraception. L’ainé de cette campagne se montre révolutionnaire dans son propre pays. Il bouleverse le champ des possibles en revendiquant une gauche qui n’existe quasiment pas dans le paysage politique américain. Que l’on soit d’accord avec lui ou non, il contribue à faire bouger les lignes et à bousculer le bipartisme réducteur. Bernie Sanders se montre aussi novateur sur le plan de la diplomatie. Hilary Clinton se révèle conventionnelle et alimente cette idée très américaine de messie et de sauveurs condescendants du monde. Au contraire, Bernie Sanders s’est opposé aux deux guerres en Irak. Un Américain non interventionniste, ça existe ? Et bien oui.

Bernie, celui qui remet en cause le système

Hillary Clinton représente et pérennise l’ordre « politico-économico médiatique » établi. Elle cultive avec soin ses relations avec de très grands groupes financiers. Parmi ceux qui la soutiennent financièrement, on trouve notamment la banque Goldman Sachs et de nombreux « super-délégués, élite d’élus du Parti démocrate qui peuvent apporter leur soutien à qui ils souhaitent. En outre, elle reçoit l’appui des « PAC », des comités de soutien politique qui peuvent recevoir des dons illimités. Le principal est Priorities USA Action, a récolté à lui tout seul 41 millions pour la candidate. Le lobby démocrate Emily’s List lui apporte aussi son soutien. Hilary Clinton est une femme politique qui souhaite maintenir un statu quo du fonctionnement politique. Bernie Sanders se fait quant à lui un devoir moral de refuser l’appui de ces groupes et de riches donateurs. Sa campagne mise surtout sur des dons de particuliers : 750 000 personnes environ qui lui ont permis de collecter 20 millions de dollars. Un chiffre absolument colossal quand on sait qu’il vient de personnes privées et non pas d’une banque.
Car Bernie Sanders est aussi l’homme qui dénonce le système des traders, des lobbys financiers, du culte de l’Argent et des grandes multinationales. Pour lui, les hommes politiques n’ont pas à flirter avec le secteur financier. Ses détracteurs l’accuseront d’idéalisme, d’utopie et de populisme, ses soutiens d’humanité et d’intégrité intellectuelle. C’est d’ailleurs cette question de l’intégrité qui attire la jeunesse, d’après un rapport de l’Institut de politique d’Harvard.[2] Cet OVNI politique aurait donc une carte à jouer dans un pays où l’hostilité envers les puissants tend à se manifester de plus en plus.

Toutefois, ce programme subversif, sa popularité chez plusieurs couches de la population suffiront-elles pour être le candidat des démocrates ? L’intégrité de Sanders pourra-t-elle s’imposer dans un Etat de l’argent-roi et des lobbys surpuissants ? Il reste vingt-huit Etats et un peu moins de trois mois (la fin des consultations est le 7 juin) pour le démontrer. Le compte à rebours est lancé : ce soir, Clinton a de grandes chances de conquérir la Floride et la Caroline du Nord. Mais dans les autres Etats, plus industriels, Sanders pourrait bien la surprendre.

 

[1] RealClearPolitics http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/mi/michigan_democratic_presidential_primary-5224.html

[2] Harvard IOP Fall 2015 http://www.iop.harvard.edu/harvard-iop-fall-2015-poll


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