Il faut soutenir Hillary contre Obama, ce dieu admiré par les élites françaises

par Bernard Dugué
jeudi 24 avril 2008

Alors qu’Hillary Clinton tente de réduire son retard dans les primaires démocrates, on découvre l’existence d’un comité français soutenant son adversaire Barack Obama. Il n’y a rien de scandaleux, mais sans doute matière à s’interroger sur cet étrange phénomène local. Etant entendu que la France n’est qu’une petite province du monde, mais riche d’une belle histoire et, naguère, douée d’un rayonnement culturel incontestable. Ce n’est plus le cas maintenant. Pourquoi nos élites se sont-elles prises d’admiration pour celui qui, actuellement, n’est même pas le candidat officialisé à la présidence ?

Admiration, le mot est lâché. On pourrait dire espérance, foi, croyance, confiance et même dévotion. Car, bien évidemment, comme le souligne l’une des célébrités du comité d’honneur, Pierre Bergé, il n’y a aucune naïveté dans l’espoir que cette démarche ait un impact sur le résultat final. Soutenir Obama, c’est comme prier à l’église. Nulle retombée concrète, pas de calcul en vue. Il n’y a rien à gagner pour les membres du comité dans cette histoire. Notre kermesse politique est achevée. Les prébendes ont été distribuées. Eric Besson a eu l’un des meilleurs lots, avec Georges-Marc Benamous. Il faut voir dans ces soutiens la traduction d’une ferveur, une manière d’afficher ses convictions comme le dit Bergé. Quant à Olivier Duhamel, il n’économise pas ses formules égrenées en germe de panégyrique ; poussant l’admiration en voyant dans une possible élection d’un Noir à la Maison-Blanche un événement d’une importance exceptionnelle et même un choc dans l’histoire mondiale. Un « événement colossal », dit-il, annonçant un changement de politique. La déléguée démocrate Constance Borde pense qu’« Obama est le mieux équipé pour nous mener vers un autre monde ». Nous l’avons, notre Moïse, capable de soulever les eaux de la mer des subprimes et l’étang de la récession.

Parmi les personnalités du comité d’honneur, on trouve aussi Bernard-Henri Lévy, Frédéric Mitterrand (le webmaster doit être Américain, comme d’ailleurs le jeune étudiant à l’origine de ce comité), Sonia Rykiel et toute une kyrielle de politiciens et intellos de gauche, de Daniel Cohn-Bendit à Marie-Georges Buffet, des Verts au PC avec une grosse délégation du PS. Et puis, quelques personnalités appartenant à la majorité, comme Axel Poniatowski, fils de, président de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée, ne tarissant pas d’éloge sur Obama qu’il juge intelligent, jeune, charismatique et porteur d’une nouvelle image de l’Amérique. Bref, tout un programme. A ce comité s’ajoute une liste de personnalités ayant exprimé dans la presse leur soutien à Obama. On y trouve beaucoup de membres de la majorité, ce qui en dit long et confirme la poussée d’Obama dans les Etats ancrés à droite. Et, chose incroyable, le super-atlantiste Pierre Lelouche est aux côtés du communiste Maxime Gremetz. Si, si, c’est vrai, au risque de faire passer cette démarche de soutien comme une énorme farce que même pas Dario Fo aurait imaginée tant c’est gros... ou grotesque ? Il ne manque que Marine Le Pen et Olivier Besancenot pour achever la liste.

On ne le dira pas assez, cette adhésion, cet engouement de politiciens et intellectuels pour un candidat aux primaires américaines est sans précédent en France. Une liste impressionnante, contrastant avec la désaffection témoignée à l’égard des deux autres protagonistes, Mme Clinton encore en course pour l’investiture et M. McCain, républicain candidat à la présidence le 4 novembre 2008. Il serait intéressant de visiter ce qui se passe dans la tête de ces gens. De quoi cette vénération est-elle le signe ?

Supposons que l’Amérique joue une sorte de miroir de nos craintes et nos espérances. A travers l’élection possible d’Obama, nos politiciens ont le sentiment de vivre par procuration un événement contrastant avec la morosité de l’Europe, avec le marasme politique pesant. Comme si Obama était perçu comme un homme providentiel dans un monde devenu incertain. Et un ressort éventuel pour sortir l’Europe de ses incertitudes. Obama, à l’état civil, un métis, « noircisé » pour la bonne cause idéologique. Ils peuvent bien rêver et vivre par procuration l’arrivée au pouvoir de la « négritude » aux States, nos politiciens dont les partis ont démissionné dès lors qu’il fallait ouvrir les listes aux représentants des minorités ethniques. Pleutres. Retardataires. Les Socialistes en tête. A quand Obama au Panthéon, aux côtés de Césaire ? Que d’hypocrites, croyant que le rêve d’Obama va les exonérer de leurs responsabilités et les décomplexer. Car la décomplexion du politique semble être à la mode. On comprend cette dévotion. D’ailleurs, nos élites se prenant d’admiration pour le phénomène Obama me paraissent trouver là un exutoire pour fuir les réalités et ne pas voir le piètre résultat de leurs actions et discours ici en France. Ils peuvent bien rêver et s’inventer un nouvel élan, dans une France qu’ils ont délaissées et dont on voit le piètre état en ce moment.

Obama suscite quelques croyances d’ordre religieux et idéologique sans aucune idéologie. Il est la dernière cartouche de ceux qui croient encore au grand soir, de droite ou de gauche. Il est le représentant de l’ultime farce à laquelle se prêtent nos élites. Prenons Jack Lang, déjà en délicatesse avec les valeurs, ayant dansé aux côtés d’un dictateur africain quitte à devenir la honte des Lumières. Lang fasciné par Obama parce qu’il transcende les clivages entre gauche et droite. Mais Obama ne transcende rien. C’est juste un homme du centre, un Bayrou américain qui réussit parce qu’il a un charisme fou et sait louvoyer sur des fibres sensibles. Et c’est sacrément irresponsable que de croire en un salut du monde par cette fausse transcendance qui n’est en vérité qu’un neutralisme pragmatique visant à maintenir la domination des uns sur les autres en travestissant le procédé par des effets de nouveauté. Bref, Lang est comme beaucoup dans son camp un Sans-culotte dans une non-révolution et, d’ailleurs, il n’a plus de culotte depuis qu’il l’a baissée en dansant devant un dictateur, montrant son vrai visage de flagorneur devant les puissants. Adieu Djack et bon débarras !

La politique sait encore discerner les valeurs et ne peut souffrir cette dévotion en une providence faussement transcendante, mais qui a tout d’une séduction populiste menée par une bête de scène politique. Les puissants règnent, avec la complicité des masses et le relais du populisme médiatique. Ce n’est pas en jouant dans cette cour des miracles iconiques que le monde progressera. La confrontation des valeurs et des programmes a encore un sens, accessible à la raison. Toute cette caste politique et intellectuelle qui vénère Obama se fourre le doigt dans l’œil. Le monde est déséquilibré de ses excès dans les pouvoirs financiers et médiatiques. Fascination des images et du clinquant, des technologies et du profit. Le neutralisme politique est une erreur historique. Les structures de gouvernement agissent dans un sens orienté, notamment en défendant les puissants et les détenteurs de capitaux, les élites économiques contre les populations en précarité. Il appartient à la dignité de la gauche de revendiquer un rééquilibrage, une politique juste, éthique. Mais je doute que ceux qui soutiennent Obama officiellement soient de gauche. BHL, F. Mitterrand, Lang et Bergé de gauche ? Quelle bonne blague !

Les soutiens d’Obama peuvent bien louer la nouveauté, s’y croire, ils ne pourront s’exonérer d’une critique de la raison dès lors qu’il faut réfléchir à cette campagne. On entend dire çà et là qu’il faut en finir avec l’establishment politique en liquidant Hillary. N’oublions pas que l’Amérique est partiellement une ploutocratie. L’establishment réel, c’est celui de l’argent. Et, là, c’est Obama qui a levé les fonds les plus volumineux et qui lui ont servi à mener la course en tête. Oui, mais n’est-ce pas le meilleur s’il a levé ces fonds ? Peut-être, dans sa manière d’incarner la fonction. Le type est charismatique. Un excellent show man, rappelant Sarkozy et un peu Royal. C’est ce que nos élites aiment en lui. Charismatique, comme les télé-évangélistes qui, en galvanisant les foules, ramassent un tas de fric. Obama, c’est un peu ça. Un type super doué, mais qui, selon les canons rationnels de la politique, peut très bien se révéler comme un habile politicien maintenant le système dans sa continuité. Et toutes nos élites françaises seraient tombées dans le piège ? C’est possible puisque comme je l’ai dit, la France est un naufrage.

Alors, naviguant sur une bouée, je préfère soutenir Hillary Clinton qui, sur le fond, paraît plus proche des réalités sociales, plus « typée à gauche » selon les analystes. Je préfère cette grande dame, parfois guindée, même si elle vient des classes aisées, à celui que je vois comme le meilleur des acteurs dans un monde avide de sensations et d’émotions. Nos élites sont peut-être en voie de décomposition. Sacrifiant la raison sur l’autel de faux symboles. Soutenir Hillary n’aura aucun impact sur les élections américaines, mais c’est l’occasion de marquer une différence contre ce consensus trop large pour être crédible. La politique française a perdu ses repères, surtout à gauche. Et c’est mon dernier mot !


Lire l'article complet, et les commentaires