Il y a 40 ans, Salvador Allende et l’Unité Populaire

par Lucilio
mardi 31 août 2010

Très loin d’un projet « progressiste » mais modéré et utilisant la voie démocratique, le programme politique de l’Unité Populaire mené par Allende relevait de la classique ligne bolchévique.

Cette semaine, cela fera maintenant 40 ans qu’à travers le monde la gauche célèbre le régime de Salvador Allende et sa fameuse « révolution avec empanadas [1] et vin rouge ». Depuis la chute du Mur de Berlin, on a certes fait le constat définitif de l’échec du socialisme et de son incapacité à tenir ses promesses théoriques. Mais cette défaite idéologique a créé chez certains un attachement à un passé idéalisé et vénéré d’un Lénine, d’un Mao, d’un Che Guevara ou d’un Salvador Allende. S’accrochant à ces icônes, ceux-ci abusent de la mauvaise foi, déforment les événements, tentant de réécrire l’Histoire afin de s’accommoder d’un passé illusoire au lieu de prendre connaissance des faits et d’essayer de comprendre la réalité. Parce que, dans les faits, la réalité Allende a été beaucoup plus sinistre que le laisse supposer l’hagiographie entretenue depuis les années ’70.
 
La « voie chilienne vers le socialisme » débuta le 4 septembre 1970, lorsque, après une campagne électorale où les partis politiques s’opposèrent avec véhémence, Salvador Allende, candidat de l’Unité Populaire (une coalition de six partis de gauche), obtint 36,6% des voix aux élections présidentielles chiliennes, devançant de moins de 40.000 votes Jorge Alessandri, du Parti National (35,3%) et Radomiro Tomic, de la Démocratie Chrétienne (28,1%). Le candidat de la gauche chilienne ne recueillait donc qu’un peu plus du tiers des suffrages de la population, obtenant même moins de voix que lors des précédentes présidentielles de 1964 (38,9%). Dans le cas où aucun candidat n’obtenait la majorité absolue, la règle constitutionnelle ne prévoyait pas de second tour et, comme le stipulaient les articles 64 et 65 de la constitution, Allende fut choisi par le congrès entre les deux premiers candidats ayant obtenus le plus de voix et proclamé à la présidence le 24 octobre 1970 – malgré diverses manœuvres des éléments les plus radicaux de la droite et une tentative rapidement avortée des services secrets américains de fomenter un coup d’État. Cette désignation put se faire grâce à l’appui de Tomic qui aspirait à une poursuite de la politique d’État providence initiée par le précédent président démocrate-chrétien Eduardo Frei. En échange de cet appui, Allende devait signer un Statut de garanties constitutionnelles et s’engager à n’entreprendre des réformes structurelles que par la voie législative. Le patron de l’Unité Populaire signera bien ce document mais ne l’honorera jamais. Il se vantera d’ailleurs six mois plus tard de sa duplicité dans une entretien avec Régis Debray, expliquant que la signature de ce pacte de respect de la constitution n’avait été qu’une simple concession tactique afin d’accéder au pouvoir, sans conséquence aucune sur le développement de sa politique révolutionnaire et sa volonté de rupture de l’ordre constitutionnel.
 
Car, très loin d’un soi-disant projet « progressiste » mais modéré et utilisant la voie démocratique, le programme politique de l’Unité Populaire mené par Allende relevait bien de la classique ligne bolchévique. Ainsi, pour les dirigeants du Parti radical, le moins gauchiste de la coalition : « [...] seulement en dehors du système capitaliste se trouve la solution pour la classe travailleuse » ; « Le processus révolutionnaire chilien est irréversible [...] transformant ceux qui résistent en contre-révolutionnaires » ; « Le Parti radical est socialiste et sa lutte est dirigée en vue de la construction d’une société socialiste [...] » ; « [...] nous acceptons entre autres le matérialisme historique et la lutte des classes comme interprétation de la réalité ». (Déclaration politico-idéologique approuvée lors de la 25e Convention nationale du Parti radical en 1971) Tandis que pour le Parti socialiste fondé par Allende : « Le Parti socialiste, comme organisation marxiste-léniniste, pose la prise du pouvoir comme objectif stratégique à atteindre [...] » ; « La violence révolutionnaire est inévitable et légitime. [...] Elle constitue l’unique chemin qui mène à la prise du pouvoir politique et économique et à sa défense » ; « Les formes pacifiques ou légales de lutte ne conduisent pas en elles-mêmes au pouvoir. Le Parti socialiste les considère comme des instruments limités d’action, intégrés au processus politique qui nous emmène à la lutte armée » ; « Il est possible pour le gouvernement de détruire les bases du système capitaliste de production. En créant et en élargissant l’aire de "propriété sociale" aux dépens des entreprises capitalistes et de la bourgeoisie monopolistique, nous pourrons leur quitter le pouvoir économique » ; « L’État bourgeois au Chili ne peut servir de base au socialisme, il est nécessaire de le détruire. Pour construire le socialisme, les travailleurs chiliens doivent dominer la classe moyenne pour s’emparer du pouvoir total et exproprier graduellement tout le capital privé. C’est ce qui s’appelle la dictature du prolétariat. » (22e congrès général du Parti socialiste, Chillán, 1967)
 
Pour réaliser, contre la volonté de la grande majorité des Chiliens, ce programme révolutionnaire, trompeusement appelé de « transition démocratique vers le socialisme » et dans le cadre du planisme et de la centralisation économique définis par la convention de Chillán, le gouvernement Allende employa plusieurs méthodes : intervention directe dans les entreprises, acquisition d’actions par l’État grâce aux réserves budgétaires, à un déficit public massif et à la planche à billets, expropriations (régulièrement condamnées par les tribunaux pour leur caractère illégal) ou mises sous tutelle après réquisitions d’entreprises privées grâce à l’opération connue sous le nom d’« Opération Asphyxie ». Pour ce genre d’opération, la tactique consistait à provoquer, grâce aux cellules de l’Unité Populaire et du Front des Travailleurs Révolutionnaires (syndicat lié au groupe terroriste MIR, Mouvement de la Gauche Révolutionnaire), des conflits sociaux et des grèves dans les entreprises privées pour ensuite les accuser de ne pouvoir maintenir la production et appliquer ainsi le décret-loi 520 hérité de la République socialiste de 1932 – tombé en désuétude depuis des décennies, mais jamais abrogé – qui autorisait l’intervention du pouvoir central dans toutes les industries productrices d’articles de première nécessité. Dans le même temps, le gouvernement d’Allende s’empara du système bancaire chilien. Cette prise de contrôle s’effectua par l’achat massif d’actions des banques privées grâce aux fonds publics. Souvent, la simple menace suffisait pour semer la panique chez les actionnaires et faire chuter les actions pour les acquérir à vil prix.
 
Les conséquences de cette politique ne furent pas longues à se manifester. Tout d’abord, l’augmentation des dépenses publiques et des salaires par décret permit à l’économie chilienne d’enregistrer, durant la première année du gouvernement Allende (sarcastiquement appelée « l’année des cadeaux » par les Chiliens), une croissance économique en trompe-l’œil d’un peu plus de 8% et une baisse du taux de chômage (en grande partie grâce au doublement du nombre de fonctionnaires). Mais, inévitablement, le planisme économique (qui ira jusqu’à un délirant essai de contrôle par ordinateur et en temps réel de l’économie, le projet Cybersyn), la politique monétaire laxiste, la reforme agraire menée en dépit du bon sens et souvent avec une violence anarchique, conjugués à la nationalisation d’un grand nombre d’industries (dont la production chutera de 10% chaque année suite à la gestion calamiteuse de commissaires politiques incapables, en remplacement des anciens propriétaires ou administrateurs), de 80% des établissements financiers et de 30% des terres agricoles finirent par déstabiliser complètement l’économie chilienne : baisse du PIB qui se retrouve en 1973 au même niveau que 1970, pouvoir d’achat chutant de 10% d’octobre 1970 à avril 1973 sur base des prix alimentaires, dépenses publiques passant de 13% du PIB en 1970 à 53% en 1973 avec un déficit budgétaire sautant de 39% des recettes de l’État en 1970 à 115% en 1973, production agricole en chute libre retombant au niveau de 1936 suite au triplement des grèves des ouvriers agricoles dès 1970 et aux affrontements consécutifs à l’usurpation violente de centaines de propriétés par les partisans les plus radicaux de l’Unité populaire, explosion des importations de 916 millions de dollars en 1970 à 1,5 milliard en 1973, exportations stagnantes, balance commerciale excédentaire de 156 millions de dollars en 1970 devenant déficitaire de millions en 1971, 253 millions en 1972 et 249 millions en 1973, augmentation de la dette extérieure de 500 millions de dollars entre 1970 et 1973, etc. Et, finalement, le déchaînement de l’inflation et l’établissement d’un plafonnement des prix, qui au lieu de juguler l’augmentation des prix créera des ruptures dans l’approvisionnement et conduira à l’hyper-inflation (de 27% en 1970 à officiellement 323% en septembre 1973, mais réellement de 500 à 600% et avec une monnaie chilienne dévaluée de plus de 12.000% face au dollar), laissant les commerces désapprovisionnés, donnant naissance aux typiques queues devant les magasins des pays soviétiques et la majorité des biens de première nécessité ne se trouvant plus qu’au marché noir. Le pays restera finalement sans réserves, ne serait-ce que pour importer les denrées les plus élémentaires (le 7 septembre 1973, le gouvernement Allende annonçait que les réserves de farine ne pouvaient couvrir que quelques jours).
 
Après deux ans de cette gestion socialiste, le Ministre de l’Économie Carlos Matus reconnaissait dans une interview reprise par Der Spiegel en octobre 1972 : « Selon les critères économiques conventionnels, nous sommes réellement en crise. Par exemple, si le précédent gouvernement avait été dans notre situation économique, il aurait été liquidé depuis longtemps. » Mais, après avoir expliqué comment cette situation permettait au gouvernement d’imposer sa politique, il concluait : « Ce qui pour vous est une crise, est pour nous la solution. » En effet, tel était le projet marxiste : détruire de fond en comble la structure socioéconomique chilienne afin de pouvoir imposer la dictature du prolétariat revendiquée par le parti d’Allende. C’est ainsi que l’inflation galopante et les « mesures destinées à la combattre » permirent d’établir un contrôle policier sur la population, qui aurait été autrement inacceptable. Le gouvernement se servit de ce prétexte pour imposer un système de rationnement (chose jamais vue dans toute l’histoire du Chili depuis la conquête espagnole) qui octroyait aux Juntes d’approvisionnement et de prix (JAP) – naturellement aux mains des partisans de l’Unité Populaire – des pouvoirs considérables pour contrôler la vie quotidienne des citoyens. Par ailleurs, en maintenant artificiellement bas par décret les salaires des travailleurs qualifiés et des professions libérales, le gouvernement, toujours dans la ligne de son programme politique, ruinait une classe moyenne victime de l’inflation galopante. En établissant des quotas de production, en contrôlant le commerce avec l’étranger ainsi que les licences d’importation, en manipulant arbitrairement les taux de change et en fixant les prix de fabrication, l’objectif de l’Unité Populaire visait la concentration de tous les pouvoirs entre ses mains. L’expérience chilienne mettait ainsi en évidence une vérité prédite des décennies auparavant par les économistes autrichiens Mises et Hayek : le contrôle par l’État de l’économie est le « chemin de la servitude » qui finit par étrangler les libertés individuelles, la vie privée et le pluralisme idéologique.
 
Car une des autres cibles du gouvernement Allende fut la presse et la liberté d’expression : attaques contre les journaux El Mercurio, La Segunda, Tribuna, Mañana, etc. ; nationalisation de la maison d’édition Zig-Zag ; tentative de prise de contrôle de la Compagnie Manufacturière de Papiers et de Cartons afin de s’assurer du monopole de la production de papier pour censurer la presse d’opposition ; tracasseries multiples contre la chaîne de télévision Canal 13 ; harcèlements et agressions sans fin à l’encontre de journalistes d’opposition jusqu’à des cas de tortures ou d’enlèvements. Les derniers mois du régime marxiste virent s’installer une répression généralisée et des assassinats fréquents d’opposants, mais aussi de travailleurs et de défavorisés (comme le dénoncera d’ailleurs l’extrême-gauche chilienne). En novembre 1972, se trouvant dans l’incapacité de mater des soulèvements d’ouvriers et de mineurs dans différentes provinces du pays, Allende appela l’armée à participer à son gouvernement et intégra trois militaires de haut rang à son cabinet pour donner l’illusion à la population de la recherche d’un apaisement social.
 
Moins de trois années d’expérimentations socialistes suffirent pour que la crispation politique et sociale s’exacerbât de manière paroxystique à travers toute la société chilienne jusqu’au sommet de l’État (on verra ainsi Allende s’entourer d’une garde prétorienne armée composée de membres du MIR et des Jeunesses socialistes, connu sous le nom, grossièrement teinté d’euphémisme, de « Groupe d’amis personnels », GAP). Avec la connivence du gouvernement, de grands stocks d’armes étaient introduits dans le pays et accumulés par les marxistes dans leurs fiefs (« cordons industriels » composés d’industries nationalisées et autres). Comme ce fut le cas avec l’envoi, en mars 1972, de treize caisses de « cadeaux personnels » de Fidel Castro à Allende qui furent interceptées à la douane chilienne : une tonne d’armes et de munitions que le Ministre de l’Intérieur, rameuté dare-dare à l’aéroport pour rabrouer les fonctionnaires trop zélés, emporta vers la maison de Allende de la rue Tomás Moro. Un épisode rocambolesque qui ne représentait que la partie visible de l’iceberg. Avec ces armes, le MIR – dirigé par un neveu d’Allende et responsable de dizaines d’assassinats complaisamment couverts – et d’autres groupes révolutionnaires tolérés développaient une stratégie de « pouvoir dual » parallèle au gouvernement, avec des milices entraînées par des centaines d’assesseurs issus des pays communistes, essentiellement castristes (dont le responsable des services secrets cubains, Manuel « Barbe rouge » Piñeiro). L’objectif était de faciliter la « transition vers le socialisme » par le biais d’occupations illégales de terres et d’entreprises, ainsi que le meurtre d’opposants – le plus marquant étant celui de Pérez Zujovic, démocrate-chrétien, ancien vice-président et ministre dans le précédent gouvernement Frei, assassiné en juin 1971 par un commando du groupe extrémiste Avant-garde Organisée du Peuple (VOP), composé en partie d’anciens membres des Jeunesses communistes. Les marxistes se préparaient également à une guerre civile contre les forces armées tout en tentant de les infiltrer – et ce alors que l’armée chilienne n’était plus intervenue politiquement depuis plus d’un demi-siècle. Ces manœuvres d’infiltration seront d’ailleurs un des éléments qui décideront les militaires à renverser Allende. Par ailleurs, des milliers de révolutionnaires professionnels entraient dans le pays en provenance du Brésil, de l’Uruguay, de l’Argentine, du Pérou, du Nicaragua, du Honduras, etc. Alors qu’en novembre 1971 Castro s’installait au Chili comme à demeure durant près d’un mois et qu’était multiplié le personnel de l’ambassade cubaine, dépassant finalement celui de tout autre représentation diplomatique.
 
Pendant ce temps, le pouvoir législatif, majoritairement hostile au gouvernement dès 1972 (les démocrates chrétiens floués par Allende lui ayant retiré leur appui), était systématiquement bafoué par l’exécutif. Ainsi, chaque fois qu’un de ses ministres était renversé par une motion de censure, Allende le gardait dans son cabinet en lui attribuant un autre portefeuille. Pire, son gouvernement attaquait de front l’indépendance de la justice chilienne, soit en violant de manière répétée les jugements des tribunaux, soit en n’y donnant pas suite. De 1972 à 1973, la Cour Suprême du Chili et le Contrôleur Général de la République (la plus haute juridiction administrative) ne cesseront de protester et de dénoncer en pure perte le non respect des décisions judiciaires ainsi que les abus administratifs. Allende – montrant son parfait rejet du cadre constitutionnel – répondra en déclarant qu’en période de révolution, c’était au pouvoir politique de décider de l’opportunité de l’application des arrêts de justice. Le conflit institutionnel ne put malheureusement être résolu lors des élections parlementaires du 11 mars 1973. Car même si l’opposition à l’Unité Populaire remporta une large victoire sous la bannière unitaire de la Confédération de la Démocratie en enlevant 86 sièges sur 150 à la Chambre, elle rata de peu les 90 députés qui auraient permis une mise en accusation formelle d’Allende pour violation répétée de la constitution et des lois chiliennes.
 
Néanmoins, le 23 août 1973, les parlementaires chiliens, dans une résolution approuvée à 81 voix contre 47 – après le rappel des innombrables violations constitutionnelles et légales du gouvernement d’Allende –, demanderont officiellement aux autorités, mais surtout aux forces armées et de police de mettre fin immédiatement aux situations de fait mentionnées. À savoir que le gouvernement de l’Unité Populaire décrétait dans des domaines qui relevaient de la compétence exclusive du parlement ; qu’il bafouait les prérogatives de ce dernier en refusant de se soumettre à son contrôle et en ignorant les motions de censure contre plusieurs de ses ministres ; qu’il empêchait la promulgation de lois votées par les chambres ; qu’il harcelait la magistrature pour qu’elle se plie à sa politique, en violation de la séparation des pouvoirs et couvrait des attaques perpétrées contre ses membres ; qu’il paralysait l’action du Ministère public contre des criminels activistes proches du gouvernement ; qu’il infraignait les lois consacrant le principe de séparation des pouvoirs en empêchant l’application des condamnations prononcées par la justice contre ces criminels ; qu’il bloquait systématiquement les décisions du Contrôleur général de la République ; qu’il violait le principe d’égalité devant la loi en refusant la protection de la loi aux personnes qui n’étaient pas de son camp ; qu’il portait atteinte à la liberté d’expression (pressions économiques, fermetures illégales, emprisonnements de journalistes, appropriation partisane et violation de la prérogative du Sénat dans la nomination de la direction de la télévision publique, etc.) ; qu’il ne respectait pas l’autonomie des universités ni leur droit à disposer de canal de télévision, notamment en couvrant la prise de possession illégale et violente de ces chaînes par ses partisans ; qu’il portait atteinte, par la violence, au droit de réunion pacifique d’opposants à son régime alors même qu’il tolérait les réunions en armes de ses partisans et les attaques de ces derniers contre l’opposition ; qu’il attaquait la liberté d’enseignement en voulant, illégalement, par décret, imposer un plan éducatif marxiste ; qu’il violait le droit constitutionnel de propriété en couvrant plus de 1.500 occupations illégales de propriétés et en défendant la prise de possession illégale de centaines d’entreprises et de commerces, spoliant ainsi les propriétaires légitimes ; qu’il avait régulièrement recours aux arrestations illégales et autorisait que des personnes soient soumises à la torture ; qu’il ne respectait pas les droits de nombreux syndicats et faisait usage de violence contre eux ; qu’il violait la constitution en exigeant des Chiliens des conditions non requises par la loi pour sortir du pays et en créant ou en autorisant nombre d’organismes séditieux (Commandos communaux, Comités de surveillance, etc.) et en leur reconnaissant une autorité illégale en contradiction avec les autorités et les organismes constitutionnels ; qu’il brisait le cadre de l’État de droit en formant et en permettant le développement de groupes paramilitaires et en tentant d’utiliser les forces armées et de police à des fins partisanes ; etc.
 
Finalement, deux semaines plus tard, le 11 septembre 1973, l’armée chilienne assiégeait le Palais de la Moneda où s’était réfugié Allende, qui plutôt que de se rendre et partir en exil, préféra se donner la mort. Le rôle exact des États-Unis lors de ces événements aura longtemps fait l’objet de controverses. Toutefois, même s’il est probable que les services secrets américains aient eu connaissance du coup d’État en préparation, ni le rapport Hinchey ni la commission sénatoriale Church n’ont trouvé aucune preuve de l’implication des États-Unis dans le renversement d’Allende par les militaires. Cinq jours après le coup d’État, Patricio Aylwin – patron de la Démocratie Chrétienne et premier président élu du Chili après la dictature militaire – expliquait, dans une entrevue à la télévision espagnole, comment l’Unité Populaire tentait d’installer une dictature socialiste et que l’action préventive de l’armée fut salvatrice. Et le mois suivant, le prédécesseur d’Allende à la présidence, le chrétien-démocrate Eduardo Frei, rappelait également au journal espagnol ABC comment les militaires avaient été appelés par les parlementaires chiliens afin qu’ils remplissent leur obligation légale de sauvegarde du cadre constitutionnel du pays.
 
Jamais une révolte contre un gouvernement liberticide prêt à imposer la dictature d’une minorité sur la majorité ne fut aussi nécessaire au 20e siècle. Et l’intervention de l’armée – à la demande du parlement – ne fut donc pas une surprise pour les Chiliens qui l’attendaient, avec crainte ou espoir, depuis des mois. Mais celle-ci surprit par sa violence brutale teintée de revanchisme idéologique. Les militaires appliquèrent, en effet, une stratégie visant à couper toutes les têtes des mouvements révolutionnaires et utilisèrent sciemment la terreur, dont les dimensions ne furent pas dissimulées afin de provoquer une réaction de panique auprès de la gauche chilienne : arrestations extra-judiciaires, tortures et exécutions sommaires. Les rapports Rettig de 1991 (Commission Nationale de Vérité et Réconciliation) et Valech de 2004 (Commission Nationale sur la Prison Politique et la Torture) ont ainsi recensé 33.221 arrestations, 2.008 personnes tuées et 1.183 autres disparues. Essentiellement, la répression militaire connut une phase aiguë durant les premiers mois (y compris des affrontements armés avec des membres de l’Unité populaire), dont la virulence diminua dès lors que le contrôle sur le pays fut bien établi par la junte au pouvoir, notamment grâce à l’exil offert à beaucoup (entre 20.000 et 30.000 Chiliens abandonnèrent le pays les deux premières années de la dictature) et parce que la répression découragea les anciens partisans d’Allende.
 
Ainsi s’achevèrent lamentablement et tragiquement ces trois années de socialisme à la chilienne, cette route de la servitude tracée par Allende, pavée de planisme, d’inflation, de rationnement, d’appauvrissement, d’étouffement de la liberté, de violations des droits qui mèneront à la dictature militaire, désolante prolongation d’une violence politique initiée par l’Unité populaire. Comme le concluait The Economist dans son éditorial du 15 septembre 1973 : « Le gouvernement militaro-technocratique qui est apparemment en train de prendre forme tentera de reconstruire le tissu social que le gouvernement Allende a détruit. Cela signifiera la mort provisoire de la démocratie au Chili, ce qui sera déplorable, mais il ne faut pas oublier qui a rendu cela inévitable. »
 
[1] typiques chaussons à la viande chiliens
 
Bibliographie :

Lire l'article complet, et les commentaires