Incompréhension ? Aveuglement ?

par Denys PLUVINAGE
mardi 24 juillet 2012

On veut nous faire croire que la politique étrangère des Etats Unis est dictée par autre chose que les intérêts des Etats Unis, comme si ce n'était pas acceptable. Un président est élu pour défendre les intérêts de son pays, il est donc parfaitement légitime qu'il leur donne la priorité. Pourquoi alors chercher à le cacher ?

Questionné par un journaliste du "Parisien", l'ambassadeur de Russie en France, Alexandre Orlov, revient dans une interview publiée le 22 juillet sur la position de son pays par rapport à la crise syrienne. On retrouve dans les questions du journaliste la position qui est celle adoptée par la presse occidentale et les principaux dirigeants politiques. Selon eux, la Russie est une alliée inconditionnelle du régime de M. Bachar Al Assad.

Dès la deuxième question, le journaliste demande à M. Orlov si la Russie serait prête à accorder l'asile politique au dirigeant syrien. Ce n'est pas la première fois que cette éventualité est abordée. Lors d'une réunion à Berlin début juin, entre le président Vladimir Poutine et la chancelière allemande Angela Merkel, un représentant de la délégation allemande avait déjà fait cette suggestion. La délégation russe avait pris cela pour une plaisanterie. Mais à la réunion, à Genève, fin juin, début juillet, des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Chine, Russie, France, Grande-Bretagne) à laquelle ont pris part, outre la Turquie, des pays représentant la Ligue arabe, cette possibilité a de nouveau été évoquée. Cette fois, le ministre des affaires étrangères russe, M. Serguei Lavrov a réagit en qualifiant cette tentative de "malhonnête, voulant tromper les gens sérieux qui s’occupent de politique étrangère" et d’"une mauvaise compréhension de la situation" en Syrie.

C'est que, depuis le début de la crise syrienne, les dirigeants occidentaux et leurs médias ont toujours présenté la position russe comme dictée, obligatoirement, par le désir de protéger un allié en la personne du président syrien. Manque de réflexion de la part des médias ? Désir de simplifier toutes les situations pour un public considéré comme mentalement déficient ? Paresse intellectuelle, effet de mode ? Georges Bush Jr. l'avait dit :"soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous".On nous sert, semble-t-il, une nouvelle adaptation de ce raisonnement subtil : si la Russie ne soutient pas la ligne dure des Etats Unis, si elle met son veto au conseil de sécurité de l'Onu, elle "n'est pas avec nous", donc elle est "contre nous", donc elle est l'alliée du président syrien…

Dans son interview pour le "Parisien", M. Orlov ne répond pas à cette question. Il se contente de remarquer que M. Assad semble avoir compris lui-même qu'il ne pourrait pas rester en place.

La question suivante porte donc sur les raisons du nouveau veto russe à la dernière résolution présentée au conseil de sécurité. L'ambassadeur russe explique alors que cette nouvelle résolution est contraire aux accords de Genève du 30 juin de cette année qui prévoyaient une transition du pouvoir du président actuel vers un organe de gouvernement provisoire représentatif de toutes les forces politiques, accord que la Russie avait accepté.

Il ajoute, d'autre part, que la Russie a gardé un très mauvais souvenir de la crise libyenne. La résolution 1973 à laquelle elle ne s'était pas opposée en s'abstenant lors du vote au conseil, ne prévoyait pas d'intervention militaire, mais elle a été interprétée par les Occidentaux comme donnant le feu vert à cette intervention. " On ne fera pas deux fois la même erreur !" conclut-il alors.

L'avant dernière question de cette interview reviendra encore sur cette version, quoi que sous une forme légèrement atténuée : "la Russie paraît être le dernier soutien d’Assad". M. Orlov explique alors que l'intérêt de la Russie est tout autre que le désir de soutenir le régime en place : "C’est une contre-vérité de dire que la Russie défend le régime d’Assad. Il n’y a aucun lien particulier qui lie la Russie au président Assad et à son clan, alors qu’il a toujours été un grand ami de la France. Il a été reçu royalement à Paris et a été invité au défilé du 14 Juillet en 2008. Mais il est vrai que la Russie a des intérêts en Syrie qui est notre partenaire de très longue date. Du temps de l’Union soviétique, beaucoup de Syriens ont fait leurs études supérieures chez nous. Il y a beaucoup de mariages mixtes et la communauté russe compte plusieurs dizaines de milliers de personnes en Syrie. Sur le plan économique et militaire, notre intérêt est en revanche très exagéré."

En réalité, le problème est ailleurs et les dirigeants occidentaux le savent évidemment. Mais le reconnaître serait reconnaître que c'est leur politique qui est mise en cause par la Russie et sans doute préfèrent-ils ne pas tenir ce genre de discussion en public. Il est plus confortable d'expliquer que la Russie est l'allié du président syrien que de devoir justifier son intervention dans un pays souverain. Car c'est là que réside le problème réel, la Russie se veut le défenseur du droit international et les Etats Unis et leurs alliés préfèrent ne pas devoir se justifier sur ce terrain.

Il y a longtemps que les Etats Unis ne respectent plus le droit international que quand cela les arrange. Cela a commencé avec la disparition de l'Urss, ce que les Américains considèrent comme leur "victoire dans la guerre froide" (une "victoire" que les Russes contestent). Comme le fait remarquer l'ancien premier ministre russe Evgueni Primakov, "l'administration américaine exige de façon sélective que les droits de l'homme soient respectés, quand cette exigence va dans le sens de la politique américaine"[1].

D'ailleurs, certains dirigeants américain eux-mêmes reconnaissent la situation. M. Zbigniew Brzezinski, conseiller de plusieurs présidents déclarait avec enthousiasme, en 2008, que la faillite du communisme soviétique symbolisait la fin de l'histoire, "Ce qui signifiait que nous pouvions nous reposer sur nos lauriers et jouir du nouveau statut impérial qui nous avait été conféré le 25 décembre 1991, avec la chute de l'Union Soviétique. L'arrogance résidait dans le fait de croire que nous pouvions désormais fixer les règles du jeu."[2]

Il en va de même du recours à l'ONU. Lorsqu'ils n'obtiennent pas du conseil de sécurité les résolutions qu'ils désirent, les Etats Unis se passent de son avis. Les exemples ne manquent pas : bombardement de la Yougoslavie par l'Otan, invasion de l'Irak et, il y a une semaine, après le rejet par la Russie et la Chine d'une nouvelle résolution, l'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU, Mme Rice a prévenu que Washington voulait désormais travailler "en dehors" du Conseil de sécurité pour faire pression sur Damas. Il est vrai que l'Otan sait se montrer beaucoup plus souple face aux "demandes" américaines.

Le président russe Vladimir Poutine avait déjà dénoncé ce dérapage lors de son célèbre discours de Munich en février 2007 : "Les actions unilatérales, souvent illégitimes, n'ont réglé aucun problème… Nous sommes témoins d'un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international." Les médias occidentaux avaient alors beaucoup disserté sur la "violence des propos" de M. Poutine, sans se pencher sur le fond de ce qu'il disait. Sur le fond, la position russe n'a donc pas changé : le respect du droit international et, en particulier, la non intervention dans les affaires intérieures d'un pays souverain.

Face à cela, on nous oppose la nécessité de garantir la démocratie aux peuples opprimés. Mais alors quand ira-t-on parler de cela avec l'Arabie Saoudite, par exemple ? Ou alors, comme Madame Albright en 2008 on en appelle à des devoirs religieux. Pour elle, l'ingérence du religieux dans la politique étrangère américaine est une bonne chose. Elle déclarait ainsi en 2008 : "Une politique intégrant la religion peut devenir un outil précieux en politique étrangère"[3].

On veut nous faire croire que la politique étrangère des Etats Unis est dictée par autre chose que les intérêts des Etats Unis, comme si ce n'était pas acceptable. Un président est élu pour défendre les intérêts de son pays, il est donc parfaitement légitime qu'il leur donne la priorité. Pourquoi alors chercher à le cacher ? C'est que l'action des Etats Unis depuis une vingtaine d'années va bien au delà de la défense de leurs intérêts et vise plutôt une sorte d'hégémonie mondiale ou, pour reprendre l'expression de William Engdahl, l'instauration d'une "démocratie totalitaire". L'Europe a tout à perdre à cautionner une telle politique. La Russie nous rappelle à la réalité.



[1] "Le Monde Sans La Russie ?" de Evgueni Primakov, Editions Economica, Paris 2009

[2] Brzezinski/Scowcroft (2008, pp 23,24), cité par Jean Géronimo dans "La Pensée Stratégique Russe"

[3] cité par Jean Géronimo dans "La Pensée Stratégique Russe", p 47


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