Indignés : pâle copie du Printemps arabe ou révolution de gauche ?

par Renaud Van Eeckhout
jeudi 26 mai 2011

L'expression « révolution espagnole » que l'on voit fleurir de plus en plus semble largement exagérée, les commentateurs divers utilisant ce terme pour l'inscrire à la suite des différentes révolutions arabes qui ont eu lieu ou sont encore en cours actuellement. Pourtant le mouvement espagnol est encore très loin de ces révolutions, et ne semble vraisemblablement pas lié au « Printemps arabe » bien qu'ils partagent quelques similarités.

Depuis dix jours, les places de nombreuses villes d'Espagne sont occupées par des manifestants dont l'action prend une ampleur probablement sans précédent depuis le décès de Franco1. Quelques dizaines de milliers de manifestants ont secoué les pavés de façon pacifique en brandissant des slogans tels que « Yes we Camp », « No les votes » (Ne votez pas pour eux) ou « Democracia Real Ya ! » (Une vraie démocratie, maintenant !) à l'occasion des élections locales de ce dimanche 22 mai.

L'expression « révolution espagnole » que l'on voit fleurir de plus en plus semble largement exagérée, les commentateurs divers utilisant ce terme pour l'inscrire à la suite des différentes révolutions arabes qui ont eu lieu ou sont encore en cours actuellement. Pourtant le mouvement espagnol est encore très loin de ces révolutions, et ne semble vraisemblablement pas lié au « Printemps arabe » bien qu'ils partagent quelques similarités.
 
Tout comme dans les pays arabes, c'est la jeunesse qui est à la base du mouvement de grogne, ensuite rejointe par les autres tranches de la population espagnole. Cette jeunesse, qui a encore une fois utilisé les réseaux sociaux afin de mieux organiser ce mouvement spontané, imite également les révolutions arabes en occupant de façon prolongée les places symboliques de différentes villes, et ce de façon la plus pacifique.
 
Concernant les origines des mouvements, il est à noter que – toutes proportions gardées – ce sont à nouveau des facteurs économiques qui sont présents : le chômage élevé, en particulier pour la jeunesse ; le contexte économique défavorable ; la corruption ; l'absence de réponse du pouvoir aux demandes du peuple2.
 
Silence, on révolutionne.

Cependant les objectifs annoncés par les manifestants divergent profondément, excluant ainsi la contestation espagnole de la série de révolutions arabes récentes. Là où les manifestants arabes en appelaient au renversement complet du régime en place, ici les Espagnols semblent eux-mêmes assez confus sur leurs demandes.

La plateforme Democracia Real YA, représentant des manifestants, précise ce lundi qu'elle n'a jamais soutenu l'abstention lors des élections locales de ce dimanche. Elle voulait en même temps rejeter les principaux partis politiques PSOE et PP, mais tout en affirmant son caractère apolitique, n'a donné aucune consigne de vote à ses membres. Le seul résultat obtenu par cette stratégie est la chute de PSOE, et la – faible – victoire du PP, ce qui n'est visiblement pas ce que DRY souhaitait.
 
Les propositions concrètes émises par DRY sont définies au fur et à mesure que les débats ont lieu et sont justifiées par son manifeste. Cette plateforme, apolitique selon elle, énumère une série de points généraux qui sont généralement repris dans les partis de gauche, notamment : les priorités sur lesquelles la société devrait se baser qui sont l'égalité, le progrès, la solidarité, le développement durable, le bien-être ; les droits au logement, à l'emploi, à la culture, à la santé, à l'éducation, à la participation politique etc. DRY accuse également le modèle économique « obsolète et non-naturel » qui enrichit une minorité et envoie le reste dans la pauvreté, et en appelle à une « révolution éthique » replaçant l'argent au service de l'être humain3.
 
Ces revendications apparaissent bien différentes des révolutions arabes où la population demandait un changement radical de régime, afin de ne plus avoir affaire à des tyrans peu soucieux du bien-être de leur population. Ici, les revendications sont des revendications de gauche. Ce n'est probablement pas un hasard si la principale victime de cette vague de contestation est un parti dit de gauche – même si l'on sait que les partis socialistes européens importants n'ont de socialiste que leur nom – qui est ainsi sanctionné pour sa politique qui n'a pas été jugée assez de gauche par la population.
 
À ce jour, il est impossible de deviner comment va se dérouler la suite des évènements. La mobilisation semble faiblir et le soufflé pourrait bien retomber très rapidement. Par contre, si les manifestants se mettent à rêver d'une réelle révolution, ils devront sans doute changer de tactique : radicalisation des demandes formulées dans leur manifeste, demande de démission du gouvernement et élections législatives anticipées, appel aux boycott des principaux partis politiques que sont le PSOE et le PP, soutien clair à des partis dits « alternatifs » comme le sont les partis socialistes véritables, les partis communistes et les partis écologistes.
 
Cela est très hypothétique, mais le caractère relativement mou des protestations en Espagne et la puissance du tandem PSOE-PP ne vont probablement pas inciter ces deux derniers à faire autre chose qu'à proposer des réformes tout aussi molles. C'est désormais aux Espagnols eux-mêmes qu'il revient de savoir s'ils veulent vraiment appliquer le manifeste derrière lequel ils se tiennent actuellement, ou s'ils se satisferont avec des promesses et des ajustements de la part du gouvernement. S'ils choisissent l'option révolutionnaire, alors le mouvement pourrait même s'étendre à d'autres pays assez rapidement, sinon ce mois de mai aura juste été le théâtre d'une grosse manifestation, rien de plus.
 
Aux Espagnols à assumer leur choix désormais.
 
 
 
1 Jean Chalvidant, spécialiste de l'Espagne au département de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines de l'Institut de criminologie/Université Paris II Panthéon-Assas, interrogé par 20minutes.fr http://www.20minutes.fr/article/729012/espagne-indignados
2 Béatrice Leveillé « Espagne : le mouvement des « indignés » surfe sur les élections », http://www.rfi.fr/europe/20110521-espagne-le-mouvement-social-surfe-elections
3 Manifeste de la plateforme « Democracia Real YA » http://www.democraciarealya.es

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