Internet, bras armé de la mondialisation ?

par Bruno de Larivière
jeudi 17 mars 2011

Face à ce sujet de géographie imaginé pour un récent concours de la fonction publique, j'ai essayé d'apporter quelques éléments de réponse. Sans prétendre remplacer bien des travaux approfondis !

[1] 'Internet, bras armé de la mondialisation'. Ce sujet entre dans le cadre du programme du baccalauréat. Alors qu'ils auraient gagné à questionner les principaux substantifs ('Internet', 'mondialisation'), de très nombreux candidats ont préféré disserter vaguement sur l'intérêt de l'Internet ou - pire - sur l'utilité des ordinateurs dans la vie quotidienne [...]. "L'outil du deuxième millénaire " (sic !) a en tout cas bouleversé le rapport qu'a l'homme avec son environnement. L'imprimerie a marqué la fin du Moyen-Âge avec la disparition des ateliers d'écriture et la sortie du livre des cercles d'érudits ; la presse industrielle a permis l'avènement du journal-papier ; l'édition électronique représente une troisième étape, aussi déstabilisante que les précédentes.

De fait, Internet remet paradoxalement en cause la mondialisation en facilitant l'activité locale, régionale voire nationale. Dans le domaine de l'alimentation et des produits de consommation quotidienne, les habitants des grandes métropoles se tournent progressivement vers l'achat en ligne de leurs courses. Mais quelle est la marge d'adaptation du secteur agricole pour 'coller' à ces transformations de la demande des consommateurs ? Les achats directs sans intermédiaire n'ont jamais disparu, d'où la persistance des couronnes maraîchères, et des marchés de plein air à date fixe hebdomadaire. Internet peut potentiellement faciliter la mise en relation du vendeur et de l'acheteur, le premier trouvant un lieu (site ou blog) pour présenter sa production, le second pour juger des qualités requises, de la variété des produits, ou des informations finalement nécessaires à l'achat final (horaire d'ouvertures, par exemple). Le passage de commandes en produits frais via Internet prive néanmoins l'intéressé du contact direct avec les produits.

On trouvera ici des producteurs de foie gras, un apiculteur, ou quelqu'un qui fabrique et vend des confitures 'maisons'. Ces quelques exemples montrent les deux limites. Un agriculteur monospécialisé dans une matière première non transformée n'a pas grand chose à attendre d'Internet. Un céréaliculteur vend par exemple sa production à la coopérative. Même un éleveur laitier aura naturellement du mal à captiver les foules, s'il ne vend qu'un ou deux sous-produit(s). Commandera-t-on à un exploitant du beurre en plus du lait ? Il est vrai qu'une diversification des activités passant souvent par l'accueil dans l'exploitation (chambres d'hôtes), un site sur Internet peut servir de plate-forme de présentation de l'ensemble, y compris dans le cas d'élevage intensif ou de monoculture.

Près de vingt millions de Français vivent dans les dix plus grandes agglomérations hexagonales. Les professionnels de la distribution s'adaptent en maintenant (réduisant ?) leur offre en hypermarché pour ouvrir des magasins de plus petites tailles [document]. La surface compte moins que le personnel prêt à remplir les cartons et / ou à assurer ensuite la livraison à domicile. Les étudiants à la recherche d'un boulot du soir ou les actifs peu qualifiés sont un vivier dans lequel les grandes enseignes puisent allègrement. C'est un travail fatiguant, mal rémunéré avec une faible visibilité (CDD) ; la Corée du Sud surpasse la France de ce point de vue. En maillant le territoire urbain, les magasins captent une clientèle pressée, qui éprouve surtout de plus en plus de difficulté à circuler en voiture. On ne voit pas néanmoins comment pourraient disparaître les centrales d'achat installées en périphérie des aires urbaines, proches des noeuds de communication, qui achètent à des grossistes pour ensuite répartir la marchandise dans les magasins au gré des commandes. Internet accompagne donc une transformation des déplacements urbains autant que celle des habitudes de consommation [exemple étonnant de produits de coiffure]. C'est en tout cas le sens des politiques de transport. Mais à trop vouloir restreindre la voiture, ne gêne-t-on pas le déplacement des véhicules utilitaires absolument nécessaires à l'acheminement des courses chez les clients ?

Internet n'a par ailleurs pas concurrencé la vente par correspondance au point de la remplacer. La Redoute ou les 3 Suisses - pour ne citer que les deux principaux - ont reconverti leur activité par le biais d'Internet. Le papier tend à laisser place à des pages web virtuelles (déclin ou disparition ?). Le principe d'activité demeure. De vastes hangars permettent d'entreposer la marchandise achetée en gros et revendue au détail. La VPC a eu dans un premier temps une difficulté à adapter ses modes de fonctionnement. Sans doute le vieillissement d'une clientèle refusant d'abandonner la commande par papier n'a t-il pas facilité leur tache. Les industriels eux-mêmes ont probablement davantage encore bousculé la profession. C'est là que la mondialisation 'reprend ses droits.' Les marques du prêt-à-porter, du jouet, du meuble, etc, cherchent en effet à rencontrer sans intermédiaires leurs clients. Le réseau Internet leur offre cette possibilité. Les ateliers et usines se situent dans des pays à faible coût de main d'oeuvre, la Chine maritime constituant généralement - et tous secteurs confondus - un pays essentiel pour cette industrie 'mondialisée' ['L'atelier du monde n'a pas d'annexes']. D'autres la concurrencent, comme le Bangladesh dans le textile ['Daccalage'].

A l'heure de la communication instantanée, les entreprises 'réactives' parviennent à coller aux attentes de la clientèle. Beaucoup sont nées de la montée en puissance inattendue des niches de consommation [Théorie de la longue traine]. Dans le domaine de l'édition par exemple, la production de titres à gros tirage ('best-sellers') décline en terme relatif, mais celle de titres destinés à des publics restreints progresse : Internet y est pour beaucoup, qui fait connaître des auteurs, rassemble les passionnés sur des forums. Les services connaissent des évolutions extrêmement rapides, en bonne partie expliquée par les 'nouvelles techniques de l'information et de la communication'. L'avenir dira dans quelle mesure les pays riches du nord, longtemps seuls en tête dans la course au développement seront ou non rattrapés par d'autres. Les programmeurs de la Silicon Valley (téléphonie, informatique, etc.) se recrutent en Inde ? Qui empêchera demain ce pays de monopoliser l'activité de programmation [document] ? Les services clientèles ont largement bénéficié d'Internet - outre le téléphone - pour proposer des notices d'utilisation, des compléments de garantie, des prolongements - rachats de service. Ces à-côtés semblent parfois prendre le pas sur l'activité principale. Mais Internet permet d'implanter des services dans des pays à faible coût de main d'oeuvre. De ce point de vue là, la tertiarisation ne protège pas de la mondialisation. Au contraire.

Ces quelques paragraphes n'épuisent bien sûr pas le sujet. J'appelle en conclusion [...] à envisager la géographie comme une discipline globale. Outre la connaissance stricte des parties du programme, les candidats doivent axer leur préparation sur des lectures régulières. Même dans la presse (électronique !) généraliste, ils trouveront matière à réflexion. Le but à atteindre n'est pas l'érudition, mais la compréhension du monde qui nous entoure.

[1] Extrait compte-rendu concours CTA-2011.


Lire l'article complet, et les commentaires