Iran, cinq, première : la croisière s’amuse

par Renaud Delaporte
jeudi 5 avril 2007

Au terme de longues tournées de Condoleeza Rice au Moyen-Orient, nous assistons à une volte-face dans la politique de l’administration Bush. Il n’est plus question d’agression directe contre l’Iran. Le nouvel ordre du jour consiste d’une part à restreindre les capacités économiques et diplomatiques des mollahs, d’autre part à communiquer avec le peuple iranien. Deux communiqués publiés par le département d’Etat, le 26 mars et le 2 avril, témoignent de ce changement de cap.

Le premier, daté du 26 mars, souligne que "l’adoption de sanctions des Nations unies (le 23 décembre) contre le programme nucléaire iranien est l’un des éléments centraux" de la politique américaine envers l’Iran. Il se réjouit de l’aggravation prévue dans la résolution votée le 24 mars et pense qu’elle encouragera les États membres de l’ONU à réduire leurs crédits d’exportation accordés à des entreprises commerçant avec l’Iran. D’après un article du Figaro paru le 3 avril, "cette mise au ban de l’Iran aurait même découragé nombre de banques et d’entreprises européennes en relations avec ce pays paria. L’objectif est d’accentuer la marginalisation du gouvernement d’Ahmadinejad au profit de personnalités plus modérées."

Le deuxième communiqué, daté du 2 avril, pourrait paraître un remords tardif. Il relate que : "Après un quart de siècle d’éloignement réciproque, les États-Unis cherchent à entrer en communication directe avec le peuple iranien dans l’espoir de tisser des liens plus étroits et de faciliter la compréhension entre les Iraniens et les Américains." Un quart de siècle durant lequel le peuple iranien subit les avatars d’un régime féodal mis en place, selon le Shah Reza Pahlavi lui-même, par la CIA. La suite du communiqué, rédigé dans cette litote diplomatique propre aux agences de presse gouvernementales, sous-entend que les mêmes services spéciaux offrent leurs bons et loyaux services à quiconque s’emploierait à renverser le régime. Ce qu’Américains et Britanniques ne peuvent obtenir par une guerre ouverte, ils l’obtiendront par le terrorisme et la guerre civile. Personne ne peut leur ôter cette compétence inhérente à toute puissance coloniale. Un reportage réalisé par la chaîne ABC, citée par RIA Novosti, se référant à des sources au sein du gouvernement pakistanais indique qu’une campagne secrète contre l’Iran avec recours à la Jundullah avait été décidée au cours de négociations menées au Pakistan entre le vice-président des Etats-Unis, Richard Cheney, et le président pakistanais, Pervez Musharraf.

Derrière cette volte-face, on voit la nette opposition à toute agression ouverte envers l’Iran de la part des alliés traditionnels des USA dans la région. Après les Turcs, Pakistanais et Saoudiens se désolidarisent de leurs encombrants protecteurs et de leurs manières de cow-boy. Les premiers, par la voix de leur Premier ministre, considèrent que le dialogue doit être repris avec l’Iran. Chez les seconds, le souverain lui-même estime que l’occupation en Irak a assez duré. Tous ont compris la leçon de l’après-Saddam : la chienlit pour la population, la potence pour le dirigeant. La protection américaine n’est plus une assurance vie pour personne.

Dernière banderille plantée dans le dos de l’administration Bush : selon l’agence iranienne Irna, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a affirmé que les droits nucléaires de la République islamique d’Iran "doivent être officiellement reconnus."

Nous aurons tout le temps d’ironiser sur une stratégie qui veut tout à la fois rétablir le dialogue avec une population et lui couper les vivres, désirer des échanges sincères et soutenir le terrorisme parmi ses opposants. Après les deux guerres du Golfe, l’Afghanistan et les projets d’intervention directe en Iran, cette cinquième scène de la guerre pour le Moyen-Orient va s’inscrire dans la durée. N’empêche, il s’agit bel et bien d’un cuisant revers pour ceux dont le scénario envisageait la domination de la région par les armes du Moyen-Orient en moins de cinq ans. Pour l’instant, il est bien tôt pour savourer ce qui pourrait rentrer dans l’histoire comme le plus cuisant revers jamais opposé à l’expansion américaine depuis Fort Alamo. Retenons l’épisode pour ce qu’il vaut : les Mexicains ont bel et bien dû abandonner le Texas. L’histoire pourra se répéter sous d’autres formes, la diplomatie devenant, par sa nature même, une poursuite de la guerre par d’autres moyens. L’enjeu, lui, demeure entier. Américains et Britanniques ne peuvent accepter de s’être battus au Moyen-Orient depuis si longtemps - seize ans pour les premiers, bientôt trois siècles pour les seconds - et devoir au bout du compte renoncer à toute influence sur l’Etat clé du transit de marchandises entre l’Europe et l’Orient, première région productrice d’hydrocarbures de la planète.

Notons en premier lieu qu’il s’agit de renverser Ahmadinejab, pas les mollahs : on doit certainement pouvoir s’entendre avec des gens si propres sur eux, malgré quelques jeunes femmes mineures pendues ici ou là et d’autres incartades sur lesquelles il serait malséant de s’étendre ici. L’administration Bush, sans doute poussée par l’expérience britannique, rêve encore d’une collaboration douce avec un clergé soumis.

En deuxième lieu, nous relèverons les aléas de cette curieuse promenade en mer, certes un peu improvisée, mais qui au total arrange tout le monde. L’Iran passe pour le diable : les mollahs se produisent dans leur meilleur rôle. L’Angleterre brandit cette pudibonderie dans laquelle elle excelle, paraissant sidérée que les cartes de l’Amirauté (au demeurant excellentes) ne déterminent plus le tracé des frontières internationales. Les Américains ont brandi le sabre de l’intransigeance, les Russes ont désigné ce sabre à la vindicte des foules pour que rien ne manque au scénario : qui se plaindrait du spectacle ? Les marins, pour leur part, ont fait de très honorables victimes - so british !

Subrepticement, on est même parvenu à retrouver un conseiller d’ambassade iranienne indûment jeté dans les geôles irakiennes afin de le renvoyer chez lui, à Téhéran. Une façon de retrouver le sens du dialogue en quelque sorte. Et de permettre que personne ne perde la face, Ahmedinejab s’offrant le luxe très oriental de relâcher ses otages devenus inutiles sous la forme d’un "cadeaux".

Pendant ce temps, les revenus d’un baril de pétrole à 65 dollars irriguent les comptes en banque. Attendons le prochain épisode. L’incertitude : rien n’a été inventé de plus efficace pour soutenir les cours.

La croisière s’amuse. Drôle de guerre.

Principales sources :
Irna
RIA Novosti
Département d’Etat
... et les articles repris sur mon blog


Lire l'article complet, et les commentaires