Irina Bokova voudra-t-elle pacifier les religions ?

par Pierre Régnier
vendredi 13 novembre 2009

La nouvelle Directrice Générale de l’UNESCO prend ses fonctions. Sous la Direction de son prédécesseur fut confiée à cette institution la gestion de la "Décennie 2001-2010 pour la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde". Cette initiative avait été lancée par l’ONU suite à un appel des prix Nobel en 1997. À l’aube de sa dernière année on n’y a toujours pas recherché le moyen de faire rejeter, par les croyants des religions monothéistes, leur conception violente de Dieu.

 Dans son numéro 99 (31 août 2009) la revue en ligne Riposte Laïque publie un article du saoudien Hishâm Mohammad intitulé "C’est le ramadan, je vide mon sac". On peut y lire ceci : "Je pense que l’Allah arabe de nos régions ne diffère que par le nom du Yahvé de l’Ancien Testament, fanatique, jaloux, passionné de meurtre et de destruction." (1)

 

J’ouvre ma bible et je vais y relire le Livre de Josué dans l’Ancien Testament. L’introduction me rappelle que "L’ensemble du livre est une figure de la vie et de l’œuvre qui seront celles de Jésus-Christ. Le Dieu Sauveur fait entrer son peuple, l’humanité, dans la Terre promise, figure du royaume à venir, le Royaume des Cieux." Les chapitres 3, 4, 7 et 8 décrivent avec de nombreux détails la conquête du nord et du sud de Canaan. Chaque fois que le "Dieu Sauveur" livre une cité à son peuple en lui assurant la victoire il insiste pour que tous les ennemis soient "passés au fil de l’épée" afin que ne reste absolument aucun survivant. La consigne est respectée, jour après jour, jusqu’à la fin du massacre.

 

C’est donc par ce massacre - que, je crois, on nommerait aujourd’hui un génocide - que Dieu réalise le beau "don" de la terre qu’il avait promise à son peuple. Ce don, ce respect par Dieu de sa promesse, c’est ce qui m’avait enchanté quand on me l’avait enseigné dans le catéchisme de mon enfance (en omettant, certes, le "détail" sur le peuple cananéen passé dans sa totalité "au fil de l’épée"). 

 

Dans ma bible, face à la description détaillée du massacre, une note me dit la leçon que je dois en tirer : "La puissance de Josué réside dans son total abandon à la volonté de Dieu. Il fait comme Yahvé lui avait dit. Il préfigure ainsi le Christ Jésus dont la toute puissance sera l’obéissance jusqu’à la mort : "non comme je veux, mais comme tu veux".

 

C’est l’obéissance qui compte, et c’est donc encore un autre "détail" sans importance, cette petite différence : Jésus donne sa vie dans l’obéissance à Dieu et il la donne pour essayer de faire comprendre aux humains qu’ils doivent "s’aimer les uns les autres" (ce que j’admirais dans le catéchisme incomplet de mon enfance) tandis que Josué massacre tout un peuple pour occuper sa terre. Les auteurs des notes n’hésitent pourtant pas, dans ma bible, à créer un personnage unique à deux têtes, deux âmes, deux conceptions humaines complémentaires, pour eux très cohérent, qu’ils nomment "Josué-Jésus". Comme on dit dans le langage populaire : faut l’faire !

 

Suis-je en train de lire une très vieille bible poussiéreuse ? Non, c’est une belle bible de notre troisième millénaire, la bible annotée de Jérusalem, qui fut lancée avec beaucoup d’enthousiasme par l’église et par la presse catholique en 2001 (2). Et les notes en marge n’y ont pas été rédigées par des théologiens marginaux. Le nouveau catéchisme (3), de quelques années antérieur, a été rédigé sous la direction du cardinal Ratzinger, futur pape Benoît XVI. Celui-ci ne croit pas que les livres sacrés sont simplement l’œuvre de "chercheurs de Dieu" comme ceux dont il a parlé au collège des Bernardins devant des intellectuels admiratifs. Son catéchisme précise que "tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties" "ont Dieu pour auteur" et qu’ils contiennent "tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement" (article 3, passages 105 et 106, et suivants pour l’interprétation).

 

La fameuse "interprétation" est depuis toujours, dans toutes les religions monothéistes, la manière de dire que c’est le lecteur qui ne sait pas lire lorsqu’il tire des conséquences désastreuses, mais parfaitement logiques, de sa lecture. C’est aussi la manière de lui faire porter seul la responsabilité de ses actes, et d’innocenter l’institution qui lui a donné ses mauvaises lectures. Je crois qu’il serait plus honnête, plus courageux, et même plus bénéfique pour ces religions, qu’elles reconnaissent enfin que leur erreur - gravissime - fut dans la divinisation / sacralisation / dogmatisation de simples créations littéraires humaines, celles de chercheurs de Dieu, le plus souvent très bien intentionnés parce que soucieux de trouver, pour soi et dans son rapport avec les autres, la plus noble, la plus juste manière de vivre la vie sur terre.

 

Il faut cependant insister sur ce qu’est devenue, dans les faits, la conception violente de Dieu cultivée par les religions monothéistes. Aujourd’hui les juifs et les chrétiens, même s’il faut regretter leur persistante tricherie théologique, ne demandent plus jamais, dans aucune de leurs composantes, que la prétendue violence de Dieu soit mise en application (4). On peut même soutenir que c’est en trahissant le Jésus dont elle se réclame que l’église catholique tient à la considérer comme toujours vraie pour l’humanité contemporaine de l’Ancien Testament. Le judéo-christianisme continue de former des croyants schizophrènes, mais il n’est plus qu’indirectement responsable de la violence religieuse effective du monde actuel.

 

Il n’en est pas de même de l’islam, dont le prophète a affirmé la prétendue criminalité divine "pour la bonne cause", valable sinon éternellement, du moins jusqu’à ce que le Dieu coranique domine le monde dans sa totalité. Et c’est en se référant très explicitement au prophète Mohamed et à son Coran que des musulmans méprisent aujourd’hui très ouvertement, très publiquement, tout ce qui ne vient pas de cette loi religieuse, qu’ils empêchent les femmes de vivre une vie réellement humaine, qu’ils maltraitent et qu’ils tuent.

 

Si Monsieur Koïchiro Matsuura, le prédécesseur de Madame Irina Bokova à la direction de l’UNESCO et les coordinateurs de la Décennie n’ont pas cru devoir, pour les enfants du monde, engager la lutte contre la théologie criminogène c’est sans doute parce qu’ils étaient conscients que, pour le faire, il leur aurait fallu afficher très publiquement une volonté d’aller à l’encontre d’un autre organisme de l’ONU engagé dans une démarche très exactement opposée. La Commission de l’ONU dite "des Droits de l’homme" persiste en effet, depuis des années, à vouloir criminaliser la critique des religions en la transformant en "diffamation des religions" – ce qui est d’ailleurs stupide dans les termes, on ne peut diffamer qu’une personne – comme d’autres voudraient, en France notamment, créer un "délit de blasphème" dans le même but.

 

C’est la très puissante OCI (Organisation de la Conférence Islamique), regroupant 57 pays sous domination politico-religieuse musulmane, qui a réussi à faire inverser ainsi, dans une institution officielle de l’ONU, la définition des Droits humains, lesquels comprenaient jusque-là la liberté d’expression.

 

Il ne faut pas faire dépendre la lutte, de loin la plus nécessaire aujourd’hui, contre la violence islamique, de la lutte plus générale contre la théologie criminogène dans toutes les religions. Mais celle-ci pourrait être une aide très utile à celle-là.

 

Il faudrait peut-être que, dans les pays démocratiques au moins, les défenseurs des Droits humains aident un peu Madame Bokova et la Coordination de la "Décennie" à réorienter un peu plus positivement leur action. Le moins qu’on puisse dire est que, jusqu’à ce jour, c’est-à-dire durant les neuf premières années de cette belle Décennie voulue par les prix Nobel et l’ONU pour éduquer à la paix, la mobilisation extérieure ne fut guère visible.

 

Neuf années sur dix d’aboulie générale sur un objectif qui se voulait essentiel ! On comprendra peut-être qu’il y a urgence à intervenir enfin, pour changer radicalement la situation.


Au profit, cette fois vraiment, des enfants du monde d’aujourd’hui et de demain.


(1) http://www.ripostelaique.com/C-est-le-ramadan-je-vide-mon-sac.html

 

(2) Bible de Jérusalem, éditions du Cerf / Groupe Fleurus-Mame, 2001


( 3) Catéchisme de l’église catholique, éditions Centurion / Cerf / Fleurus-Mame, 1998 (la couverture précise, comme pour désespérer les enfants du monde : "Édition définitive" !)


(4) Si l’on va lire le texte dans lequel, il y a deux ans, j’alertais sur le risque de faire de la "Décennie UNESCO" un beau gâchis, qu’on lise aussi ma réponse au premier commentaire. J’y rapporte un exemple particulièrement terrible de la croyance juive en la "bonne" criminalité de Dieu. Mais c’était au 12ème siècle :


http://www.centpapiers.com/la-decennie-au-profit-des-enfants-du-monde-va-finir-en-catastrophe/1633/


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