Israël choisira-t-elle la panique et l’isolement dans le monde ?

par Pierre R. Chantelois
samedi 7 février 2009

Hier, le Likoud était donné gagnant. Aujourd’hui, la situation n’est plus pareille. Il semblerait, selon derniers sondages des quotidiens Yediot Aharonot et Haaretz, que Kadima pourrait être nez à nez avec le parti de Benyamin Nétanyahou. Dans moins de trois jours, les Israéliens auront choisi un nouveau gouvernement. Benjamin Netanyahu pourrait obtenir 27 mandats sur 120 de l’électorat. Tzipi Livni, 25 mandats sur 120. Avigdor Lieberman, 19 sur 120. Ehud Barak, 14 sur 120.

Benyamin Nétanyahou et Avigdor Liberman ont mené une campagne sur le dos des Arabes israéliens. Ces derniers forment environ 20 % de la population. Les deux candidats de la droite israélienne ont préconisé également une campagne militaire encore plus vigoureuse contre le mouvement islamiste Hamas. Nétanyahou exclut tout accord avec les Palestiniens dans un avenir proche. Tzipi Livni se dit plutôt favorable à un retrait israélien de Cisjordanie pour permettre la création d’un État palestinien.

Élections obligent. Benyamin Nétanyahou s’est rendu dans une colonie juive du nord de la Cisjordanie pour prévenir les habitants, qu’en cas de victoire, Tzipi Livni chercherait à les expulser pour transférer ces terres aux Palestiniens. Une fois au pouvoir, il considérera nulles et non avenues les promesses d’Ehoud Olmert en faveur d’un retrait de Cisjordanie. Avigdor Lieberman propose, pour sa part, le redécoupage des frontières israéliennes qui ne viserait rien de moins qu’à exclure les zones à fortes populations arabes du pays pour les placer sous tutelle palestinienne. L’an dernier, il avait déclaré que le président égyptien Hosni Moubarak pouvait « aller au diable ».

La volonté d’Avigdor Lieberman de mener le combat contre les Arabes israéliens semble porter ses fruits. Il les accuse de terrorisme et pour contrer cette « cinquième colonne », il exigera de ces derniers un serment de loyauté. « Pas de loyauté, pas de citoyenneté ». Avigdor Lieberman en rajoute : « Puisque les Palestiniens ont l’audace de demander le droit au retour, il doit aussi y avoir un droit d’expulsion ». Et ce discours rejoint largement une couche populaire en Israël : selon un récent sondage, 69 % des personnes interrogées sont d’accord avec cette nouvelle radicalisation.

Lily Galili, journaliste du quotidien Haaretz, a qualifié cette tendance de « russification » de la campagne électorale », rapporte le Figaro. À l’exception de Kadima, tous les partis en lice pour la prochaine élection casseraient du sucre sur le dos des Arabes israéliens. Avigdor Lieberman martèle son message et à ceux qui s’inquiètent de son influence, il répond : « la ligne de séparation n’est pas entre juifs et Arabes, mais entre ceux qui soutiennent le terrorisme et ceux qui s’y opposent ». Raciste, le leader d’extrême-droite ? Indira Indilevitch, 59 ans, originaire de Moldavie comme Lieberman, ouvre de grands yeux. « Non ! Il est droit, loyal, il a une grande personnalité », déclare-t-elle à l’agence France Presse. Yéhuda Abraham, garagiste de 52 ans, qui a toujours voté pour les travaillistes (centre-gauche), déclare pour sa part : « Les Russes, eux, la force et l’ordre, ça les connaît ».

Contre toute attente, Avigdor Lieberman, ultranationaliste, connu pour ses relents racistes, ses positions radicales et son franc-parler, est devenu, à 51 ans, le nouveau « tsar » avec lequel il faudra compter aux prochaines élections. Il a gardé le style et le verbe d’un ancien videur de boîte de nuit fortement baraqué, comme lorsqu’il a appelé à bombarder les stations-service, banques et centres commerciaux palestiniens. « Accepter un Iran nucléaire en 2010, c’est comme accepter l’élection d’Hitler en 1933. Un Iran nucléaire, c’est comme Hitler avec l’arme nucléaire ». Il a démissionné du gouvernement en 2008 car, pour lui, les négociations de paix avec les Palestiniens « ne mènent nulle part, et le principe de la terre contre la paix est une erreur fatale ».

La situation en Israël est donc la suivante : que ce soit Benyamin Nétanyahou ou Tzipi Livni qui remportent les élections, dans moins d’une semaine, ils devront, selon toute vraisemblance, l’un et l’autre, composer avec Avigdor Lieberman pour former le gouvernement. Avec un allié empoisonné qui se montre indifférent aux accusations de racisme. Il lui suffit d’évoquer la sécurité du territoire pour semer la crainte et le désarroi  : « Israël est confronté à une double attaque terroriste, de l’intérieur et de l’extérieur. Et le terrorisme de l’intérieur est toujours plus dangereux que celui de l’extérieur ». Avigdor Lieberman ne fait pas dans les nuances : « les Arabes ont tous les droits, mais ils n’ont aucun droit sur la terre d’Israël ».

Les détracteurs d’Avigdor Lieberman disent de lui qu’il est un homme dangereux. « Quelle est la différence entre son parti et les partis fascistes en Europe ? », s’interroge l’ancien député de gauche Yossi Sarid, rencontré par la Presse Canadienne. « C’est le même message, la même technique, consistant à exploiter les mêmes peurs ». Ahmad Tibi, député arabe israélien, compare la présente situation à celle du leader d’extrême droite, Jorg Haider, qui avait intégré le gouvernement en Autriche. « Haider était un raciste opposé aux immigrés qui incitait à la xénophobie. Ici, nous avons un immigré raciste qui se bat contre des habitants natifs de cette terre. C’est une forme de racisme encore pire ».

Le débat intérieur, à l’issue de ces élections, sera impitoyable, selon la tendance du nouveau gouvernement. D’une part, les partis centristes favorables à la création d’un État palestinien. D’autre part, les partis d’extrême-droite aux tendances nationalistes et ultranationalistes qui s’opposent toujours au retrait unilatéral de Gaza par Israël, en 2005, et qui se déclarent sans nuances possibles hostiles à la création d’un État palestinien à Gaza et en Cisjordanie. Nous sommes donc face à un bloc de droite qui pourrait remporter 65 sièges, sur 120, contre le bloc de centre gauche qui ne remporterait que 53 sièges. Ce clivage traduit la profonde division des tendances en Israël et montre l’insatisfaction du peuple israélien à l’égard de leur gouvernement actuel pour avoir retiré les troupes prématurément de Gaza, sans terminer la tâche pour laquelle elles étaient assignées. Il fallait poursuivre les opérations pour en finir avec le Hamas.

L’arrivée de Barack Obama constitue, à point nommé, un prétexte pour une certaine radicalisation en Israël. Les signes de Barack Obama, depuis son investiture, donnent à penser qu’il se montrera plus critique à l’égard du « grand ami » du Moyen-Orient et qu’il pourrait durcir le ton sur la question de la colonisation, pierre d’achoppement, entre autre, d’un accord de paix. « Je déploierai tous les efforts pour parvenir le plus rapidement possible à l’instauration d’une paix durable dans la région », avait déclaré Obama à Abbas, lors de leur conversation téléphonique. Avant son investiture, Newsweek exhortait Barack Obama à se montrer très dur, plus dur que ses prédécesseurs, avec Israël afin de faire avancer la paix dans la région : « [...] the days of America’s exclusive ties to Israel may be coming to an end. Despite efforts to sound reassuring during the campaign, the new administration will have to be tough, much tougher than either Bill Clinton or George W. Bush were, if it’s serious about Arab-Israeli peacemaking ».

La nomination de Georges Mitchell agace beaucoup. Lors de sa tournée au Moyen-Orient, qui l’a conduit fin janvier en Égypte, en Israël, en Cisjordanie et en Arabie saoudite, l’émissaire du président Obama à la consolidation du fragile cessez-le-feu. Hillary Clinton insiste pour dire que les États-Unis sont disposés à œuvrer pour l’établissement d’un État palestinien « viable » en Cisjordanie et à Gaza et que George Mitchell repartirait « avant la fin du mois ».

Les Israéliens manifestent clairement qu’ils en ont assez du pouvoir en place, assez « des ratés de la seconde guerre du Liban et des multiples affaires de corruption qui ont éclaboussé plusieurs gros bonnets de Kadima, dont le Premier ministre sortant, Ehoud Olmert », rappelle à Challenges l’ancien parlementaire et chercheur, Yehouda Ben Meir. La question fondamentale que pourrait se poser l’électorat israélien, est la suivante : la Maison-Blanche se montre-t-elle moins pro-israélienne que dans le passé ? Et du côté des États-Unis, la doctrine Obama se fonderait davantage sur l’écoute que sur l’imposition de règles de conduite. Barack Obama, qui veut refonder le rôle et la réputation des États-Unis dans le monde, est conscient que la question du Moyen-Orient empoisonnera toutes ses tentatives pour redresser la nouvelle carte diplomatique. L’électorat répondra à cette question le 10 février prochain. Selon ce dernier, le pays aurait plus que jamais besoin d’une figure musclée pour tenir tête à Washington. Vouloir revenir aux frontières de 1967 est une concession de trop.

À la doctrine de deux États qui se côtoient, un État hébreu et un État palestinien, Benyamin Nétanyahou oppose celle d’une « paix économique ». Cette doctrine, aux yeux de l’électorat, a l’avantage d’éviter le partage de Jérusalem et le retour aux frontières de 1967. Le cheminement de Benyamin Nétanyahou, depuis qu’il avait sabré dans les allocations familiales, est impeccable. Il s’est rapproché du peuple, prêche la sécurité des personnes et du territoire, se refuse aux concessions avec les Arabes, durcit le ton à l’égard de la faiblesse du gouvernement centriste, et conduira Israël vers une position d’extrême-droite. Il se présente comme un leader modéré : solide, fiable.

Pour cela, Benyamin Nétanyahou pourrait changer d’avis : il manifeste maintenant sa préférence pour un gouvernement d’union nationale sous sa direction en alliance avec les travaillistes et le Kadima pour éviter d’être l’otage de l’extrême-droite. Il y a fort à parier que Nétanyahou a parfaitement saisi le message du quotidien à grand tirage, Yediot Aharonot, selon lequel un vote pour Avigdor Lieberman traduirait « une peur panique » au sein de la population face à la dégradation de la sécurité et un risque d’isolement dans le monde.


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