Israël fête ses 70 ans d’existence

par Sylvain Rakotoarison
lundi 14 mai 2018

« Cette reconnaissance, par les Nations Unies, du droit du peuple juif à créer son État est irrévocable. » (14 mai 1948).



Soixante-dix ans, c’est à peu près la vie d’un homme (ou d’une femme). Pas son espérance de vie en 2018, mais en 1948, assurément. David Ben Gourion (1884-1973) a proclamé l’indépendance de l’État d’Israël à Tel-Aviv le 14 juin 1948, un jour avant le départ des Britanniques qui avaient un mandat d’administration de la Palestine depuis plusieurs décennies. Cette indépendance n’a rien résolu, voire, a créé d’autres problèmes, mais dans tous les cas, qu’on le souhaite ou qu’on le regrette, cet État s’est courageusement battu pour se faire respecter et pour exister.

À l’origine, le sionisme fut imaginé à la fin du XIXe siècle pour créer une nation juive en Palestine. Porté par Theodor Herzl (1860-1904) puis Chaim Weizmann (1874-1952), le sionisme s’est nourri d’une forte montée de l’antisémitisme en Europe. En particulier, en France avec l’affaire Dreyfus, où de nombreux Juifs se disaient que si un militaire innocent était injustement condamné parce que Juif dans le pays des Lumières, l’un des plus éclairés au monde, cela voulait dire que les Juifs ne seraient en sécurité nulle part sauf s’ils créaient eux-mêmes leur pays. Les pogroms en Russie impériale ont également contribué à cette prise de conscience. Lors du premier congrès sioniste à Bâle du 29 au 31 août 1897, Theodor Herzl nota dans son journal : « Si je devais résumer le congrès de Bâle en un mot, ce serait celui-ci : à Bâle, j’ai fondé l’État juif (…). Peut-être dans cinq ans et certainement dans cinquante ans, chacun le saura. ». Quelle vision : il a fallu finalement cinquante ans et huit ans pour atteindre l’objectif !

Il a fallu cependant attendre la fameuse déclaration de Lord Arthur Balfour, le 2 novembre 1917, en pleine guerre, il y a un peu plus de cent ans, pour que le sionisme gagnât officiellement un allié de poids, une grande puissance européenne, le Royaume-Uni, reprenant les Accords Sykes-Picot signés le 16 mai 1916.

Arthur Balfour (1848-1930) était le Ministre britannique des Affaires étrangères. Sa déclaration, adressée à un représentant du mouvement sioniste et publiée le 9 novembre 1917 au "Times" de Londres, fut très claire : « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour les Juifs et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et aux statuts politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays. ».

Le gouvernement britannique a soutenu ce projet sioniste surtout par stratégie pour sauvegarder les intérêts britanniques au Proche-Orient, considérant que la présence d’une population juive au sein d’une terre arabe créerait des troubles qui placeraient les Britanniques dans le rôle d’arbitre régional, ce qui préserverait leurs intérêts sur le canal de Suez. Par ailleurs, ce nouvel État permettrait de repousser le fort nationalisme arabe qui, durant tout le XXe siècle, bouleversa la géopolitique régionale.

Cette déclaration fut reprise lors des négociations de paix après la fin de la Première Guerre mondiale, à la Conférence de Paris (18 janvier 1919 au 10 août 1920) et à la Conférence de San Remo (19 au 26 avril 1920), en particulier par les quatre "Grands", à savoir Georges Clemenceau, le Président du Conseil français, Woodrow Wilson, le Président des États-Unis, David Lloyd George, le Premier Ministre britannique, et Vittorio Orlando, le chef du gouvernement italien.



Cela a abouti au Traité de Sèvres signé le 10 août 1920 (qui réglait l’ancien territoire de l’Empire ottoman) dans son article 95 sur l’administration de la Palestine placée sous la responsabilité d’un mandataire choisi par les quatre grandes puissances : « Le mandataire sera responsable de la mise à exécution de la déclaration originairement faite par le gouvernement britannique et adoptée par les autres puissances alliées, en faveur de l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, étant bien entendu que rien ne sera fait qui pourrait porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives en Palestine, non plus qu’aux droits et aux statuts politiques profitant aux Juifs dans tout autre pays. ».

Ce traité de paix, comme avec le Traité de Versailles pour l’Allemagne, a laissé un goût amer aux populations du Proche et Moyen-Orient. Le partage de l’Empire ottoman en deux mandats attribués à la France (Syrie et Liban) et au Royaume-Uni (Irak, Palestine, Transjordanie), entériné par la Société des nations (SDN), s’est réalisé sans aucune concertation ni consultation des peuples concernés. Les frontières elles-mêmes, artificielles, ainsi que le plaquage de l’idée d’État-nation sur une société ottomane traditionnelle, ont été le germe de futurs conflits. Le Royaume-Uni ne songeait qu’à une chose, protéger ses routes commerciales, tant le canal de Suez que la route des Indes. En 1922, la SDN a confié au Royaume-Uni le mandat de créer un État juif en Palestine.

Entre les deux guerres, il y a eu beaucoup de difficultés. De fortes tensions se sont exprimées à cause de la déclaration de Darfour, et cela dès son premier anniversaire, le 2 novembre 1918. Les populations arabes ont refusé l’arrivée d’immigrants juifs et leur installation au sein d’un État en Palestine. Des pogroms ont eu lieu, de nombreux affrontements ainsi que la répression britannique. Spirale de violence qui jamais ne semble s’arrêter. Voyant les difficultés arriver, les Britanniques ont cherché à décourager l’immigration juive en Palestine à partir des années 1930, même après l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne.

Parallèlement, l’Europe est devenue une terre de plus en plus hostile aux Juifs. Des massacres antisémites ont eu lieu à l’est de l’Europe et en Russie soviétique, et la conquête du pouvoir de Hitler en 1933 a renforcé la persécution antisémite dans une grande partie de l’Europe, et même en France, les idées antisémites ont pris un poids important. L’émigration vers la Palestine a alors été considérée comme la meilleure solution de sécurité pour les Juifs d’Europe, d’autant plus que les États-Unis étaient devenus de plus en plus réticents à accepter une forte immigration juive dans les années 1930. Entre 1931 et 1939, la population juive en Palestine a triplé, atteignant près de 500 000 habitants, ce qui était inconcevable pour les Arabes (aujourd’hui, Israël a presque 9 millions d’habitants).

Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée sioniste devenait une évidence. La Shoah, avec la découverte des camps d’extermination, a convaincu la "communauté internationale" d’offrir aux Juifs un État spécifique comme refuge aux persécutions. Le Royaume-Uni lui-même fut pressé de quitter la Palestine.

La résolution 181 des Nations Unies votée le 29 novembre 1947 a mis ainsi fin au mandat britannique en Palestine et a partagé le territoire en deux États indépendants, un État juif et un État arabe. Le plan de partage ainsi établi n’a pour l’instant jamais été respecté. Pourquoi ? Parce que l’hostilité des nations arabes fut telle que, pour se défendre et garantir son intégrité, l’État d’Israël a dû occuper des territoires normalement attribués aux Palestiniens. C’est un conflit qui dure maintenant depuis soixante-dix ans.



Lorsque la proclamation de l’État d’Israël a été prononcée par David Ben Gourion le 14 mai 1948, puis signée par une dizaine de responsables sionistes, il ne manquait que Chaim Weizmann, alors bloqué aux États-Unis, qui en a voulu à Ben Gourion de n’avoir pas pu signer a posteriori cette déclaration historique qui fait d’ailleurs office de Constitution, puisque l’État d’Israël n’a pas de Constitution en tant que telle.

Une petite réflexion sur cette création. Contrairement à ce qu’on peut dire, la création de l’État d’Israël n’est pas plus artificielle que celle des autres États de la région. Ils émanaient d’un partage (mal fait, voir plus haut) de l’Empire ottoman et la Syrie (créée en 1946), le Liban (créé en 1943), la Transjordanie (créée en 1946 et devenue Jordanie en 1950) et même l’Irak (créé en 1932) furent aussi artificiels qu’Israël. Seuls l’Égypte (recréée en 1936) et peut-être le Soudan (créé en 1956) avaient une réalité historique plus acceptable.

Dès le 15 mai 1948, la première guerre israélo-palestinienne a été déclarée : les armées syrienne, irakienne, transjordanienne, libanaise et égyptienne ont tenté de détruire Israël. On peut comprendre, dans ces conditions, que les Israéliens sont des habitants extrêmement sécuritaires. Il ne s’agit pas de posture électorale, mais simplement d’une nécessité vitale pour assurer leur propre existence. Contre toute prévision, l’armée israélienne (Tsahal) a gagné cette première guerre le 20 juillet 1949, et gagna les guerres suivantes (notamment celle des Six-Jours, du 5 au 10 juin 1967), imposant un respect dû aux issues militaires, au prix d’occupation de colonies israéliennes.

David Ben Gourion fut le premier Premier Ministre d’Israël (chef de l’exécutif) du 14 mai 1948 au 26 juin 1963 (avec une courte interruption du 26 janvier 1954 au 3 novembre 1955 où il a gardé une énorme influence sur l’exécutif). On avait proposé au physicien Albert Einstein d’être le premier Président d’Israël (fonction honorifique) mais, peu porté par les honneurs, il refusa sagement en expliquant : à chacun son métier, les physiciens à la physique, les responsables politiques à la politique. Ce fut donc Chaim Weizmann qui fut le premier Président de l’État d’Israël du 16 mai 1948 à sa mort, le 9 novembre 1952.

Depuis soixante-dix ans, Israël s’est révélé être le (quasi-) seul État démocratique de la région, à l’exception notable du Liban. Tous les autres pays sont en effet des régimes autocratiques qui ne connaissent pas la démocratie (et l’Irak actuel est pour l’instant à peine un État).

Dans sa déclaration d’indépendance, Israël a placé parmi ses valeurs fondamentales la justice, la paix, la liberté de conscience, la liberté de culte, de langue, d’éducation et de culture, une égalité de citoyenneté, à savoir des droits politiques et sociaux à tous les citoyens, sans distinction aucune de croyance ni d’ethnie ni de sexe. Cela signifie qu’un musulman peut vivre librement sa foi en Israël.

Dans les formulations officielles, il est évoqué seulement "l’État d’Israël" et jamais la "République d’Israël", pourtant, Israël est bien une république et une démocratie parlementaire, mais les intégristes religieux préféraient éviter ce mot de République.



Toujours dans cette déclaration d’indépendance (qu’on peut télécharger à ce lien), on peut y lire : « Le pays d’Israël est le lieu où naquit le peuple juif. C’est là que se forma son caractère spirituel, religieux et national. C’est là qu’il acquit son indépendance et créa une culture d’une portée à la fois nationale et universelle. C’est là qu’il écrivit la Bible et en fit don au monde. Exilé de Terre sainte, le peuple juif lui demeure fidèle tout au long de sa Dispersion et il n’a jamais cessé de prier pour son retour, espérant toujours la restauration de sa liberté politique. ».

Il y a aussi une évocation de la Shoah : « La catastrophe nationale qui s’est abattue sur le peuple juif, le massacre de six millions de Juifs en Europe, a montré l’urgence d’une solution au problème de ce peuple sans patrie par le rétablissement d’un État juif qui ouvrirait ses portes à tous les Juifs et referait du peuple juif un membre à part entière de la famille des Nations. Les survivants des massacres nazis en Europe, ainsi que les Juifs d’autres pays, ont cherché, sans relâche, à immigrer en Palestine sans se laisser rebuter par les difficultés ou les dangers et n’ont cessé de proclamer leur droit à une vie de dignité, de liberté et de labeur dans la patrie nationale. ».

L’égalité de tous les citoyens, y compris arabes : « Nous demandons (…) aux habitants arabes de l’État d’Israël de préserver la paix et de prendre leur part dans l’édification de l’État sur la base d’une égalité complète de droits et devoirs et d’une juste représentation dans tous les organismes provisoires et permanents de l’État. ».

Enfin, un appel à la paix qui n’a jamais été entendu par les voisins arabes (sauf par l’Égypte trente ans plus tard) : « Nous tendons la main à tous pays voisins et à leurs peuples et nous leur offrons la paix et des relations de bon voisinage ; nous les invitons à coopérer avec le peuple juif rétabli dans sa souveraineté nationale. L’État d’Israël est prêt à contribuer à l’effort commun de développement du Moyen-Orient tout entier. ».

L’originalité de cet État est qu’il est basé sur une sorte de "fusion" (mot que je préfère à "confusion") entre l’idée nationale et l’idée religieuse (le Juif devient citoyen en même temps qu’il est croyant), mais pas exclusivement puisque des Arabes musulmans peuvent être Israéliens. Le pays est structuré comme une démocratie parlementaire classique, mais avec un communautarisme religieux fortement ancré, reprenant d’ailleurs des communautarismes que l’on peut retrouver dans des sociétés influencées par la culture anglo-saxonnes.

Non seulement Israël est une démocratie, mais une démocratie parmi les plus avancées avec ses contrepouvoirs, capable de condamner à la prison ferme un Président en exercice (Moshe Katsav, qui fut en prison pendant cinq ans pour viols), capable de poursuivre ses chefs de l’exécutif dans des scandales financiers. Le fait qu’un Premier Ministre en exercice puisse être inquiété par la justice de son pays ne montre pas un État "pourri" mais au contraire, un État capable de sécréter ses valeurs malgré ses dirigeants peu moraux. Aucune organisation n’empêchera des personnes d’être hors-la-loi, mais la bonne organisation est celle qui est capable de les détecter, de les juger et de les condamner, quelles que soient leurs positions au sein de cette organisation.

Au fil des générations et des agressions arabes, Israël a cultivé un sens très élevé de la sécurité qui a provoqué aussi un mouvement antisioniste, afin de protéger le peuple palestinien. Les provocations des deux camps, malgré quelques accords de paix (notamment Camp David en 1978 et Oslo en 1993) n’ont pas suffi à atteindre l’autre objectif de la résolution 181, à savoir la création d’un État palestinien qui est aussi nécessaire que l’État d’Israël. Non seulement Israël est un État militaire, mais également une nation économiquement dynamique, investissant massivement dans la recherche et l’innovation.

Aujourd’hui, l’antisionisme, exprimé en Europe qui n’est pourtant pas le lieu du conflit israélo-palestinien, est une nouvelle forme d’antisémitisme. Celui-ci, réprimé notamment par les lois françaises, trouve une sorte de renaissance avec l’antisionisme. Pourtant, refuser aux Juifs l’existence de l’État d’Israël est aussi porteur de guerre et de haine que refuser aux Palestiniens l’existence d’un État palestinien. Cet antisionisme va même jusqu’à transformer les victimes en bourreaux en comparant le gouvernement israélien aux …nazis. Un comble ! Qui n’apporte aucune solution concrète à ce conflit centenaire.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Déclaration d’indépendance d’Israël le 14 mai 1948 (à télécharger).
Les 70 ans d’Israël.
Élie Wiesel et la Shoah.
Un géant à Jérusalem.
Le dernier des Sages ?
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Shimon Peres élu Président.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.


 


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