Israël, ou la révolution permanente

par OEF
jeudi 8 décembre 2005

Tandis que le syndicaliste marocain Amir Peretz prend la tête du Parti travailliste, Ariel Sharon se positionne au centre de l’échiquier politique. Entretien avec Didier Epelbaum, ancien correspondant de France 2 à Jérusalem (de 1973 à 1985).

On assiste actuellement à un bouleversement tactique au sein du champ politique israélien. Quels étaient pour vous les signes avant-coureurs de cette mutation ?

Il faut d’abord comprendre la spécificité du système politique israélien. C’est un des seuls pays au monde à avoir adopté la proportionnelle intégrale. Il en résulte qu’au Parlement, 14 partis représentent quatre millions d’électeurs... Pour avoir un député, 40 000 voix suffisent !

Pourquoi avoir adopté un tel code électoral ?

Lors de la création d’Israël en 1948, David Ben Gourion a décidé que ce serait le meilleur pour une société en mutation constante. Seulement, la loi fondamentale stipule que pour modifier le code électoral, les deux tiers des votes sont requis. Et comme les petits partis n’ont aucun intérêt à cette modification... Ajoutons que ce système n’a pas que des inconvénients, puisqu’il il favorise la représentation des minorités.

Suite au retrait de Gaza en août 2005 et dans la perspective des élections de mars 2006, Ariel Sharon a annoncé qu’il prendrait la tête d’un nouveau parti de centre-droit, Kadima. La comparaison avec Charles de Gaulle est-elle pertinente ?

Non, pas du tout. De très loin peut-être, mais pour l’instant rien n’est encore fait. Si Sharon avait déjà abouti à la création d’un État palestinien, j’aurais répondu oui. Aujourd’hui, ce n’est tout au plus qu’un début.

Ariel Sharon est-il capable de marginaliser ses adversaires ?

Il y a d’abord un problème de politique intérieure : dans le passé, toutes les tentatives de créer un centre ont échoué. Par ailleurs, Sharon a fait son virage idéologique il y a trois ans déjà, en prononçant les mots État palestinien. Il est populaire pour cela, mais son accession au pouvoir relève plus du concours de circonstances. La maladresse de Benyamin Netanyahu lui a permis de contraindre le Parti à le suivre pour garder le pouvoir. Aujourd’hui, une douzaine de députés du Likoud (droite nationaliste) ont d’ores et déjà rejoint Kadima. Shimon Peres n’a pas encore indiqué s’il comptait soutenir Sharon de l’intérieur ou de l’extérieur du nouveau parti, mais il a décidé de quitter le Parti travailliste. Le charisme du Premier ministre joue beaucoup.

On a souvent dépeint le parti travailliste comme un club de l’élite libérale et ashkénaze. Dans quelle mesure l’élection d’Amir Peretz va-t-elle modifier la sociologie de ce parti ?

Effectivement, c’était le parti petit-bourgeois de la génération des fondateurs d’Israël. Après 1948, les populations en provenance des pays arabes seront beaucoup moins bien représentées par ce parti. Le fait est que ces populations sont avant tout traditionalistes. De ce point de vue, le cas d’Amir Peretz est très intéressant, car il dispose d’une double casquette : d’une part, il est entouré d’un groupe de jeunes gens originaires du Maroc, qui ont fait de solides études et qui sont le reflet d’une génération montante en Israël ; d’autre part, il est le patron de l’influente centrale syndicale Histadrout. Et ce n’est pas un militaire, il a des positions très à gauche sur le problème palestinien et sur les questions économiques. L’été dernier, j’étais en Israël au moment où des chiffres relatifs à la pauvreté ont été publiés. En apprenant que le tiers de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté, l’opinion israélienne a reçu un véritable choc.

Dans quelle mesure les conditions économiques vont-elles peser sur le prochain scrutin ?

Compte tenu de la personnalité de Peretz, il est possible que, pour la première fois, la question sociale soit au centre du débat. Un argument des travaillistes consiste à dire que les milliards engloutis dans les territoires occupés auraient certainement pu servir ailleurs.

Des dissensions entre une partie de l’armée et les autorités politiques sont apparues au grand jour. Pensez-vous qu’un civil puisse être élu à la tête de l’exécutif, à l’instar de Menahem Begin en 1977 ?

A ce jour, les sondages [publiés par les quotidiens Maariv, Yediot Aharonot et le Jerusalem Post] créditent Kadima de 32 à 34 sièges, le Parti travailliste obtient 25 à 28 sièges, et le Likoud de Netanyahu décroche 12 sièges, dirigé par son challenger Shaul Mofaz [actuel ministre de la défense] il remporte 18 sièges. De fait, le Shinui laïc et l’extrême-droite religieuse (Shas et le Parti national religieux) sont les grands perdants de ces sondages. Quant aux listes arabes, elles gagnent un député, avec neuf sièges.

Comment analysez-vous le vote arabe ?

Ils ont actuellement huit députés, soit 6,6% des parlementaires, alors qu’ils représentent 18,6% de la population. La majorité des Arabes israéliens vote donc pour les partis conventionnels. Bien que les trois listes arabes [Hadash communiste, Balad progressiste et Liste arabe unie musulmane] soient les plus militantes pour la cause palestinienne, Amir Peretz peut bénéficier de la très bonne implantation de Histadrout dans les localités arabes. Je pense qu’il y sera très populaire. Rappelons qu’en 2000, Shimon Peres a perdu à cause de 29 000 voix arabes, après le bombardement de Kfar Kana [au Liban] par l’aviation israélienne. Quand on me demande de faire des pronostics sur ce pays, je réponds toujours que je suis prêt à faire des prévisions pour cet après-midi, mais pas plus...

Propos recueillis le 30/11/05, à Paris


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