Japon : une population digne

par Damien Personnaz
mercredi 16 mars 2011

Les images et les mots qui tentent de décrire la tragédie au Japon parlent de morts, d'apocalypse, de détresse, de panique nucléaire. Le mot qui me vient à l'esprit est : dignité. 

Les images en boucle de la télévision montre des scènes de dévastation, de peur ; apocalyptiques.

Vous les regardez sûrement comme moi dans le salon ou dans la cuisine en train de préparer le dîner. Vous les écoutez dans les embouteillages ou dans le calme de la salle de bain.

Après la tragédie de décembre 2004 qui a frappé l’Asie et une partie des pays bordant l’océan Indien faisant près de 250'000 victimes, c’est au tour du Japon, six ans après, d’être frappé par le séisme et le tsumani tant redoutés.

Les mots des journalistes dépêchés à la hâte sur place évoquent l’apocalypse, l’horreur, l’enfer nucléaire. 

Leur Premier Ministre évoque la pire catastrophe depuis la deuxième guerre mondiale, sous-entendu depuis Hiroshima et Nagasaki, la débâcle, la perte de l’honneur.

Pourtant, je suis touché par la dignité des victimes.

Les images des survivants montrent une population meurtrie, certes, mais surtout digne, oui, c’est le mot qui me vient à l’esprit et au bout de mes doigts. Disciplinée, responsable. On la voit faisant patiemment la queue pour de la nourriture et de l’eau, dans un froid cristallin ou dans une pluie neigeuse, pendant des heures, sans rechigner.

On la voit réfréner ses larmes et ses cris.

On la voit s’entasser dans des abris, serrée comme des sardines, patiente, attendant une hypothétique amélioration.

Une population qui ne morigène pas.

La façade des immeubles est lézardée mais les visages se doivent de rester neutres. J’ai suffisamment vécu en Asie pour savoir qu’un sourire peut masquer la détresse, les larmes cacher l’impuissance. Ici, on ne hurle pas sa douleur, on pleure silencieusement en souriant doucement et en cachant ses dents.

On ne perd pas la face.

Le Gouvernement gère la crise comme il peut, même si le pays est bien préparé. Une catastrophe de cette ampleur reste toujours une crise, où les priorités se télescopent. Que faire ? Par où commencer ? Où aller ? Comment y aller ? Les messages contradictoires sur le risque nucléaire ne sont pas rassurants.

Bien entendu, ce calme apparent cache un désarroi qui demain, sans doute, virera vers la colère. La confiance en leur Gouvernement risque d’être ébranlée, les bureaucrates seront visés, les lenteurs analysées, les messages contradictoires passés au crible par des médias peu complaisants et très puissants. Les Japonais ne sont pas des moutons.

Plus tard. Pour le moment, la peur se terre au fond des yeux. Il y a la catastrophe qui se voit – les immeubles lézardés, les maisons détruites, les morts invisibles ensevelis, deux gens comme vous et moi – et celle qui s’évapore dans les airs, invisible et sournoise et qui n’a pas fini de faire parler d’elle faute de savoir de quoi il en retourne, exactement.

Oui, je suis touché par la dignité et la discipline de cette population. Vous savez, celle qui vient chez nous, dont les us et coutumes nous font souvent sourire en coin, que l’on voit trottiner à la queue leu leu derrière leur guide et prenant des photos dans tous les sens, ouvrant leur portefeuille généreux aussi sûrement que la focale de leur portable et appareils photo. Qui fait la fortune des groupes LVMH et Richemont.

Le Japon est un pays développé. Mais c’est aussi un archipel de 6000 îles, longtemps fermé aux étrangers, tiraillé par un modernisme forcené et dérangeant et un archaïsme social déroutant. Un pays où la communauté joue un rôle essentiel pour comprendre la société dans laquelle la population s’entrecroise. Un pays qui a appris à se battre psychologiquement, et non pas uniquement techniquement, contre les Eléments.

Je me rappelle le tsumani de 2004 (que j'avais évoqué ici). Et quand je vois les images aujourd’hui, je me rappelle hier avec un picotement familier dans l’estomac et des larmes qui perlent.

Alors au-delà des images « apocalyptiques », je préfère me concentrer sur la dignité des victimes, leur résilience, leur sang-froid.

Je me pose aussi cette question. Face à un cataclysme de cette nature, ferions-nous aussi bien ?


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