« Je croyais que mes enfants vivraient dans un pays en paix »

par Shalom Aleykoum
mercredi 4 novembre 2015

4 novembre 1995. Yigal Amir, farouche opposant à l'initiative de paix engagé entre Yitzak Rabin et Yasser Arafat, tire sur le Premier ministre Israélien, tuant l'homme et les accords d'Oslo du même revolver. 20 ans et plusieurs guerres plus tard, les Israéliens commémorent son souvenir, qu'ils aient cru avec lui ou non, au rêve de voir un jour "deux états pour deux peuples".

“Je croyais que mes enfants vivraient dans un pays en paix, comme partout dans le monde ”. D’un geste lent, Rachelle replace une mèche de cheveux blanc tombée sur ses lunettes et se corrige aussitôt : “en fait non, je ne croyais pas, j’en étais sûre”. Long silence. Puis d’une voix déchirée, elle murmure “Je m’étais trompée”. 20 ans après la douleur est toujours là, toujours aussi vive, pour cette Israélienne de 77 ans, qui n’a jamais milité mais se définit comme une femme de gauche. La mort d’ Yitzhak Rabin, elle l’a appris à la télé et n’a qu’un mot pour définir ce qu’elle a ressenti à ce moment-là : “c’était terrible... terrible… terrible”.

“Pas seulement pour la paix mais pour tout Israël”, vous dira la vieille femme aux origines bulgares, chassée de son pays durant la Seconde Guerre mondiale et arrivée en Israël en 1948. Yitzhak Rabin elle l’aimait beaucoup, pour autant elle ne veut pas croire que la paix est morte en même temps que le Premier ministre, assassiné de trois balles à la sortie d’un meeting, sur la place qui porte aujourd’hui son nom. Mais la paix semble loin. Très loin. La faute “aux Palestiniens qui ne reconnaissent pas même 2 cm de terre pour les juifs” et à ce gouvernement “qui construit toujours des maisons pour les Israéliens sur les terres des Palestiniens”. Sans employer le terme d’occupation, la vieille dame critique ouvertement Benyamin Netanyahou.

Tout le contraire d’Amram, 50 ans, qui voit en l’actuel Premier ministre israélien le sauveur du pays. Jean, tee-shirt noir et lunettes de soleil sur le front il estime que le problème c’est avant tout de trouver un partenaire car “avec qui peut-on faire la paix ? On est les seuls démocrates de toute la région.” Cet Israélien et fier de l’être, né dans le sud du pays est catégorique : “ce sont les Arabes qui ne veulent pas de la paix, regarde tout ce qui se passe en ce moment, toutes ces attaques… on pourrait se venger et raser Gaza, militairement on a la force pour, mais on ne le fait pas parce que, nous, on est démocrates.” En regardant les photos géantes d’Yitzhak Rabin installées sur la place pour commémorer le 20ème anniversaire de sa mort, il se souvient du choc de l’assassinat : “ C’était après Shabbat, un samedi soir, on était tous devant la télé et on a appris que Rabin s’était fait tirer dessus et avait été conduit à l’hôpital… Et puis y a ce type Eitan Haber qui est arrivé devant toutes les caméras et qui a annoncé qu’il était mort, assassiné par un Juif”. C’est son traumatisme à lui, qu’un Juif ait tué un autre Juif. Avant le 4 novembre 1995, Amram ne pensait pas que c’était possible.

Qu’ils aient été de gauche ou de droite, engagé ou non, l’assassinat de l’artisan des accords d’Oslo a été vécu comme un traumatisme par la plupart des Israéliens. Même par les enfants. Shahar avait 9 ans au moment de ce qu’elle appelle “la tragédie”. La jeune femme se remémore sa première pensée : “je comprenais que c’était très grave, mes parents pleuraient, j’avais peur, j’ai cru que c’était l’holocauste qui revenait.” Dans un premier temps, les parents de la jeune Israélienne ont cru que les accords d’Oslo seraient maintenus, malgré la mort d’Yitzhak Rabin. Si bien qu’adolescente, Shahar pensait qu’elle n’aurait pas besoin de faire son service militaire, obligatoire en Israël. “Pas de guerre, pas besoin d’armée”, explique-t-elle. Mais a 18 ans, à la fin de la seconde Intifada, elle a déchanté et a dû revêtir l’uniforme kaki. Elle conçoit que c’est dur de croire aujourd’hui que la paix est possible, car selon elle “les Israéliens ont peur et le gouvernement fait tout pour les maintenir dans la crainte”. A la question : “est-ce que tes enfants vivront un jour dans un pays en paix ?” le corps de la jeune femme se contracte dans un spasme avant qu’elle ne lâche un “je ne crois pas”. Comme si elle se rendait compte soudain de l’atrocité de sa propre phrase, Shahar balaye sa tristesse d’un sourire et rectifie : “en fait si, la paix c’est encore la meilleure option que nous avons.”


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