Kaboul-au-Prince

par Bruno de Larivière
vendredi 22 janvier 2010

En quelques jours Kaboul et Port-au-Prince se trouvent sous les feux de l’actualité. La première est depuis plusieurs années tenue par l’armée américaine. La seconde le sera-t-elle demain ?

Le 18 janvier au matin, une série d’explosions a secoué Kaboul. Les habitants sont surpris mais non pas étonnés. En avril 2008, des hommes armés assaillent le président Karzaï au beau milieu d’un défilé militaire. En février 2009, ce sont plusieurs commandos qui attaquent deux ministères et la prison. La mort rode. Le tir saccadé des fusils automatiques et les rotors d’hélicoptères suivent. Les Blackhawk survolent la capitale, dans une valse hésitante. La population évite de sortir dans les rues, en attendant des informations sur les événements de la matinée.

Luc Matthieu raconte dans les colonnes de Libération. «  Un premier kamikaze s’est fait exploser devant les grilles du palais présidentiel tandis que des hommes armés prenaient d’assaut un centre commercial situé à proximité de plusieurs ministères. A peu près au même moment, des insurgés pénétraient dans un cinéma. Un second kamikaze faisait, lui, exploser sa voiture piégée devant un autre centre commercial. Dépassées par l’ampleur des attaques, la police et l’armée afghanes ont mis plus de trois heures pour reprendre le contrôle du centre de Kaboul.  » Le journaliste poursuit en citant les commanditaires.

Dans un communiqué, ceux-ci décrivent un groupe de vingt hommes, ainsi qu’une opération visant le palais présidentiel, l’hôtel Serena, les ministères des Mines et de la Justice. Aux dernières nouvelles, les deux tiers des participants ont perdu la vie. Leur affaire a tourné court. « Sur le terrain, l’attaque de Kaboul n’est que la plus visible des opérations menées ces dernières semaines notamment dans le sud-est. Elles témoignent de l’évolution des techniques des talibans. ‘Ils privilégient les attaques simultanées et les intrusions au coeur mêmes des lieux protégés, explique-t-on au siège de l’OTAN, à Kaboul. L’impact symbolique et la peur sont maximaux, même si, militairement, cela reste mineur “. » [Le Monde]

L’erreur d’appréciation ne fait ici aucun doute. Comme d’autres à Bombay (Bombes à Bombay)- on trouve la comparaison dans le Monde - les agresseurs ont réussi à attirer l’attention des rédactions des grands médias internationaux. Un événement inattendu les a toutefois en partie court-circuité. Il se situe du côté d’Haïti, du terrible tremblement de terre. Pour les habitants de Kaboul, les attaques ont en tout cas montré ce qui les attend le jour du départ des forces occidentales. Mais du côté de l’opinion publique nord-américaine et européenne, le séisme de Port-au-Prince, la capitale haïtienne a laissé peu de place à l’assaut du 18 janvier.

A Kaboul, les parapluies s’ouvrent une fois l’orage passé. Dans le Monde, Frédéric Bobin et Jacques Follorou recueillent le surlendemain les impressions de hauts responsables de l’Otan. Ceux-ci font contre mauvaise fortune bon cœur, sans admettre l’évidence. Le dispositif se renforce depuis que le président Obama a donné son blanc-seing pour un renforcement du corps expéditionnaire américain en Afghanistan. Or les deux journalistes français décrivent des forces hostiles non seulement aux Occidentaux, mais aussi au pouvoir afghan. La veille, la présidence a dévoilé un plan pour affaiblir la rébellion : aide à la population civile et ménagement des chefs charismatiques, en particulier du mollah Omar. Sur ce dernier point, les autorités afghanes n’ont pas l’assentiment des Américains. La préparation de l’attaque du 18 janvier précède de toutes façons cette annonce. Depuis le départ de Georges Bush, la politique de la Maison-Blanche a connu deux infléchissements : augmentation de l’aide financière destinée à l’Afghanistan, et rabibochage avec les Talibans raisonnables. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? « Les plans précédents, selon l’ONU à Kaboul, n’ont permis de rallier, en 2009, que 170 combattants talibans alors que l’OTAN estime à plus de 25 000 le nombre d’insurgés sur le territoire afghan.  »

Les dirigeants de l’Otan ne projettent pas de changement de stratégie. Mais Washington a pour l’heure perdu la bataille des mots. Les unes des journaux parlent d’une offensive dans Kaboul, la ville jusque là présentée comme sous contrôle. Evidemment, la partie n’est pas terminée. Les généraux Stanley McChrystal et David Rodriguez ont en tout cas initié la stratégie de contre-insurrection. Ils refusent d’en démordre. La mise en place d’une armée afghane fidèle au régime soutenu par les Occidentaux suscite l’interrogation. En ce qui concerne la sécurisation des vallées les plus denses, chacun jugera à l’aune des événements : A Kaboul, la guerre psychologique bat son plein. La guerre contre le terrorisme ressemble à une chasse au moustique par un lanceur de marteau. En réalité, n’importe quel groupe déterminé peut s’immiscer dans une ville et toucher des points sensibles. On peut dans une certaine limite protéger un bâtiment, une personnalité. C’est plus difficile de préserver des symboles : l’autorité de l’Etat, le commerce, etc.

A Port-au-Prince (image satellite), dans une capitale distante de plusieurs milliers de kilomètres, un tremblement de terre a tout ravagé le 12 janvier à 16h53. D’une intensité supérieure à 7 sur l’échelle de Richter, avec un foyer très proche de la surface (entre 8 et 10 kilomètres), il a tué en une poignée de secondes 75.000 Haïtiens [source]. Le déferlement médiatique donne le tournis, entaché d’ignorance et de préjugés. Ce tremblement de terre, par ses caractéristiques principales aurait produit des dégâts considérables dans des grandes villes de pays développés : pour combien de vies humaines en moins ? Nul ne le saura jamais. Avant, le gouvernement haïtien a manqué de moyens pour se préparer à une telle éventualité. Après, il révèle son impéritie. Des ministres sont morts. Le palais présidentiel semble avoir été victime d’une farce, à moitié affaissé sur sa base.

L’envoyé spécial de La Croix décrit une frange aisée de la population désireuse de quitter les lieux. Ces privilégiés comptent sur un passeport étranger. D’autres déboursent quatre-vingts euros pour se rendre en autobus de l’autre côté de la frontière, en République Dominicaine. Cette somme couvre le prix du voyage et le visa. Elle excède les moyens de la majorité. Ceux qui le peuvent partent à la campagne. Le maire de Port-au-Prince encourage cet exode urbain [Fuir à tout prix Port-au-Prince, la ville des morts]. L’aide internationale ne colle pas avec les attentes… La reconstruction satisfait sans doute les belles âmes. Mais que reconstruira-t-on dans les bidonvilles de Port-au-Prince, par définition non construits ? La ville bâtie, la plus durement détruite, a certes besoin de fonds pour renaître. Mais les plus pauvres n’y résident pas. Si les gouvernements occidentaux s’intéressent au sort des malheureux Haïtiens, qu’ils facilitent leur exode. Les candidats ne manquent pas.

On jugerait certes sévèrement des responsables politiques parlant à la légère d’accueillir des réfugiés. Je n’en disconviens pas. C’est un défi autrement plus dérangeant qu’un discours convenu sur la responsabilité de la France et des Etats-Unis dans la situation d’Haïti. Porto-Rico, la Martinique et la Guadeloupe constituent autant d’îles antillaises où il fait bon vivre, pour l’essentiel de leurs habitants respectifs. Avant de discourir sur les malheurs bien réels de la colonisation, il s’agit de ne pas l’oublier. Le séisme de Port-au-Prince pose néanmoins le problème d’une intervention occidentale déclenchée à la va-vite.

Une sorte de confusion s’esquisse, autour de Kaboul-au-Prince. L’armée américaine a en effet agi comme en territoire conquis, et ceci avec les meilleures intentions du monde. Elle assure le fonctionnement de l’aéroport de Port-au-Prince depuis que le président haïtien lui en a donné délégation. Un porte-avions croise au large. Il n’en faut pas plus pour que s’ouvre le bal des hypocrites. Les uns et les autres brodent sur le thème de l’impérialisme américain, d’une invasion militaire d’Haïti. Les complaisants sont nombreux. Il n’en demeure pas moins qu’à Washington, personne n’a annoncé un pont aérien au départ de l’île. A Paris, le gouvernement a raté pour l’instant l’occasion de manifester la pérennité de la présence française dans les Antilles. D’après La Croix, 40.000 Haïtiens vivent actuellement en Guadeloupe et en Martinique [Les créoles au secours des békés, Les aveugles parlent au sourds]. La crainte d’une vague migratoire se ressent ici aussi…

Qui pourra prétendre contrôler Port-au-Prince et Kaboul ?

PS./ Geographedumonde sur l’Afghanistan : Obama n’est pas GéronteDrone de guerre, Opium, misère du peuple afghan. Sur Haïti : La négligence du facteur ‘distance’ (l’expédition française de Saint-Domingue / 1802 -1803)


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