Kenya : une démocratie qui réveille toujours les vieux démons du tribalisme

par Kilosho Barthélemy
jeudi 3 janvier 2008

Les Kenyans se posent toujours la question du bien-fondé de la démocratie dans leur pays quand ce sont toujours les personnes sans appui ni moyens qui paient de leur vie et sont victimes des violences qui mettent fin à tout ce qu’elles ont bâti durant toute leur vie sans le concours du gouvernement. Cette fois-ci, c’est allé trop loin : des milliers des déplacés et des centaines de morts victimes de leur appartenance tribale ou ethnique pendant que les quartiers huppés, toutes tribus confondues, ne s’émeuvent guère de ces soubresauts politiques qui ressemblent de plus en plus aux règlements de compte entre les Kenyans les plus pauvres.

Les scènes de violences dans les bidonvilles et villages du Kenya, ressemblent étrangement à celles des bidonvilles de Township et de Soweto pendant l’époque de l’apartheid où le pouvoir minoritaire blanc attisait les haines entre tribus noires majoritaires pour asseoir son pouvoir. Sauf qu’au Kenya, ce sont les Noirs contre les Noirs, pour le compte de leurs leaders politiques kenyans, transformés en ce moment en chefs tribaux et claniques. Et pour une fois, les Blancs ne sont pas mis en cause.

Le Kenya, un pays qui devient en l’espace d’une semaine le centre du monde, non par ses réserves animalières, mais par les violences, presque comme venues d’ailleurs. Et pourtant, depuis les élections truquées, comme prétendent les observateurs internationaux, ayant vu la victoire de l’actuel président Muai Kibaki, au détriment de Raila Odinga, les cendres ont fait renaître le feu et cette fois-ci l’eau a débordé du vase et le pays voit venir, peut-être, une guerre civile sur fond de bidonvilles de Nairobi et des grandes villes du pays.

Une démocratie obligée depuis La Baule en France en 1990 où les aides devraient être conditionnées aux efforts fournis en matières d’ouverture démocratique.

Le Kenya, pays divisé en grands groupes tribaux, des Kikuyu, aux Njaluo ou Luo en passant par le Kalanjin et d’autres tribus marginalisées comme les Masaï. Le pays dirigé par les Kikuyu, sous Jomo Kenyatta depuis son indépendance, suivi par les Kalanjin, sous Daniel Arap Moi suivi de Moai Kibaki, un autre Kikuyu ; le pays s’est tissé un ensemble des groupes ethniques qui se partagent et luttent pour le pouvoir politico-économique. Le pouvoir politique, véritable tremplin pour accéder au monde des affaires. Chaque tribu ou ethnie attend toujours son tour pour accéder à diverses fonctions politiques et économiques afin, dit-on, de faire évoluer leurs communautés respectives. La gestion des biens publics comme le port de Mombassa, les aéroports répartis dans tout le pays, la gestion de la faune et de la flore, des grandes concessions de thé ou café ont été et restent toujours sous l’influence de l’oligarchie politique. La classe d’entrepreneurs avisés du Kenya sort de cette oligarchie politique qui ne cesse de se combattre pour avoir la mainmise sur le pouvoir économique. Les nombreux immeubles qui poussent comme de petits pains à Nairobi, des nombreuses concessions de terre réparties dans la vallée du Rift et Eldoret sont propriétés de cette oligarchie. En dehors des Indo-Pakistannais, devenus Kenyans et ayant bâti une grande partie de leurs richesses de leurs propres forces ou grâce aux fonds de la diaspora indienne et pakistanaise répartie à travers le monde ; les Kenyans de couleur ou de souche ne seraient pas en mesure de justifier la provenance de leurs immenses richesses, tirées en grande partie d’une corruption présente dans divers secteurs d’administrations publiques.

Pendant les périodes électorales, les différents leaders politiques, originaires des principales tribus du pays, disposent des réserves immenses des voix dans ces bidonvilles et au fin fond des villages pour secouer le spectre du tribalisme et de l’exclusion afin de gagner les élections. Des leaders souvent adorés et adulés dans leurs régions d’origine, où leurs discours et messages, font échos jusqu’au petit paysan du coin. Des leaders qui souvent sont absents des préoccupations de leurs électeurs, une fois au pouvoir. Une grande partie des Kenyans constitués des laissés-pour-compte dans un pays habitué au modèle anglo-saxon de vivre et laisser vivre, du libre échange et de libre liberté d’entreprendre. Les plus vulnérables, majoritaires dans toutes tribus confondues, cèdent de plus en plus aux sirènes et mirages promis par les leaders tribaux en leur promettant la construction d’écoles, l’assainissement des quartiers, la lutte contre la délinquance et le banditisme, l’accès aux micro-crédits inexistants pour cette population naturellement entreprenante. L’appartenance tribale avec leurs leaders, doublée des promesses bidons, ravivent les espoirs éphémères pendant ces périodes électorales et tournent parfois au drame en cas d’échec, comme aujourd’hui. Les morts et blessures graves se comptent maintenant par milliers dans les quartiers pauvres. Mais, les quartiers huppés, composés des familles riches et issues des diverses ethnies d’Eldoret, de Nairobi et de Mombassa ne s’émeuvent guère puisque ces genres de problème n’arrivent qu’à ces pauvres nourris de faux espoirs et déçus une fois les élections passées. Le Kenya est un pays assis sur une poudrière à long terme, malgré les trompeuses apparences de stabilité pour attirer les investisseurs et touristes étrangers dans le pays. Le pays se meurt en silence où les intérêts d’une infime minorité clanique, secoue le spectre démocratique, pour accéder au partage de la richesse du pays et les populations peuplant les bidonvilles sont transformées en pont de passage pour cet eldorado. Et il est souvent difficile de faire comprendre au citoyen moyen de ne pas céder aux messages de ces dirigeants, parce que les divisions tribales sont tellement ancrées dans son subconscient qu’il serait incapable de comprendre à quel point est-il manipulé. Des politiciens vicieux qui constatent à quel point les manipulations peuvent basculer dans des horreurs jamais vues dans le pays. Un pays modèle de stabilité, le Kenya commence à basculer pour devenir un pays à haut risque pour les Occidentaux. La célèbre chanson du groupe jamaïcain BonyM, Jambo Bwana, Kenya yetu hakuna matata, qui veut dire « Bonjour Monsieur, chez nous au Kenya, il n’y a pas de problèmes », chanson connue dans le monde entier et reprise dans les textes du téléfilm allemand Le Destin de Lisa qui passe sur de nombreuses chaînes occidentales n’est plus d’actualité. Ce pays connu pour son banditisme de ville et ses vols sur les passants, pour ses mendiants allongés le long de cortèges des touristes, ne pourrait-il pas commencer à se poser la question de ce que la population vit et de ce que le monde voit dans les écrans de télévision : des Kenyans qui tuent d’autres Kenyans, une sorte de prélude à la guerre civile ou la guerre civile elle-même. D’ailleurs, leurs voisins ne cessent de se demander sur cette forme de malédiction récurrente qui s’abat sur les pays de Grands Lacs.


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