Khadija Ismayilova : “L’Europe et les Etats-Unis ne s’intéressent pas aux droits humains bafoués en Azerbaïdjan ”

par Khadija Ismayilova
samedi 14 mars 2015

« La démocratie est l’arme la plus puissante des Etats-Unis pour être mondialement respectés et imités. La façon dont nous gérons cette situation cruciale va déterminer notre valeur morale, en tant que nation, et notre prestige, en tant que leaders du monde libre. »

Martin Luther King motivait l’urgence des Etats-Unis à se démocratiser par son besoin de devenir une grande puissance mondiale. Peut-être était-il naïf de penser que la démocratie semblerait plus convaincante que les armes dans ce monde fou. Nous voilà une nouvelle fois dans une situation où, après la chute d’un régime autoritaire en Ukraine, les Etats-Unis essaient de maîtriser une autre dictature de la région, la Russie, avec l’aide de petites dictatures satellites telles que l’Azerbaïdjan.

Le monde n’est plus assez naïf pour détourner le regard lorsque des valeurs morales sont bafouées. Il est donc temps pour les armes de parler, et pour le pétrole et le gaz de huiler la machine.

Le régime corrompu d’Azerbaïdjan est bien préparé à tirer parti de ce jeu. Le Président Aliyev a déclaré, lors de sa visite en Bulgarie, que l’Azerbaïdjan apparaissait comme la seule alternative pour l’approvisionnement en gaz de l’Europe dans un avenir prévisible. Il a sagement omis de mentionner que le rôle de son pays était d’offrir une alternative à l’offre Russe. Aucune parole d’inimitié à l’égard de la Russie (qui a soutenu l’occupation arménienne des territoires azerbaïdjanais) n’a jamais été prononcée par Aliyev. Il essaie, sans toutefois perdre le soutien du régime de Moscou, de prendre la tête de toutes les dictatures post-soviétiques.

Toutes les actions répressives menées par le régime azerbaïdjanais ont été copiées sur le modèle russe. Interdire les ONG, lancer des poursuites fiscales en-dehors de l’existence de bases légales, arrêter, frapper, tuer et faire du chantage sur la base d’enregistrements des activités sexuelles de militants de droits de l’Homme et de revues… Tout cela est venu des pratiques condamnables de Poutine, bien apprises et mises en œuvre.

Et voilà que maintenant, ce régime frère de Poutine bénéficie (ou du moins s’apprête à bénéficier) de la crise en Ukraine. Voilà le jeu :

  1. Message : commencer à protester pour les valeurs européennes et la démocratie et vous perdrez votre territoire.
  2. Encore une fois, pas un mot de protestation n’est prononcé par le régime azerbaïdjanais et sa propagande contre l’occupation russe. Les parlementaires azerbaidjanais ont voté contre la suspension du droit de vote russe au Conseil de l’Europe. Le régime d’Aliyev déclare soutenir l’intégrité territoriale ukrainienne mais omet de mentionner le responsable.
  3. Alors que la Russie est boycottée, les Aliyev sont prêts à offrir pétrole et gaz aux fournisseurs européens désespérés. Cela rapporte de l’argent, pas uniquement au budget azerbaïdjanais qui traverse sa propre crise, du fait de la chute du prix du pétrole, mais aussi au budget personnel du régime corrompu d’Aliyev.
  4. Et une fois l’Azerbaïdjan devenu un partenaire énergétique indispensable, le monde est prêt à oublier son manque de démocratie, ses prisonniers politiques, ses problèmes en matière de droits de l’Homme, etc.

Durant les visites des dignitaires européens et américains auprès du régime, aucune critique ni même aucun appel à libérer les prisonniers politique n’a été fait (du moins publiquement). Peu importe que les groupes ciblés, les ONG fermées, les militants arrêtés, fussent tous liés aux organisations européennes ou américaines.

La fermeture définitive et les poursuites contre RFE/RL n’ont pas été mentionnées publiquement durant la visite de Victoria Nuland (Assistante au Secrétaire d’Etat américain). Elle a fait l’éloge du discours de façade d’Aliyev avec une opposition minime, alors même que le régime avançait une nouvelle série d’accusations contre la radio RFE et contre moi-même.

Je ne suis pas devenu journaliste grâce aux Etats-Unis, mais les projets de financement américain m’ont aidé à apprendre à devenir un bon journaliste, à dévoiler la corruption et à dire la vérité. Les organisations financées par les Etats-Unis et l’Union Européenne organisaient des formations et j’ai des attentes envers les instituions et les pays démocratiques.

J’en ai toujours. Leur inaction me fait mal, mais il était clair, avant mon arrestation, que je ne voulais pas de négociations pour moi. Parlez publiquement et fort. Pas de diplomatie secrète pour moi, s’il vous plaît.

Je ne crois pas dans un soutien des droits de l’Homme qui se ferait à l’abri de portes closes. « Grâce » à la « discrétion » de leurs efforts, the Conseil de l’Europe et l’OSCE ont aidé le gouvernement azerbaïdjanais à faire taire toute critique et à créer un simulacre de droits de l’Homme.

Je me souviens de l’ensemble des enquêtes que j’ai menées, et je n’ai pas l’intention de demander de soutien simplement parce que j’ai été encouragée à devenir un journaliste d’investigation expérimenté, et que c’est principalement pour cette raison que j’ai été arrêtée.

Je dois faire face à des chefs accusations ridicules. Selon les plaignants :

  1. si RFE/RL n’avait pas de licence pour les fréquences FM, il ne pourrait pas émettre depuis leurs studios, qui diffusaient leurs programmes via satellite Internet, AM et FM.
  2. RFE, bien qu’il s’agisse d’une entité non commerciale et inscrite comme telle, est considérée dans l’accusation comme « entreprise illégale ».
  3. Les plaignants suggèrent que RFE n’est pas censée avoir d’entrepreneur mais uniquement des employés. L’accusation de « se soustraire à des taxes en ayant aussi un entrepreneur » est également illégale. Cela signifie que nous ne pourrions pas avoir de journalistes freelance.
  4. Ils prétendent que pour avoir le droit de travailler en tant que journaliste avec des média étrangers (également en freelance), je suis censée être enregistrée auprès du Ministère des Affaires Etrangères. Puisque je ne suis pas enregistrée, je suis considérée comme un entrepreneur en situation irrégulière.

Ce sont des accusations nouvelles, toutes liées à mon travail comme responsable et journaliste freelance de RFE.

Avant cela, j’avais été accusée d’avoir poussé quelqu’un à attenter à sa vie. Ils ont allégué que la victime avait ensuite disparu après avoir dit publiquement qu’il ne prendrait plus part à des accusation ni ne témoignerait contre moi, mais qu’il pourrait être arrêté pour avoir refusé de faire un faux témoignage contre moi. On ignore toujours où il se trouve.

Cette accusation n’a pas fonctionné ; aussi le gouvernement a-t-il eu besoin d’en trouver une nouvelle à mon encore, et ils l’ont fait. J’ai passé trois mois et demi en détention dans l’attente de poursuites qui n’ont pas eu lieu. De nouvelles poursuites sont maintenant engagées. Voyons si les plaignants fourniront quelque chose de plus intelligent qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent.

Je ne peux qu’attendre de voir ce qu’il va se passer. En attendant, j’essaie d’aider les gens ici, en prison. J’ai déjà remporté une victoire. L’ordre de détention préventive d’une jeune fille a été levé grâce à l’appel que j’ai rédigé pour elle. Il n’est pas facile du tout de faire bouger la justice mais cela vaut toujours la peine d’essayer. Même lorsque l’on échoue, pour la justice, pour nous-même, le but que nous poursuivons est plus important que les questions du « comment » ou du « quand ».

La prison n’est pas la fin de la vie. Je suis fort et vois cela comme une opportunité de comprendre le système depuis l’autre côté. Communiquer avec des criminels présumés, qui n’acceptent ou non leur culpabilité, me permet d’apprendre sur les actes répréhensibles du système judiciaire et pénitentiaire.

C’est en fait une opportunité unique. Je la prends comme un défi pour utiliser ce temps pour traduire un livre et écrire.

 

Traduction de l'anglais de Delphine Barca. 


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