L’Affaire Mattei - Pétrole et Pouvoir
par UcCaBaRuCcA
vendredi 4 avril 2014
Comprendre la guerre énergétique à travers une affaire qui illustre parfaitement les tensions politiques et économiques liées au pétrole.
"Enrico Mattei, l'italien le plus puissant depuis Cesar"
Titre du Time Magazine en 1962
Tolstoi disait dans "Guerre et Paix" qu'il n'y a pas de Héros dans L'Histoire, et que l'individu (il parlait tout de même de Napoléon et du Tsar Alexandre) ne peux pas changer son cours. L'Histoire avance d'elle même, par une série de coïncidences parmi lesquels s'inscrivent les actions des grands hommes. Je suis tout à fait d'accord avec la première affirmation, toutefois, concernant le rôle que peuvent avoir certains hommes sur le cour de l'évolution historique, je suis plus mitigé : il y a des personnages qui influent grandement sur les évènements, et qui par leurs actions méritent une place particulière dans les livres. Enrico Mattei est un de ses hommes, et je vais vous raconter ici son Histoire. La vie de cet homme aurait pu avoir une influence sur le cour du XXeme et XXIeme siècle, elle s'inscrit dans le cadre de la guerre entre les 7 grandes compagnies pétrolières qui ont monopolisé le secteur énergétique pendant des décennies, et influence directement l'équilibre géopolitique mondial et le rapport de forces des 2 blocs Soviétique et Occidental.
C'est le genre d'Histoire qu'il est important de connaître pour comprendre à quel point nous vivons dans un monde régi par des enjeux politiques et économiques, et que, pour l'élite qui a le pouvoir, la morale, le bien et le mal, ne sont que des leurres servant à maintenir le peuple dans sa torpeur, dans sa société virtuel où règne un semblant d'ordre, alors que au dessus de ces sociétés règne l'anarchie, la loi du chaos, la loi du plus fort.
C'est le genre d'Histoire qu'aucun scénariste n'aurait la fantaisie d'imaginer ou l'audace de raconter. En effet comment pourrait on mélanger dans un film la CIA, les services secret Italien, le crime organisé, les différents gouvernements, le colonialisme, les pays producteur de pétrole, la révolution iranienne, et, au milieu de tout ça, un seul homme, ni blanc ni noir, ni héros ni escroc, mais qui sait où il veut aller, et qui à un projet ambitieux : rendre l'Italie indépendante au niveau énergétique.
Octobre 1962, 27éme jour du mois. L'avion privé Morane-Saulnier MS-760 Paris, parti de Catane pour rejoindre Milan précipite dans les campagnes de Bascapé, en Lombardi. A' son bord, Irnerio Bertuzzi, le pilote ; William Mac Hale, un journaliste américain ; et Enrico Mattei.
Une vie bien remplie déjà, pour un homme de 39 ans. Mais l'Histoire ne commence que maintenant.
Mais la pression du cartel sur les pays producteurs est énorme et les portes se ferment graduellement pour L'ENI, qui est désormais un pétrolier sans pétrole.
Mattei décide alors de fortifier sa structure jusqu'à la rendre aussi puissante qu'un état : il met de son coté l'opinion publique*, il lance un quotidien national, crée une vaste structure diplomatique avec des ambassadeurs de la société dans les 4 coins du monde, il se dote d'un réseau d'informateur, peut être a-t-il même bénéficié de la collaboration des services secrets italiens (comme les 7 soeurs ont bénéficié des services secret américains et britannique). L'ENI voyant que les principaux pays producteurs ne veulent plus traiter avec le groupe italien, décide de sélectionner ses pays fournisseurs parmi les pays plus pauvres, avec lesquels Mattei jouera la carte de la similarité des conditions de developpement par rapport à la grande puissance américaine (l'Italie était un pays relativement pauvre à l'époque, et n'était pas perçus [à tort] comme un pays colonisateur ), et la carte de la franchise et du commerce équitable. Il instaura avec ses nouveaux partenaires (la Lybie, l'Egypte, la Jordanie, l'Algérie, la Tunisie, le Liban, le Maroc ) une sorte de capitalisme éthique, en offrant aux pays producteurs des contrats beaucoup plus avantageux, et en leur laissant les droits de propriété des sols, ce qui n'avait jamais été fait auparavant. Tout ceci a une énorme influence sur la politique extérieur de l'Italie, qui en quelques années se rapproche énormément des pays du Moyen-Orient et du continent Africains en traitant avec eux comme avec des État de première catégorie. L'épicentre des intérêts italien se déplace nettement vers le sud. L'ENI suggère à son réseau de production de créer une institutions transnationale des pays producteurs de pétrole (la future OPEC ?). La situation est sans pareil en Europe, un pays est en train de se détourner du vieux continent sous influence du bloc américain. Il y a aussi une certaine gêne au niveau des représentants du gouvernement italien par rapport à l'allié américains. Mais les ministre ne peuvent rien faire : à cette époque, la politique extérieur de l'Italie c'est L'ENI, et l'ENI, c'est Mattei. L'équilibre mondiale est en train de bouger, imperceptiblement, mais bien réellement. Un nouvel intermédiaire apparaît sur la scène mondiale, l'Italie, qui est en train de fédérer les états nord africains et du moyen-orient autour d'un intérêt commun, ce qui pourrait créer un 3ème bloc sur la scène mondial, plus petit, et énergétique celui-ci, en opposition (ou complément ?) aux deux blocs militaires que sont les USA et l'Union Soviétique.
C'est le début de la confrontation ouverte avec les 7 soeurs et les Etats-Unis.
Depuis la réouverture du dossier en 1997, le crash du Morane Saulnier s'est avéré être un attentat, perpétré avec 150g d'explosif disposé dans la cabine, explosif qui se serait déclenché avec l'ouverture du train d'atterrissage.
La mort de Enrico Mattei empêcha l'ENI de continuer sa politique.
Hypothèse sur les mandataires :
Beaucoup de gens proche de E. Mattei furent assassiné par la suite, souvent par le crime organisé (le journaliste Mauro de Mauro, le générale Carlo Alberto Dalla Chiesa, Boris Giuliano etc.) il ne fut jamais établit si ces crimes furent des crimes de mafia ou des crimes liés à l'affaire Mattei. Toutefois certains repentis, notamment Tommaso Buscetta, déclarèrent que ces assassinats furent une "faveur" faite par la mafia sicilienne (la plus forte à l'époque) à des opérateurs étrangers.
La seule vérité que l'on connaisse aujourd'hui, c'est que beaucoup avaient intérêt à voir Enrico Mattei disparaître :
- Les 7 soeurs, pour commencer. L'arrivée de l'ENI les a forcé à revoir tous leurs contrats, le montant des pertes (ou plus précisément, des revenues non perçus) par les 7 compagnies à cause de l'ENI était supérieur au PIB d'un Etat moyen. On fait des guerres pour moins que ça.
- La CIA. La proximité traditionnelle des compagnies petrolières avec le gouvernement américains ne permet pas d'exclure le fait que la CIA aurait pu jouer un rôle dans l'affaire.Surtout parce que au delà des questions énergétiques, la politique de l'ENI risquait de modifier la "balance of Power", l'équilibre des forces géopolitiques.
- La CIA avait aussi une autre raison d'éliminer Mattei. Nous sommes en pleine guerre froide, au moment de la crise des missiles de Cuba, et Mattei avait rompu l'embargo politique de la Russie en établissant une ligne commerciale. On peut noter aussi que peu avant l'attentat, les USA avaient condamné l'attitude de l'Italie qui soit disant n'était pas loyal, et ne respectait pas ses engagements de l'Alliance Atlantique et de l'armistice. De plus, à cette époque les Etats Unis craignaient que l'Italie ne bascule dans le bloc communiste, le fait de voir le centre de gravité du pays se déplacer sensiblement vers la méditerranée n'a pas du les rassurer.
- Une autre est celle de l'OAS (Organisation Armée Secrète). Concernant l'Algérie, Mattei avait publiquement annoncé qu'il renonçait à prendre les concessions du Sahara tant que l'Algérie ne serait pas un pays indépendant, il dénonçait le fait que la France conditionnait, ou même gouvernait la gestion des ressources pétrolières Algérienne. Il mis le gouvernement américain dans une position délicate, car après une telle prise de position, les 7 soeurs devaient faire de même, et par reflet le gouvernement américain : ou pour le colonialisme et l'OAS (ce qui ne correspondait pas du tout à la politique extérieurs des USA), ou contre le colonialisme et donc contre la France. Mattei reçu de manière insolite et préoccupante une menace de l'OAS qui lui "suggérait" de ne pas soutenir le Front de Libération Nationale Algérien.
- On a aussi parlé de mouvance interne à l'Etat italien. En 1962, Enrico Mattei était LE pouvoir, il représentait un Etat dans l'Etat, ce qui forcément limitait le pouvoir des membres du gouvernements, des élus, mais aussi des autres centres de pouvoir moins institutionnelle, très présent en Italie..
Ce qui semble certains, c'est que pour l'éxécution de l'attentat, les mandataires se sont fiés à la criminalité Organisée locale, la Mafia, quand à l'identité de ces mandataires : la justice n'a pas de réponse depuis la fin de l'enquête judiciaire en 2005.
https://www.youtube.com/watch?v=enJOCigHqEw&feature=player_embedded
* Une anecdote raconté lors d'un discour en 1961 de Enrico Mattei est resté dans les mémoires :
"Il y a une vingtaine d'année j'étais un bon chasseur et je chassai souvent. J'avais deux chiens, un berger Allemand et un Setter, et à force de courir dans la vallée, de l'aube au crépuscule, les chiens étaient exténué. En retournant au gîte chez les paysans, la première chose que nous faisions c'était de donner à manger aux chiens dans une gamelle, qui aurait suffit pour 5 chiens ! Un jour j'ai vu entrer un petit chat, tout maigre, affamé, faible.Il avait très peur et s'avança tout doucement. Le chatons regarda à nouveau les chiens, fit un miaulement et posa sa patte sur le rebord de la gamelle. Le berger Allemand lui donna un coup en l'envoyant à trois ou quatre mètres, et en lui cassant la colonne vertébrale. Cet épisode m'a beaucoup marqué. Voilà, nous avons été ce petit chat ; durant les premières années..." Cette histoire à suscité une forte sympathie pour Mattei, un élan d'orgueil national et un début d'anti-americanisme qui lui ont value un soutien parmi la population.