L’aide américaine à l’étranger est malade

par Michel Monette
lundi 5 mai 2008

Oxfam America a plaidé récemment en faveur d’une intervention plus intelligente de la prochaine Administration américaine dans le développement international. Pour Oxfam, il faut changer radicalement le système américain d’aide à l’étranger. Celui-ci est un véritable labyrinthe de mandats et d’exigences où une chatte n’y retrouverait plus ses petits. De plus, la sécurité est devenue l’obsession numéro un. Le département de la Défense contrôle plus de 20% de l’aide, lui qui n’en contrôlait que 3% en 1990.

Un signe qui ne trompe pas de la complexification du système américain d’assistance est l’épaisseur de la loi sur l’aide aux pays étrangers. En 1960, à la veille de l’élection de John Kennedy, cette loi comportait une centaine de pages. Aujourd’hui, elle en compterait plus de 1 500 !

Les « allocations spéciales » – sommes allouées par des élus américains aux projets qu’ils choisissent de soutenir – ont aussi pris beaucoup de place, toujours selon Oxfam. Les programmes qui s’attaquent plus globalement aux causes de la pauvreté afin de l’alléger en ont souffert.

De plus en plus militarisée

L’aide américaine redevient ce qu’elle était avant la chute des pays de l’Est : de plus en plus une aide militaire. En moins d’une décennie, le montant total des crédits consentis aux pays étrangers pour acheter des armes américaines est passé de 700 millions à 5 milliards de dollars USD. Cet accroissement de l’aide militaire s’est fait au détriment de l’aide civile et humanitaire (Global Issues, US and Foreign Aid Assistance - Aid and Militarism).



Mais il ne s’agit pas que du montant de l’aide civile détourné à des fins militaires, même les opérations d’aide civile sont de plus en plus prises en charge par des militaires.

Signe des temps, le Center for Global Development organise une rencontre le 6 mai à Washington, lors de laquelle USAID va défendre la nouvelle coopération qui s’est établie avec l’armée américaine non seulement en Irak et en Afghanistan, mais aussi en Afrique et en Europe. USAID est une agence du gouvernement américain chargée de fournir l’assistance économique et humanitaire des États-Unis à travers le monde. Elle doit composer avec cette nouvelle présence des militaires dans son champ d’intervention.

Qu’est-ce que ce rapprochement entre les civils de USAID et les militaires change, sinon de rendre public ce qui se produit depuis la fondation de USAID, répondront ceux qui accusent le gouvernement américain d’utiliser cette agence comme couverture pour leurs actions secrètes d’infiltration et de déstabilisation.

Le Congrès américain s’inquiète

Le comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants a entrepris une enquête parlementaire en profondeur sur le système américain d’aide à l’étranger. L’objectif est de comprendre ce qui ne va pas. Lors de la première séance avec témoins, le président du comité, le représentant Howard Berman, s’est ouvertement inquiété de la trop grande présence des militaires dans l’aide étrangère et a appelé à un recentrage de l’armée sur sa mission première.

Pour sa part, Lael Brainard de la Brookings Institution a témoigné le même jour en faveur d’une aide qui renouvellerait l’esprit du Plan Marshall et de l’Alliance pour le progrès de John F. Kennedy. L’échec de cette initiative d’aide économique favorisant le progrès démocratique en Amérique latine dans le but de contrer le communisme laisse songeur. Brainard a lié la question de la sécurité des États-Unis et celle du progrès économique et social dans le monde. (Son témoignage est disponible sur le site de la Brookings Institution).

Mais, indépendamment de sa vision idéologique, le texte de Brainard vaut la lecture pour deux aspects : d’une part, elle fait un état de la situation démontrant à quel point l’aide étrangère « officielle » est devenue complexe, d’autre part elle met le doigt sur un gros bobo en révélant l’état de décrépitude de la partie civile de cette aide. Depuis 1990, USAID a vu son personnel réduit du tiers.

De plus en plus, ce personnel est composé de chargés de projets. L’expertise civile technique et opérationnelle s’est rétrécie comme peau de chagrin.

Le secrétaire à la Défense Gates l’a lui-même reconnu récemment : « Indeed, having robust civilian capabilities available could make it less likely that military force will have to be used in the first place, as local problems might be dealt with before they become crises  » (cité par Brainard).

Au moment où le gouvernement américain est affaibli et empêtré dans la complexité de la structure administrative d’où émanent ses initiatives d’aide, l’aide non gouvernementale atteint des sommets, plus de 26 milliards de dollars selon Brainard, dépassant même le montant de l’aide gouvernementale.

Il n’est pas étonnant, dans ces circonstances, que Bill Gates et ses amis milliardaires aient pris l’initiative en Afrique.

Parmi les témoins, il y avait aussi Raymond C. Offenheiser, président d’Oxfam America, venu répéter l’argumentaire contenu dans le rapport publié en mars (Développement intelligent : pourquoi l’aide américaine doit être réformée).

 


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