L’Allemagne, si proche si lointaine...

par Yannick Harrel
jeudi 12 février 2009

Qui connaît le premier partenaire commercial de la France ? Les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni ? Non, l’Allemagne ! Or il est un paradoxe singulier que les échanges commerciaux, pourtant à hauteur de 159 milliards d’euros en 2007, n’ont que peu contribué à rapprocher en profondeur les deux nations tant chacune d’entre elle semble considérer le Rhin comme une frontière telle qu’il en est malaisé de communiquer entre les deux rives. Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau Président à l’Elysée, les signes de dégradation des relations bilatérales se multiplient, augurant des lendemains relativement sombres. Pourquoi en est-on arrivé là ? Quel avenir pour le couple franco-allemand ?

De la rivalité continentale à la célébration de l’amitié franco-allemande

Le discours du 9 mai 1950 prononcé par Robert Schuman mit l’accent sur les réalisations concrètes qui cimenteraient l’émergence d’une Europe solidaire et prospère, et dans la foulée de proposer une coopération transnationale des pays producteurs de matières premières. Quelle ne fut pas la gageure dès l’émergence de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier d’accueillir dans ses rangs l’ennemi honni de la Seconde Guerre Mondiale… Mais telle était la volonté expresse du ministre des affaires étrangères de l’époque : ne martela-t-il pas en effet que le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne.
En revanche, l’échec de la CED (Communauté Européenne de Défense) en 1954 tint pour une bonne part dans la résistance d’une partie des élus Français à réarmer l’Allemagne (qui le sera de toute manière dans le cadre de son intégration à l’OTAN un an plus tard [1] ). Les esprits n’étaient pas encore suffisamment prêts à accepter de nouveau le voisin d’outre-Rhin dans le giron des Etats disposant librement de leur force militaire, surtout en France où le traumatisme restait réel du fait de l’étrange défaite de 1940.
 
La première pierre avait été posée pourtant, et ce fut la voix de la France libre, le général de Gaulle, alors premier Président de la Vème République, qui invita son homologue Chancelier de la République Fédérale Allemande, Konrad Adenauer, à signer le Traité de l’Elysée en 1963 après son passage remarqué comme médiatisé à Colombey-les-deux-églises. Document phare qui énonçait les orientations majeures à prendre de concert par les parties en présence dans les domaines des affaires étrangères, de l’éducation et de la défense. Signalons que ce traité toujours en vigueur impose des rencontres périodiques entre les responsables des deux pays.
 
Cette réconciliation plus que symbolique sera suivie d’autres images marquantes comme François Mitterrand serrant la main d’Helmut Kohl à Verdun le 22 septembre 1984 ou encore Jacques Chirac représentant l’Allemagne au sommet Européen de Bruxelles le 17 octobre 2003, remplaçant un Gerhard Schröder ferraillant au Bundestag pour imposer ses réformes (si en France cet acte passa relativement inaperçu, les quotidiens Allemands ne manquèrent pas d’en souligner la portée [2] ).
 
Un volant pour deux directions différentes ?
 
C’est après le rapprochement historique franco-germano-russe pour protester envers l’invasion de l’Irak en 2003 par les troupes Américaines [3] que l’on assiste à une lente décomposition de ce lien privilégié au sein de l’Union Européenne.
 
Les couacs auront été quelque peu nombreux ces dernières années, s’accélérant notoirement avec l’avènement du nouveau Président de la République Française.
Que l’on en juge :
  1. réorganisation chaotique de la direction du consortium EADS, en tentant de conserver une bicéphalie dans le souci de ménager la chèvre et le chou mais sans pour autant empêcher des frictions de plus en plus récurrentes au sommet comme à la base [4].
  2. acquisition imposée au forceps depuis l’Elysée entre Sanofi-Synthélabo et Aventis, au grand mécontentement de la chancellerie Allemande.
  3. retrait de Siemens d’Areva NP au profit d’un rapprochement avec le Russe Atomenergoprom.
  4. le quotidien Der Spiegel, véritable institution au-delà du Rhin, ne manquant pas une occasion de railler Nicolas Sarkozy depuis son élection en le présentant tel un monarque entouré d’une camarilla de courtisans. Encore plus incompréhensible : la collusion affichée du Président avec les hommes d’affaires hexagonaux, sans réaction notable de la population Française (le séjour sur le yacht de Vincent Bolloré ayant provoqué une réelle stupeur dans les médias Allemands).
  5. critiques tenaces concernant la libération des infirmières Bulgares en Libye, au seul profit du couple présidentiel Français, passant sous silence les approches Européennes préalables et offrant à ce pays d’Afrique du Nord la possibilité de se doter du nucléaire civil (question d’autant plus épineuse que Siemens était encore dans le groupe Areva NP à l’époque).
  6. altercations récurrentes entre des hauts responsables Allemands et le Président Français, tel Peer Steinbrück ministre des finances qui s’opposa à plusieurs reprises à la politique économique prônée par Nicolas Sarkozy.
  7. répugnance de la Chancelière envers les manières quelque peu cavalière de son homologue Français et son approche trop leste des dossiers d’importance [5].
 
Alors oui, il existe des signes de bonne entente affichée, distribués allégrement pour rasséréner la population qui conserve une vision positive de ce rapprochement bilatéral. Cela ne suffit plus néanmoins à masquer les avanies désormais périodiques entre les deux mastodontes du vieux continent.
Il est d’ailleurs assez « cocasse » de souligner qu’au moment où a été décidé et applaudi le stationnement prochain d’un bataillon Allemand en France à Illkirch [6], cette annonce a rapidement été occultée par la critique peu voilée de la chancelière à l’égard des aides hexagonales en faveur de l’industrie automobile, évoquant des mesures protectionnistes incompatibles avec les règles Européennes. Un exemple symptomatique démontrant que décidément au sein du véhicule franco-allemand il n’est plus possible d’avancer de plus de quelques mètres sans devoir s’arrêter pour s’expliquer sur la route à prendre.
 
Perseverare diabolicum ?
 
L’on pourrait dès lors poser abruptement la question de savoir si d’une part l’amitié franco-allemande est encore à l’ordre du jour à Berlin et Paris et d’autre part si une solution de rechange existe ?
 
Pourtant avant d’ébaucher une rupture à l’amiable de cette relation, ne pourrait-on pas reprendre le problème par la base, à savoir l’étude et l’empathie des mœurs de chaque pays pour mieux en comprendre les schèmes de pensée et en corollaire de fonctionnement ? L’existence d’un manuel d’histoire franco-allemand commun, de représentations diplomatiques conjointes comme de la diffusion de la chaîne ARTE (trop confidentielle cependant en dépit de documentaires et émissions souvent de qualité) sont des pas positifs en ce sens. Mais pas suffisants, et qui nécessitent de la part des dirigeants une réelle volonté de passer outre les différences, de prendre sur eux et de promouvoir des actions fortes ainsi que de redynamiser l’apprentissage linguistique réciproque actuellement en phase moribonde.
 
Certes les affinités entre les fils de Charlemagne sont moins évidentes depuis ces derniers temps, il n’en reste pas moins que cette alliance continentale reste la plus logique et la plus profitable aux deux pays en raison de la symbiose de leurs économies comme des complémentarités qu’ils peuvent en tirer sur les plans diplomatiques et militaires. Albion pourrait être un appui alternatif potentiel mais qui appelle plus à la prudence, voire la méfiance qu’à une adhésion sans réserve. Or, les Allemands considèrent plus facilement et positivement la France comme une alliée fiable que les Britanniques qui de toute façon n’ont jamais souhaité jouer pleinement la carte Européenne et oeuvrent pour des intérêts plus proches de leur sensibilité anglo-saxonne. Certes l’Espagne et l’Italie sont des partenaires tentants et légitimes, mais ils n’offrent pas le même poids que l’Allemagne en termes économique comme technologique. Il en ressort qu’à défaut pour la France de jouer cavalier seul, une gageure dans un monde en crise, il est préférable de consolider les relations déjà existantes avec l’Allemagne plutôt que de risquer le grand large.
 
Alors, Germania et Marianne de nouveau main dans la main ?
 
[1] Faisant suite aux accords de Paris du 23 octobre 1954, dont l’une des conséquences est aussi la souveraineté retrouvée du pays.
[2] Relaté dans cet article de Germania Magazine.
[3] Il serait aussi intéressant de relever que pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’Allemagne s’opposa frontalement et officiellement aux desseins Américains.
[4] Lire à ce sujet cet article particulièrement révélateur sur le site ladepeche.fr où il devient de plus en plus ardu de lénifier les actions mesquines de chaque partie. Et pour avoir un aperçu plus global des problèmes soulevés, se plonger dans ce billet de bakchich.info relativement exhaustif.
[5] Episode relaté dans cet article du JDD.fr.
[6] Ils opéreront dans le cadre de la brigade franco-allemande composée d’environ 5 000 soldats, faisant elle-même partie de l’Eurocorps.

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