L’année du cochon et les colères du régime chinois

par Antoine Garnier
lundi 12 février 2007

Quand l’art traditionnel énerve Pékin.

Le 18 février, la Chine et une bonne partie du Sud-Est asiatique diront adieu à l’année du chien pour saluer l’arrivée de celle du cochon. Cette période est, en Chine, la plus importante de toutes, LA semaine de vacances annuelle durant laquelle les familles se retrouvent - même si elles sont séparées par des centaines de kilomètres -, partagent des repas, font exploser une débauche de pétards pour chasser les esprits mauvais et souhaiter bienvenue au nouveau « cycle céleste ». Les cérémonies dédiées aux ancêtres et les banquets vont se succéder pendant plus d’une semaine et les rythmes des gongs et de la danse des lions célébrer la naissance de l’année nouvelle.

Important à savoir en mangeant vos jiaozi (raviolis frits) ou en préparant les enveloppes rouges pour les traditionnelles étrennes : vous êtes priés de fêter le nouvel an chinois sans fâcher les autorités communistes. Les explosions de pétards, les démonstrations d’arts martiaux, les danses, tout cela va bien si vous n’oubliez pas l’essentiel : on vous observe. Les centres de détention autour des grandes villes chinoises vont comme chaque année se remplir à titre préventif de tous ceux dont les contestations pourraient venir gâcher la fête.

Même hors de Chine, les célébrations du nouvel an sont depuis longtemps discrètement mais étroitement surveillées par les ambassades et les services consulaires chinois. On se souvient en particulier de la polémique de 2004, en pleine année de la Chine, sur le véto mis par les autorités chinoises à la participation de groupes taïwanais et des disciples du Falun Gong. Pourtant, ce qui était déjà vrai pour les défilés de quartier prend en ce début d’année une dimension nouvelle : c’est aujourd’hui une offensive en règle que mènent au plus haut niveau les fantassins de la diplomatie chinoise, contre le spectacle de nouvel an sponsorisé par la télévision sinophone américaine NTDTV (New Tang Dynasty Television).

Pour le comprendre, il faut savoir qu’avec une tournée de 28 villes entre New-York, Paris (Palais des Congrès le 24 février), Berlin, Seoul et Sydney, le spectacle de nouvel an chinois de la NTDTV s’est imposé en quelques années comme rien moins que la plus large et la plus impressionnante célébration du nouvel an chinois... sans avoir reçu le soutien de Pékin. Avec des salles combles ou quasi combles à chaque représentation, une retransmission sur satellite et câble, ce spectacle extrêmement imprégné de tradition et de spiritualité chinoises est vu chaque année par plusieurs dizaines de millions de personnes (200 millions de spectateurs potentiels selon la chaîne, sur la base de sa couverture mondiale).

Action, réaction. Patatras... Début janvier, le spectacle NTDTV prévu à Séoul a été annulé, officiellement pour « non- respect du contrat de location de la salle », mais, de l’avis de la plupart des médias, du fait de l’action directe du gouvernement coréen. Amorçant une longue série d’articles, le 7 janvier, le Chosun Ilbo, journal le plus diffusé en Corée, et le très influent Kyung Hyang Daily News n’avaient qu’une voix pour dénoncer les « génuflexions » de leur gouvernement devant les autorités chinoises, le Chosun Ilbo commentant par exemple l’annulation d’un sans appel : « un souffle du gouvernement chinois est un ouragan pour le gouvernement sud-coréen »

Quelques jours plus tard, l’ambassade de Chine au Canada a émis avec autant de virulence, mais avec moins de succès, des protestations officielles suite au message de félicitations envoyé à NTDTV par le Premier ministre Stephen Harper, à l’occasion du passage à Toronto de la tournée du "Chinese New Year Spectacular", et envoyé des courriers quasi menaçants aux députés canadiens afin de les décourager d’assister au spectacle et d’ainsi "endommager les relations bilatérales sino-canadiennes".

Pourquoi une telle mobilisation de Pékin ? Les représentants du pouvoir chinois présentent la NTDTV comme une chaîne hostile à la Chine, un média capable de tout pour discréditer Pékin. C’est en fait surtout un média devenu trop populaire dans les communautés chinoises qui apprécient sa liberté de ton et la diversité de ses programmes. Dans un communiqué, le vice-président de la chaîne, Samuel Zhou, répond aux accusations chinoises : « Nous donnons au monde entier des informations non censurées sur la Chine, y compris en Chine même grâce aux satellites. C’est quelque chose que le parti communiste n’aime pas. »

La direction générale de la chaîne, à New York, présente sur son site le spectacle comme un moyen de « faciliter la renaissance de la culture traditionnelle chinoise, de ses formes artistiques, de son folklore » et de « rattraper les pertes tragiques de cette culture que la Chine a subi ces dernières décennies. »

Le programme du spectacle confirme : danses mongoles, danses des dynasties Song, Tang et Qing, solos de vielle chinoise, chorégraphies d’arts martiaux, etc. C’est au final toute la Chine qui s’invite dans et autour du spectacle du nouvel an chinois : Dedans, la Chine traditionnelle empreinte de spiritualité, celle dont la culture est considérée comme semi-divine par le peuple chinois ; autour, la réalité de la Chine contemporaine - celle dans laquelle lutte pour le contrôle absolu un régime en déliquescence. A n’en pas douter, puisque le spectacle de la NTDTV doit marquer à la fin février une étape au Palais des Congrès de Paris, les prochains jours devraient offrir en guise de "première partie" un certain nombre de gesticulations médiatiques de la part de l’ambassade de Chine en France. Affaire à suivre...


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