L’Espagne à la diète, et la Catalogne à l’eau dessalée
par Bruno de Larivière
mardi 3 janvier 2012
En Espagne, l'Etat a progressivement délégué ses compétences (culture, éducation, santé) aux régions autonomes. Cette décentralisation n'explique cependant pas à elle seule l'alourdissement spectaculaire de leur dette : exemple avec une usine de dessalement ultramoderne construite en 2009 à Barcelone.
C'est le dernier jour de l'année 2011. Mais un article de Sud-Ouest mérite l'attention... 'Barcelone manque d'eau depuis 2005 (année durant laquelle les barrages tombent à 20 % de leur capacité)'. Donc, avant, il n'y avait pas la Méditerranée et pas d'été caniculaire.
En fin de paragraphe, Jacky Sanudo (Sud-Ouest) rappelle la population de la région autonome, 7 millions d'habitants. Mais il y en avait moins de 2 en 1900 (source). En un siècle, la population s'est multipliée par 3,5 ! Ce total dit tout de l'histoire du siècle, et de la focalisation des Etats sur l'économie littorale et l'import-export par des ports de standards internationaux : ici, Barcelone...
En fin de compte, sept millions de Catalans souffrent d'une 'pénurie hydrique'...
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Que faire alors ? 'On parle de transférer l'eau du Rhône par citernes via Marseille ou de dévier l'Èbre'... Parlons, et faisons des rêves en Espagne. Dans un deuxième temps, un projet 'raisonnable' semblera soudain acceptable.
'L'entreprise publique ATLL (Aigües Ter Llobregat), qui a à sa charge l'approvisionnement en eau potable de 118 communes de la Barcelone industrielle (4,7 millions de résidants)' Et oui, l'économie barcelonaise ne doit rien au tourisme !
'Le coût de la réalisation s'élève à 230 millions d'euros, financés à 75 % par la Communauté européenne' Tout cela date déjà d'il y a deux ans. Mais la proportion arrête le regard. Ainsi, la partie la plus dynamique de l'Espagne (elle-même quatrième économie de la zone euro) a obtenu des financements de Bruxelles. Ce qui choque aujourd'hui ne dérangeait personne il y a encore cinq ans : début des travaux en 2007.
Où se situe l'usine de dessalement [incrustation] ? A proximité de Barcelone, sur le delta du fleuve Llobregat. Le port ? 'en pleine extension, et dans une immense zone industrielle de la commune de Prat.'
Du point de vue des technologies, il n'y a pas grand chose à dire. L'usine est moderne, 'utilisant le système de filtrage dit « osmose inverse » ' mise en oeuvre par une filiale de Suez Environnement. Le taux de récupération de l'eau de mer (captée à deux kilomètres au large) est de 45 %, la saumure finissant dans la Méditerranée.
La force de l'eau récupérée sous forme d'énergie fait diminuer la consommation électrique de l'usine : 3,5 kW/h par mètre cube. Des panneaux photovoltaïques posés sur les toits complètent l'installation. Les zones humides environnantes ont fait en outre l'objet d'un soin particulier. Les échassiers dorment en paix.
Chaque jour, 200.000 m3 d'eau dessalée sortent de l'usine de Prat de Llobregat. Cela représente un cinquième des besoins de Barcelone. En cas de besoin - pour l'heure, les barrages sont tous pleins - elle peut monter en puissance.
L'eau 'naturelle' coûte entre entre 16 et 25 centimes le mètre cube, l'eau 'dessalée' entre 35 et 60 centimes le mètre cube. Jacky Sanudo donne des fourchettes, alors qu'il est si simple de montrer que le liquide sorti d'usine est 2 à 2,5 fois plus cher que son alternative artificielle.
Mais pour ce prix là, les Barcelonais payent une équipe de trente surhommes 'qui travaillent sur le site qui tourne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7', sans compter ceux qui oeuvrent dans le 'centre de contrôle ultramoderne'.
Le monde entier s'extasie, qui en doute ? Les Arabes, les Chinois, les Israéliens, jusqu'aux Australiens... Tous ceux qui ont de l'argent à gaspiller. Mais pour combien de temps, ai-je envie d'ajouter un peu perfidement ?!
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La conclusion du Sud-Ouest laisse pantois : 'Face à la pénurie d'eau potable, cette technique va être de plus en plus utilisée', annonce l'expert de service. La crise, connaît pas ! La phrase ultime de Jacky Sanudo frise le ridicule comme le K2 le Mont Everest. 'Et, comme souvent en Europe, la Catalogne a un temps d'avance.'
L'aveuglement du journaliste ne fait pas oublier le caractère fouillé de son enquête. Simplement, il y manque le rappel du fonctionnement de l'Union européenne pendant deux ou trois décennies (avec la réussite que l'on admire aujourd'hui)...
Et le contexte géo-historique ! Car le monde occidental a poussé loin la logique de la littoralisation, avec l'abandon des territoires trop enclavés, des ports sans hinterlands [Une poignée de noix fraîches]. Celle-ci va connaître une profonde remise en cause(définitive ?). L'Espagne de 2012, et son énième plan d'austérité en sait quelque chose [source]. La Catalogne figure en réalité le cas général de l'Espagne : Cantona qui bat la campagne.
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Un article de Claire Gatinois dans le Monde du 19 novembre 2011 résume la situation financière des dix-sept régions espagnoles : Les régions, au coeur de la dette espagnole. Madrid doit réduire les déficits publics, mais se trouve dans l'impossibilité de le faire [De Franco à la Crau]. On le comprendra néanmoins, je ne partage pas les deux présupposés de la journaliste : d'une part les régions autonomes espagnoles ont dépensé par nécessité ou à bon escient et d'autre part la majorité des Catalans veulent devenir indépendants.
'En cause : les dix-sept communautés autonomes espagnoles, en charge d'une partie des dépenses publiques comme l'éducation ou la santé. Fin juin, elles cumulaient une dette de 133 milliards d'euros (12,5 % du PIB), sur un total de 702 milliards (65 % du PIB). [...] Sur le banc des plus mauvais élèves : Castille-la Manche, Murcie, les Baléares, Valence et la Catalogne, qui représentent ensemble 37 % de l'économie espagnole. [...] Pendant les années de boom économique, les régions ont vu leurs recettes, notamment les taxes sur le secteur de la construction, s'envoler. Au premier trimestre 2007, le pays recensait 760 000 mises en chantier en rythme annuel. [...] La Catalogne joue déjà les dissidentes en refusant de se soumettre à l'orthodoxie fiscale imposée par Madrid. Il y a quelques mois, elle a indiqué qu'elle réduirait son déficit à 2,7 % du PIB cette année après 3,9 % en 2010 mais pas à 1,3 %, notent les experts de Deutsche Bank. L'objectif est intenable selon la Catalogne.'