L’intervention américaine en Libye paraît inéluctable
par Mathieu Joselzon
mardi 8 mars 2011
Alors qu’aucune piste n’est pour l’instant privilégiée pour enrayer l’enlisement de la crise actuelle en Libye, de nombreux facteurs indiquent que seuls les Etats-Unis auront la capacité et la volonté d’arbitrer ce conflit meurtrier.
Une escalade de la violence
Les premières manifestations contre le pouvoir autoritaire de Kadhafi, débutées mi-février, se sont transformées en une réelle guerre civile entre pro et anti Kadhafi.
Aujourd’hui, avec plus de 6.000 morts et des affrontements incessants, le pays est plongé dans le chaos. L’ONU fait état de plus de 190.000 personnes ayant déjà quitté le pays - majoritairement des étrangers travaillant en Libye – tunisiens, égyptiens…-
L’équilibre des forces entre les deux camps
L’examen ? des forces en présence renforce l’inquiétude sur la poursuite du conflit. Avec d’un côté l’armée de Kadhafi, regroupant militaires et mercenaires africains, suréquipés et dotés de tous les pétrodollars nécessaires à la poursuite des combats. Et de l’autre une opposition constituée de militaires démissionnaires, et surtout d’un nombre très important de volontaires, qui bien que peu formés, sont extrêmement déterminés et profitent de toute l’artillerie présente dans les casernes des villes dont ils se sont emparées. Il n’y a pas de doute quant à la puissance des insurgés, qui possèdent notamment du matériel sol-air et ont déjà détruits plusieurs avions des forces pro Kadhafi. De plus ces derniers commencent à s’organiser, avec la création samedi 5 Mars du Conseil National Libyen qui s’est donné comme mission de coordonner la révolte libyenne par une stratégie militaire et l’élaboration d’un plan de transition politique.
Une guerre civile qui s’enlise
Les combats de ces derniers jours, qui ont amené rebelles et forces pro-Kadhafi à se reprendre mutuellement le contrôle de certaines villes, est inquiétant pour la suite. En effet cet équilibre des forces, entre offensives et contre-offensives, ainsi que la détermination de chaque camp inquiètent tant la résolution du conflit semble supposer l’anéantissement d’un des deux camps.
Si l’hypothèse d’un essoufflement des rebelles par manque de carburant ou de munitions doit être prise en compte, il semble que les évènements des derniers jours aient prouvé la force de leur mouvement et qu’il y aura toujours des pays étrangers prêts à les soutenir. – des sénateurs américains appellent notamment à un soutien de leur armée auprès des insurgés.
Les raisons d’une intervention
Mais la Libye ne sera pas, contrairement à d’autres pays africains, abandonnée à une guerre civile sanglante. En effet, l’ampleur de la catastrophe humanitaire, les intérêts des plus grandes nations pour le pétrole libyen, la crainte du maintien d’un chef d’état terroriste ainsi que la possibilité de voir éclore Al-Qaeda sur les terres libyennes grâce à l’engrais de la guerre civile supposent une résolution à court-terme du conflit.
Le pétrole libyen
La Libye, deuxième producteur de pétrole d’Afrique après le Nigéria, est un acteur important à l’échelle mondiale. Le tableau ci-dessous illustre la répartition des 1,6 millions de barils produits chaque jour en Libye, et démontre l’intérêt hautement stratégique pour de nombreux états que de se prémunir de tout risque concernant leur approvisionnement en pétrole. Ainsi, même si les estimations divergent, il est admis que la production a déjà été drastiquement réduite depuis le début de la guerre civile libyenne.
- Pays clients du pétrole libyen
- Graphique de The Economist illustrant la part du pétrole libyen dans l’approvisionnement total de chaque pays - en % et en valeur
Un Chef d’Etat Terroriste
Alors que les affrontements actuels ne présagent pas d’une chute immédiate de Kadhafi – beaucoup l’ont d’ailleurs enterré trop vite -, comment imaginer, dans le cas où son camp parviendrait à se maintenir au pouvoir, que la communauté internationale accepte cette situation. En effet, la communauté internationale a appris à ses dépens ce dont Kadhafi est capable – attentat de Lockerbie, comportement belliqueux actuel avec le massacre de civils… - ils ne prendront donc pas le risque de laisser sombrer le pays, tout en sachant que Kadhafi sera prêt à tout pour s’accrocher au pouvoir, jusqu’aux actes les plus irrationnels.
Si des chefs d’états encore plus meurtriers, comme Al-Bashir au Soudan, n’ont eux pas été renversés par une force étrangère, les enjeux concernant la Libye et qui sont en train d’être évoqués laissent présager du contraire.
Le risque Al-Qaeda
Une intervention militaire trouverait également sa justification dans la lutte contre le terrorisme. En effet, la poursuite de l’enlisement du conflit apporterait une opportunité unique pour Al-Qaeda, l’organisation pouvant profiter du désordre ambiant pour s’installer, recruter et surtout proposer son soutien à l’un ou l’autre des deux camps en échange de bienveillance à son égard. Pour appuyer cette thèse le meilleur exemple est celui de Ben Laden. Lorsque ce dernier quitte l’Arabie Saoudite pour le Soudan, alors en pleine guerre civile, il a pour objectif de profiter du climat de guerre et du soutien du chef du mouvement islamique Hassan Al-Tourabi pour développer sa propre cellule terroriste, ce qui aurait notamment permis de financer le mouvement d’Al-Tourabi.
Les difficultés d’une intervention
Pour toutes les raisons évoquées plus tôt, il semble clair qu’une intervention étrangère aura lieu, à moins que les insurgés renversent le gouvernement Kadhafi dans les jours qui viennent, ce qui semble peu probable. Mais une intervention de l’ONU paraît compliquée à l’heure actuelle : la Chine – mais aussi la Russie - ont pour principe la non-ingérence et opposeront donc leur veto à toute résolution supposant une intervention militaire. De la même façon il paraît improbable que l’Union Africaine(UA) intervienne, tant les pays qui participent à cette force de paix s’opposent au « droit d’ingérence », notamment parce que cela pourrait créer un précédent.
S’il semble qu’aucune organisation – ONU, UA, Europe – n’obtiendra l’unanimité pour une intervention, l’autre limite provient du fait que l’opposition libyenne ne souhaite pas d’une intervention militaire étrangère dans leur pays, car cela aurait un effet contre-productif en appuyant les discours de Kadhafi qui voit dans la révolte actuelle une manipulation étrangère.
Néanmoins, face à la difficulté des insurgés de faire tomber Kadhafi, face à la folie de cet homme prêt à massacrer des civils en masse pour défendre son pouvoir, le fort probable enlisement de la guerre civile conduira les insurgés à accepter l’aide d’une nation étrangère, qui en l’occurrence ne peut être que les Etats-Unis.
La prudence américaine
Alors que jusqu’à présent les Etats-Unis se montrent très prudents quant à toute intervention en Libye, il semble assez évident qu’ils soient le seul pays en capacité d’intervenir (qui pourrait déployer deux porte-avions dans la zone en si peu de temps),. Néanmoins, qu’ils en aient la capacité n’implique pas nécessairement qu’ils en aient la volonté.
Ainsi, le bourbier irakien n’est toujours pas résolu et le sujet est devenu fortement impopulaire auprès des électeurs ; à un an des élections, Obama ne souhaite pas prendre le risque d’une opération hasardeuse, longue, coûteuse, qui pourrait amener à établir des parallèles avec la politique menée par G.W. Bush dans le passé.
Une intervention inéluctable
Malgré la prudence américaine, des arguments plus forts tendent vers une intervention américaine :
- Tout d’abord, alors que la situation semble empirer jour après jour, la grave crise humanitaire qui va s’en suivre incitera la communauté internationale à vouloir mettre un terme au conflit. Or, comme ni l’ONU ni l’UA ne pourront intervenir faute d’unanimité, les Etats-Unis devront assumer seuls une intervention militaire. Pour ne pas répéter l’échec Irakien, l’intervention américaine sera probablement réalisée en coordination avec les insurgés et pourrait prendre la forme d’une aide aérienne et logistique, afin de limiter les risques de devoir rester présent sur une longue durée. La présence de 2 porte-avions américains dans la mer Méditerranée va dans ce sens.
- Intervenir en Libye serait l’occasion de sécuriser l’approvisionnement en pétrole de cet important pays producteur- enjeu important pour le futur -, et surtout d’acheter une part plus importante de leur production- les Etats-Unis achètent seulement 3% de la production libyenne, contre 23,5% par exemple pour l’Italie, et ce en partie à cause de l’embargo commercial imposé par les Etats-Unis à la Libye de Kadhafi jusqu’en 2003 et qui à longtemps limité les échanges commerciaux avec ce pays.
- L’Amérique post-2001 connaît une paranoïa aigüe et toute menace de voir un nouveau berceau pour le terrorisme islamique doit être supprimée.
A travers les récentes déclarations d’Hilary Clinton, on est à même de penser que les Etats-Unis ne veulent pas donner l’impression aux libyens qu’ils s’impliqueront dans le conflit sans aucun mandat. Néanmoins, l’enlisement du conflit résonnera comme un plaidoyer en faveur d’une intervention, dont les Etats-Unis assumeront la charge.
Mathieu Joselzon