L’océan Indien, enjeu géopolitique majeur

par William Kergroach
jeudi 8 février 2024

Le nouvel équilibre des puissances dans l'océan Indien est en train de changer. Les États-Unis ne sont plus la puissance maritime dominante, mais ils resteront un acteur majeur. La Chine et l'Inde émergent comme des puissances maritimes de premier plan, alors que la Russie investit en direction du sud.

 

Bombay-Moscou

L'océan Indien, longtemps négligé dans les préoccupations géopolitiques mondiales, devient un acteur central dans l'arène géo-économique et géopolitique. Cette transformation résulte du développement d'un corridor reliant Bombay à Moscou, ainsi que les répercussions de la guerre en Ukraine sur les orientations économiques de la Russie.

Le corridor reliant Bombay à Moscou est un projet d'infrastructure qui date de plusieurs années. Il a été récemment revitalisé et est en train de devenir un élément central de la géo-économie de la région. Ce corridor traverse la route de la soie terrestre qui relie la Chine à l'Europe, et son développement promet de stimuler les échanges commerciaux et les investissements dans la région.

L'importance de ce corridor réside dans le fait qu'il permettra à des pays tels que le Turkménistan et le Kazakhstan d'exporter leurs produits vers le Moyen-Orient, l'Inde, et même l'Europe via des voies terrestres. Cela créera de nouvelles opportunités économiques et favorisera une croissance significative dans ces pays. De plus, avec une population régionale combinée de plus de 2 milliards d'habitants, le potentiel de développement de cette zone pourrait rivaliser avec la montée en puissance de la Chine au cours des dernières décennies.

La guerre en Ukraine a contraint la Russie à réorienter ses exportations, vers l'est et le sud, elle a entraîné des changements significatifs dans les flux commerciaux et les partenariats économiques. En particulier, la Russie a commencé à vendre une grande partie de ses produits à la Chine en renminbi, la monnaie chinoise.

Cette transition a renforcé les liens économiques entre la Russie et la Chine, deux acteurs majeurs de la région. D'autre part, elle a entraîné une augmentation des recettes en devises étrangères de la Chine, ce qui a consolidé sa position en tant que puissance économique mondiale. Parallèlement, la Russie a accumulé d'importantes réserves de change, qu'elle utilise désormais pour importer des biens de Chine, remplaçant ainsi les importations précédemment en provenance d'Europe.

L'ensemble de ces évolutions géo-économiques se traduit par un changement majeur dans la géo-économie mondiale. L'océan Indien, autrefois considéré comme une région périphérique, est en train de devenir un acteur central de la croissance économique mondiale. Les taux de croissance des pays situés le long du corridor Bombay-Moscou connaissent une expansion sans précédent, qui devrait durer des décennies.

Si la croissance économique mondiale était autrefois centrée sur l'océan Pacifique, il est désormais plus probable qu'elle se concentre sur l'océan Indien. Cette région est devenue le nouvel épicentre des échanges commerciaux et des investissements, avec des conséquences importantes sur les relations internationales, les partenariats commerciaux, et les dynamiques géopolitiques.

 

Une position stratégique

L'importance de l'océan Indien repose sur sa position stratégique, sa richesse en ressources naturelles, et son rôle essentiel dans le commerce international. L'océan Indien est situé au carrefour de l'Asie, de l'Afrique et de l'Australie, ce qui en fait une plaque tournante stratégique pour les affaires mondiales. Il est bordé par de nombreux pays, dont l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh, le Sri Lanka, les Maldives, l'Afrique de l'Est, l'Arabie saoudite et l'Australie. Cette position stratégique en fait un point de convergence des intérêts géopolitiques de plusieurs puissances mondiales, notamment les États-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde et les pays européens.

L'océan Indien est riche en ressources naturelles essentielles pour l'économie mondiale. Il abrite plus de la moitié des réserves mondiales en hydrocarbures et en uranium. Ces ressources sont cruciales pour la production d'énergie, la fabrication de produits chimiques et la propulsion des transports.
La région est également dotée de ressources minérales telles que les diamants, l'or et le gaz naturel. Ces ressources sont exploitées dans des pays côtiers de l'océan Indien, ce qui contribue à leur développement économique et à leur influence régionale.

L'océan Indien est, enfin, l'une des plus grandes autoroutes maritimes commerciales du monde. Près de 30% du commerce mondial transite par ses eaux, ce qui en fait une voie de transport vitale pour l'économie mondiale. Les routes maritimes reliant l'Europe à l'Asie passent par l'océan Indien, ce qui permet le transport de marchandises, de matières premières et de pétrole brut entre les régions productrices et les marchés de consommation.
L'océan Indien est le foyer de certaines des routes maritimes les plus fréquentées, telles que le détroit de Malacca, le détroit de Bab el-Mandeb et le canal de Suez, qui sont tous d'une importance cruciale pour le commerce international. Toute perturbation dans ces zones a des répercussions majeures sur l'économie mondiale.

 

 Pour la Chine, l'Océan indien représente l'accès au pétrole.

 La Chine cherche activement à renforcer sa présence dans cette région en raison de sa dépendance croissante à l'égard de ses routes maritimes pour ses importations d'hydrocarbures et d'autres matières premières essentielles. 

 La Chine est le plus grand importateur mondial d'hydrocarbures, et une grande partie de ces importations provient de pays situés dans le golfe Persique et dans l'Afrique de l'Est. Pour acheminer ces ressources vitales vers ses côtes, la Chine dépend principalement du détroit de Malacca, l'une des voies de navigation les plus étroites et les plus stratégiques du monde. Environ 80 % des importations d'hydrocarbures de la Chine passent par ce détroit.

 Pour protéger ses intérêts en matière d'approvisionnement énergétique, la Chine a investi massivement dans l'océan Indien. Cela comprend des ports, de terminaux pétroliers, de pipelines et d'infrastructures de transport dans des pays comme le Pakistan, le Sri Lanka, le Bangladesh, et même en Afrique de l'Est. La Nouvelle Route de la Soie, la Belt and Road Initiative (BRI), cherche à relier la Chine à l'Europe par voie terrestre et maritime.

 La Chine a également établi des bases maritimes dans la région, notamment à Djibouti, où elle dispose d'une base militaire. Cette présence militaire chinoise dans l'océan Indien suscite des préoccupations parmi ses voisins et les puissances rivales occidentales, qui assistent à l'extension de l'influence stratégique chinoise dans la région.

 L'expansion chinoise dans l'océan Indien suscite des inquiétudes en Inde, qui considère cela comme une intrusion sur sa sphère d'influence traditionnelle. Les États-Unis sont également fâchés de cette montée en puissance chinoise et de ce qu'elle annonce pour le rééquilibrage mondial du pouvoir.

 

La riposte de l'Inde

 L'Inde, en réponse à la montée en puissance de la Chine dans l'océan Indien, renforce sa propre présence dans la région. L'Inde cherche à protéger ses intérêts nationaux et à maintenir son influence dans cette région géostratégique vitale. 

 L'Inde a accru ses dépenses militaires et modernisé ses forces armées pour améliorer sa capacité à faire face aux défis de sécurité dans l'océan Indien. New Delhi a acquis des navires de guerre de pointe, des sous-marins, des avions de chasse et d'autres équipements militaires de pointe. L'objectif est de dissuader toute menace potentielle et de défendre ses intérêts maritimes.

 L'Inde a cherché à établir des bases militaires stratégiques dans la région pour renforcer sa présence maritime. Par exemple, elle dispose d'une base militaire à Andaman-et-Nicobar, dans le détroit de Malacca, sur une route de passage majeure du commerce maritime mondial. L'Inde coopère avec des pays amis pour accéder à des installations portuaires militaires à travers l'océan Indien, dans le but d'étendre sa portée et sa capacité d'intervention.

 Toujours pour contrer l'influence croissante de la Chine, l'Inde a cherché à renforcer ses alliances et partenariats avec les États-Unis, la France et d'autres puissances occidentales, notamment dans le cadre du "Quad" (Quadrilateral Security Dialogue) qui comprend également le Japon et l'Australie. Cette initiative vise, toujours et encore, à contrecarrer les ambitions hégémoniques de la Chine.

 L'Inde a lancé plusieurs projets d'infrastructures majeurs dans la région de l'océan Indien, notamment le projet du port de Chabahar en Iran, situé à proximité du détroit d'Ormuz. Ce port offre à l'Inde un accès direct à l'Afghanistan et à l'Asie centrale, contournant ainsi le Pakistan. 

 L'Inde cherche activement à conclure des accords commerciaux avec les pays de l'océan Indien pour faciliter les échanges commerciaux et stimuler la croissance économique. L'Accord de Libre-échange Inde-ASEAN (Association des nations de l'Asie du Sud-est) favorise, par exemple, le commerce entre l'Inde et les pays membres de l'ASEAN. L'Inde est également membre de l'Indian Ocean Rim Association (IORA) et la Bay of Bengal Initiative for Multi-Sectoral Technical and Economic Cooperation (BIMSTEC). 

 New Delhi a renforcé ses relations commerciales avec l'Afrique du Sud, le Sri Lanka, les Maldives et les Émirats arabes unis, parmi d'autres. Les partenariats économiques bilatéraux permettent à l'Inde de diversifier ses sources d'approvisionnement en matières premières et d'exporter ses produits manufacturés.

 L'Inde investit, par ailleurs, dans l'amélioration et l'expansion des infrastructures portuaires des ports de Colombo au Sri Lanka, de Duqm à Oman, et du port de Chittagong au Bangladesh qui sont devenus des étapes clé dans la stratégie de l'Inde pour renforcer sa présence économique dans la région.

 

 Plusieurs pays de la région de l'océan Indien sont, cependant, en conflit territorial. La dispute persistante entre l'Inde et la Chine concernant la frontière himalayenne a des implications stratégiques, bien que cela ne se passe pas directement dans la région maritime. 

 Les revendications territoriales en mer de Chine méridionale portent sur des îles, des atolls et des zones maritimes riches en ressources naturelles, notamment des gisements de pétrole et de gaz, des zones de pêche importantes, et des routes maritimes stratégiques. En réponse à l'expansionnisme chinois en mer de Chine méridionale, de nombreux pays riverains se sont tournés vers des partenariats avec des puissances extérieures, notamment les États-Unis, pour renforcer leur sécurité et leur capacité à résister aux pressions chinoises. 

 Les contentieux en mer de Chine méridionale ont soulevé des inquiétudes concernant la liberté de navigation et le respect du droit international, en particulier la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). Les États-Unis ont mené des opérations de liberté de navigation dans la région pour défendre ces principes. Ces actions sont perçues comme provocatrices par la Chine.

 La mer de Chine méridionale est un passage clé pour le commerce maritime mondial, y compris une grande partie des importations chinoises et des exportations asiatiques. Les tensions dans cette région incitent la Chine à rechercher des itinéraires alternatifs, y compris ceux qui traversent l'océan Indien, afin de garantir la continuité de ses approvisionnements en hydrocarbures et en marchandises.

 L'océan Indien est le théâtre de la présence de groupes terroristes tels que Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et Al-Shabaab en Somalie. Ces groupes exploitent les faiblesses des États côtiers et profitent des tensions régionales pour mener des opérations terroristes. La lutte contre le terrorisme dans la région est donc une préoccupation majeure pour de nombreux acteurs, qui mènent des opérations antiterroristes dans le golfe d'Aden et la corne de l'Afrique.

 L'océan Indien a été le théâtre de la piraterie maritime, en particulier dans le golfe d'Aden. Les pirates somaliens ont attaqué des navires commerciaux. Bien que la piraterie ait diminué ces dernières années, elle reste un défi potentiel pour la sécurité des navires et du commerce international dans la région.

 La compétition pour le contrôle des routes commerciales majeures dans l'océan Indien est un facteur de tension. Le détroit de Malacca, le détroit de Bab-el-Mandeb et le canal de Suez sont des passages cruciaux pour le commerce international, en particulier pour l'approvisionnement en pétrole et en marchandises. La Chine, l'Inde, les États-Unis et les acteurs régionaux pourraient très bien y entamer un conflit d'ampleur dès les prochaines semaines.

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