L’Otan veut éradiquer l’opium et le pavot en Afghanistan. Est-ce le rôle des pays de la coalition ?

par Pierre R. Chantelois
mardi 10 février 2009

D’un côté, il y a Richard Holbrooke, émissaire de Barack Obama en Afghanistan qui tient des propos très pessimistes sur la situation actuelle. De l’autre, le Vice-président Joe Biden qui demande des renforts pour mieux combattre le terrorisme dans ce lointain pays.

Richard Holbrooke ne se berce pas d’illusions. Dans un commentaire lapidaire, il a constaté le désordre dont ont hérité les Américains en Afghanistan. Le scénario est kafkaïen : d’un côté Harmid Karzaï tend la main aux taliban, de l’autre, Barack Obama entend les combattre sur leur terrain en autorisant un envoi, à court terme, de plus ou moins 17.000 hommes supplémentaires en Afghanistan.

« J’ai l’impression que cela va être bien plus pénible que l’Irak », ne pouvait que prédire l’émissaire américain. Selon le prix Nobel de l’économie Joseph Stiglitz, le coût total de la guerre en Irak devrait s’élever à 3 000 milliards de dollars. À Washington, le Sénat renâcle pour adopter le plan de relance de Barack Obama dont la facture serait ramenée de 937 milliards à 780 milliards de dollars. Quel sera le prix à payer pour enrayer le terrorisme en Afghanistan ? Et quel prix devront payer les alliés pour satisfaire les demandes américaines ?

Les yeux étaient tournés samedi dernier vers Munich. Beaucoup de bonnes paroles ont été dites à la 45ième Conférence de Munich sur la sécurité. Le vice-président américain Joe Biden s’y est rendu. Du miel. Que du miel, pour l’instant. « Je viens en Europe au nom d’une nouvelle administration déterminée à donner un nouveau ton à Washington et dans les relations de l’Amérique avec le monde », a déclaré Joe Biden. Il a poursuivi son discours en précisant : « Donc nous nous engagerons. Nous écouterons. Nous consulterons. L’Amérique a besoin du monde, tout comme, je crois, le monde a besoin de l’Amérique. Mais je dis à nos amis que les alliances, les traités et les organisations internationales que nous construisons doivent être crédibles et efficaces ».

Nicolas Sarkozy n’en demandait pas tant : « D’ici là, nous essaierons d’être au rendez-vous d’une grande ambition pour la famille qui est la nôtre ». Retour qui pourrait devenir effectif lors du 60ième anniversaire de l’Alliance atlantique, qui sera célébré, les 3 et 4 avril, à Strasbourg et Kehl. Entre temps, qu’en pense la population française ? Nicolas Sarkozy a une réponse bien ponctuée : « C’est un débat que je conduirai comme toujours avec l’esprit de franchise et de droiture vis-à-vis du peuple français ». Et pour ceux qui en doutent, Nicolas Sarkozy décuplera ses efforts pour faire en sorte de les ramener dans le giron : « L’alliance avec les États-Unis et l’alliance avec l’Europe ne mettent pas en cause l’indépendance de mon pays. Elles renforcent l’indépendance de mon pays. Voilà ce que j’expliquerai aux Français le moment venu ». La main sur le cœur, le président promet : « Moi, je ne ferai rien qui mette en cause l’indépendance de mon pays, jamais ». Sur le ton qu’on lui connaît, le président français a expliqué à Joe Biden qu’« une seule puissance ne peut pas régler les grands conflits du monde ». Avec la France, plus rien ne sera pareil ? Et pour passer de la parole aux actes, un bataillon allemand de la brigade franco-allemande sera basé en France. C’est un « acte historique », a déclaré Nicolas Sarkozy.

Joe Biden a déclaré que Barack Obama soutient pleinement la France dans sa volonté d’adhérer à nouveau dans les structures intégrées de l’OTAN. « Une plus grande responsabilité de la France dans l’OTAN refléterait une importance accrue de la politique de sécurité et de défense européenne », a dit Joe Biden. Tout en soulignant que c’est pour cela que « nous souhaitons ce rôle accru de la France ». Le ministre Hervé Morin - pour apaiser la polémique au sein du parlement et de la population qui attendent toujours un débat sur la question - se pourfend d’une déclaration plutôt ambigüe : il a tenté de relativiser une décision « purement symbolique » et rappeler que la France ne renoncerait en rien à son indépendance puisque « les décisions au sein de l’Alliance atlantique se prennent à l’unanimité ».

Après toutes ces bonnes paroles, Joe Biden avait, à Munich, des demandes précises. « L’Amérique fera plus, mais l’Amérique demandera plus à ses partenaires ». Dans le cas de l’Afghanistan, Washington et ses alliés doivent prendre en charge une stratégie globale pour empêcher le pays de devenir un repaire du terrorisme islamiste. « L’Amérique va en faire plus ; ça, c’est la bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est que nous allons demander à nos partenaires d’en faire plus aussi », a prévenu Joe Biden.

« Nous fermerons le camp de Guantanamo », a rappelé le Vice-président, mais en même temps, il demande l’aide de l’Europe pour accueillir d’anciens prisonniers du camp. Le message est on ne peut plus clair. Washington réclamera davantage de ses partenaires. Oui pour une réconciliation avec la Russie mais l’Amérique continuera de développer sa défense antimissile.

Derrière ce discours qui invite au dialogue et au partenariat, il y a les intérêts des États-Unis qui occupent une place importante : l’objectif est ni plus ni moins d’inviter les alliés à envoyer davantage de troupes en Afghanistan pour mieux lutter contre la violence croissante des insurgés et du reste des talibans. Si les Américains, selon Hervé Morin, « sont conscients de l’effort qu’a déjà fait la France » en Afghanistan, qu’en est-il des Français ? La France n’enverra pas, pour l’heure, des troupes supplémentaires en Afghanistan, a annoncé le ministre français.

Jaap de Hoop Scheffer, le secrétaire général de l’Otan, a dit tout haut ce qu’a soufflé discrètement, dialogue oblige, le Vice-président Joe Biden : « les Européens, France et Allemagne en tête, n’ont d’autre défi que de donner un contenu concret au rééquilibrage qu’ils prônent avec les États-Unis en envoyant des renforts en Afghanistan ». Sur les relations actuelles entre l’Union européenne et l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer ne fait pas de quartier : « la situation à laquelle nous sommes confrontés est une source de frustration ». Et il ajoute, impitoyablement, qu’en Afghanistan, « les murs entre les deux organisations sont un réel handicap. [...] C’est du gâchis ».

À propos de gâchis, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont appelé à une « véritable coopération » entre l’UE et l’Otan, déplorant un « partenariat stratégique » insuffisant entre les deux institutions. Ce à quoi a répondu Jaap de Hoop Scheffer : « Je suis inquiet quand les États-Unis veulent augmenter leur contribution en Afghanistan et d’autres partenaires l’exclure (...) Ça n’est pas bon ».

La France est-elle prête à mettre ses troupes en Afghanistan au service de l’éradication de l’opium et du pavot ? Les militaires n’ont pas mission, en vertu des traités internationaux, de poursuivre des criminels de droit commun. À mi-mots, Jaap de Hoop Scheffer ne cache pas son intention d’orienter la coalition Operation Enduring Freedom (OEF) vers cet objectif : « La connexion entre l’insurrection et le commerce de la drogue mène à la mort de nos soldats en Afghanistan. C’est un prix trop élevé à payer pour nos soldats ». Comme le rapporte Alec Castonguay, du quotidien Le Devoir : « Le ministre de la Défense, Peter MacKay, a confirmé que les soldats canadiens allaient participer à certaines opérations antidrogue, ce que le Canada avait toujours refusé de faire ». La raison en est simple. S’attaquer au pavot et à l’opium, c’est s’attaquer aux sources de revenus des populations qui tirent leurs seuls revenus de ce commerce. « Nous n’allons pas éradiquer spécifiquement les cultures de pavot, mais nous pourchasserons les trafiquants de drogue connus dont les opérations sont liées à celles des terroristes », a précisé le ministre Peter MacKay. Au Canada, tout est dans la nuance.

Anthony Salloum, de l’Institut Rideau, déclarait au quotidien Le Devoir : « La job des soldats canadiens en Afghanistan est de faire la guerre aux talibans, pas de remplacer la police locale ». Anthony Salloum adressait cette mise en garde au ministre MacKay : « Comment savoir si un trafiquant de drogue est lié aux talibans ou si c’est un trafiquant local ? On s’en va sur une pente dangereuse ». Qu’en sera-t-il des troupes françaises ? Quelle décision prendra la France une fois consacré son retour au sein de l’Otan ?

En terminant, le ministère de la Défense nationale avait commandé un grand sondage Au Québec à la veille du départ des premiers soldats de Valcartier. Comme le rapporte Violaine Ballivy, du quotidien La Presse, 3000 Québécois de 16 ans et plus ont été consultés en juin 2007, puis 1000 personnes en août 2007 (au moment du déploiement), 1000 personnes en février 2008 (au moment du retour) et 3000 en mai 2008. Le pourcentage de répondants opposés à la présence du Canada en Afghanistan est passé de 61% à 66% au fil des mois. En outre, l’appui aux troupes est resté inchangé entre le début et la fin de l’enquête : 78% des Québécois affirmaient en 2007 et en 2008 qu’ils appuyaient les troupes canadiennes, et 60% déclaraient avoir une opinion positive des Forces canadiennes en général. « Les gens marquent une différence très nette entre l’organisation militaire et les décisions politiques qui dictent ses actions  », notait l’analyste militaire et lieutenant-colonel à la retraite, Rémi Landry. Ce dernier constate que « les positions restent très polarisées, et il est maintenant trop tard pour le gouvernement réussisse à convaincre les Québécois qu’il était de l’intérêt du Canada d’intervenir en Afghanistan ».

Sources : AFP, Presse canadienne, Reuters, Le Devoir, Le Monde, Figaro, Nouvel Observateur, New-York Times)


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