La chasse à Ben Laden, mythe ou réalité ?
par Ronny
vendredi 22 décembre 2006
Le dispositif militaire français en Afghanistan sera allégé. Michel Alliot-Marie, ministre de la Défense, l’annonçait voilà quelques jours. Officiellement, la France souhaite que l’Afghanistan prenne son destin en main. Officieusement, il n’est pas impossible que l’on considère que la chasse à Ben Laden ne soit jamais achevée compte tenu des « réticences » américaines à le capturer ou à l’abattre.
En visite officielle en Afghanistan, la ministre Michèle
Alliot-Marie annonçait dimanche 17 décembre l’allègement du dispositif militaire
français dans ce pays [1]. Engagés dans l’Est du pays, dans la province du Nangahar,
au sein de l’opération Liberté immuable (Enduring freedom), les deux cent vingt
hommes des forces spéciales (forces d’élite) quitteront cette région au début de
2007. Il auront perdu dix des leurs depuis leur arrivée en Afghanistan.
La ministre de la Défense indique que « la réorganisation de l’ensemble du dispositif vise à permettre aux forces afghanes d’assurer elles-mêmes la stabilisation et la sécurité de leur propre pays » [2]. En d’autres termes moins diplomatiques, il est temps que les Afghans prennent leur destin en main, et assurent la stabilité des régions les plus reculées. Il ne s’agit cependant pas d’un lâchage de la France, puisque le contingent français en Afghanistan reste important avec 1100 hommes déployés, essentiellement à Kaboul où ils constituent le plus gros des troupes internationales. De plus, une trentaine d’hommes des forces spéciales resteront aussi à Kaboul pour former les futurs cadres afghans. Le dispositif aérien sera également renforcé par deux hélicoptères supplémentaires.
Il ne s’agit pas d’un mauvais calcul, puisqu’il permet à la France de se dégager de zones particulièrement dangereuses, d’être moins visible dans ce pays, et donc de moins apparaître pour un envahisseur étranger, rhétorique reprise régulièrement par les combattants talibans. Ceux-ci ont d’ailleurs multiplié leurs actions au cours des derniers mois, avec une centaine d’attaques suicides en 2006, soit cinq fois plus qu’en 2005 [3].
Mais au-delà, cette réorganisation ne traduit-elle pas les interrogations françaises devant la volonté réelle du commandement américain de mener une chasse réelle aux terroristes ? Eric de La Varenne, correspondant de France Info et de Libération en Afghanistan, et Emmanuel Razavi de l’agence Hamsa Press viennent de réaliser un reportage instructif [4]. Selon le journal suisse Le Matin, ces journalistes ont pu rencontrer des membres des forces françaises en Afghanistan. Révélation : fin 2003, des soldats français des forces spéciales, enterrés dans le désert, tenaient Ben Laden dans leur ligne de tir, à 400 mètres [4]. Ils contactent le commandement américain, afin de recevoir l’ordre de tir. Les soldats patientent un long moment. L’ordre ne vient pas. L’homme le plus recherché de la planète repart, sans être inquiété.
Contacté, Eric de La Varenne nous précise que le même scénario s’est reproduit quelques mois plus tard. Les soldats français tenaient à nouveau Ben Laden en ligne de mire, dans leur viseur à intensification de lumière, et l’avaient identifié au moyen de dispositifs acoustiques à longue distance permettant d’enregistrer sa voix. L’ordre de tir a de nouveau été demandé au commandement américain. Encore une fois, cet ordre n’est jamais venu, provocant l’énervement des soldats français, certains d’entre eux allant même jusqu’à se demander si les Etats-Unis cherchaient vraiment à attraper Ben Laden.
La question posée par les militaires français, un proche conseiller du président Hamid Karzai se la pose aussi. Interrogé par Eric de Lavarène et Emmanuel Razavi, ce conseiller, qui a participé à de nombreuses réunions stratégiques avec les autorités américaines, a le sentiment que les Etas-Unis utilisent l’argument de la chasse à Ben Laden pour s’implanter en Afghanistan. Leurs raisons sont d’ordre géostratégique : ils se trouvent ainsi à une heure de Téhéran, à une heure d’Islamabad et du Pakistan qui détient déjà l’arme atomique et pourrait basculer vers l’islamisme radical, et surtout à faible distance de la Chine, pays qui deviendra très vite la grande puissance du XXIe siècle.
Cette lecture des évènements est soutenue par des faits. Toujours selon E. de La Varenne, interrogé par AgoraVox par téléphone, la police afghane arrête régulièrement des talibans, qu’elle remet aux autorités américaines. Curieusement, ceux-ci sont rapidement libérés et reprennent vite du service, provoquant le découragement des forces de maintien de l’ordre afghanes. Enfin, plus significatif, de nombreux villageois rapportent que des hélicoptères américains déposent régulièrement des armes dans des lieux connus, situés en zones contrôlées par les talibans, armes que ces derniers peuvent ensuite utiliser dans le cadre de leur activité terroriste.
Enfin, s’il restait un doute sur le manque de volonté des autorités américaines de capturer Ben Laden, Eric de La Varenne rapporte que l’ensemble des forces afghanes oeuvrant dans la région de Tora Bora (dernière région ou Ben Laden a été vu) est constitué uniquement de militaires qui ne connaissent pas le secteur. Ces derniers ont remplacé leurs compatriotes locaux à la demande formelle des militaires américains et britanniques, ouvrant ainsi « un boulevard à Oussama Ben Laden ». Il y a donc fort à parier que ce dernier ne sera probablement jamais arrêté ni neutralisé...
Le reportage d’Eric de La Varenne et d’Emmanuel Razavi a été acheté par la chaîne Planète, et devrait être diffusé début 2007. Des discussions sont en cours pour une diffusion par Arte, la télévision suisse romande, et par CNN.
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[1] Dépêche AP - 17/12/2006 à 14H22
[2] SaphirNews.Com à :
http://www.saphirnews.com/L-armee-francaise-se-retire-partiellement-d-Afghanistan_a5461.html
[3] Brève USA today - 17/12/2006 à 10:13
(Eastern time)
[4] Ian Hamel - Le Matin - 09/12/2006
Merci à Eric de La Varenne pour le temps qu’il a consacré à répondre nos questions.