La Chine a lancé une OPA amicale sur l’Afrique

par Renaud Delaporte
lundi 6 novembre 2006

Le gouvernement chinois a tenu à marquer d’un éclat particulier le troisième Forum de la coopération Chine-Afrique qui s’est déroulé à Pékin du 3 au 5 novembre. Le sommet organisé à l’occasion de ce forum a réuni 41 chefs d’Etat et de gouvernements ainsi que des représentants officiels de 48 pays africains ayant établi des relations diplomatiques avec la Chine. Pékin entend prouver ainsi l’adhésion massive des dirigeants africains à une politique de développement qui prend le contre-pied des pratiques occidentales.

Le sommet de Pékin s’est clôturé dimanche après-midi après l’adoption de deux documents qualifiés d’historiques : la Déclaration de Pékin, et le Plan d’action de Pékin (2007-2009). Il constitue le plus grand événement jamais organisé entre dirigeants chinois et africains depuis la fondation de la République populaire de Chine en 1949.

La Déclaration de Pékin situe le contexte d’une coopération entre "le plus grand pays en développement du monde" et "le continent regroupant le plus grand nombre de pays en développement". Elle exhorte les pays développés à "accroître l’aide aux pays africains [...] afin de renforcer la capacité de celle-ci à combattre la pauvreté, et de l’aider à réaliser les objectifs de développement du millénaire définis par les Nations unies."

Elle demande que la réforme de l’ONU permette le "renforcement de son rôle", réaffirme celui de l’Assemblée générale, qu’elle la conduise à se pencher davantage sur la question du développement et réserve une plus grande place aux pays africains au sein du Conseil de sécurité et dans les autres agences de l’ONU.

La déclaration insiste sur l’importance de la reprise du cycle de négociations de Doha dans le cadre de l’OMC afin de favoriser un "développement équilibré, coordonné et durable".

Par ce sommet, la Chine définit les bases d’un partenariat stratégique gagnant-gagnant à long terme avec les Etats africains, tant sur le plan économique que sur le plan diplomatique.

Un partenariat économique ambitieux

D’un point de vue économique, si l’Afrique dispose de matières premières essentielles au développement de la Chine, il serait réducteur d’envisager leurs relations sous ce seul aspect. Pékin n’a jamais caché ses ambitions de lancer son économie à la conquête du monde, et, dans le monde, il y a l’Afrique avec ses neuf cents millions d’habitants. Des siècles de pratique du commerce avec une population asiatique peu solvable ont procuré aux Chinois une vision bien plus fine du marché que les pratiques héritées de la colonisation occidentale. Qu’importe que la population d’un pays ne gagne que quelques euros par jour, si ces euros tombent dans les caisses des fabriques chinoises. Multipliés par un milliard de clients, ce sont des milliards d’euros qui aboutissent chaque année dans les ateliers textiles, de plasturgie ou de métallerie de l’Empire du milieu. Rares sont les marchés au fin fond des villes, des brousses ou des savanes dans lesquels ne figurent aucun vêtement, ustensiles de cuisine ou simples outils estampillés made in China appréciés par les populations locales. Avec ses grossistes et ses distributeurs installés dans presque tout ce que le tiers-monde compte de localités marchandes, la Chine s’est créée une logistique puissante, essentielle dans le combat économique qu’elle mène aujourd’hui, se forgeant une avance quasiment irrécupérable. Forte de cet atout, la Chine peut se permettre d’acquérir des matières premières dans des conditions économiques respectables : les mineurs qui extraient le coltan au Zaïre, les gemmes à Madagascar ou le phosphate au Maroc, s’habillent et s’équipent chinois. Mieux ils seront payés, plus ils s’équiperont de produits de première nécessité que l’Occident n’est plus en mesure de fournir à un prix concurrentiel. Les petits ruisseaux mènent aux grands océans et les océans à la mer jaune. Ce n’est certainement pas un hasard si Pékin a choisi d’annoncer la semaine dernière la construction de cinq nouvelles plates-formes portuaires. À terme, cinq nouveaux Anvers.

Dans ce contexte, les contrats annoncés - qui portent sur 1,9 milliard de dollars, le doublement de l’aide de la Chine à l’Afrique en trois ans et l’annulation de dettes non précisées - procèdent de l’effet d’annonce profitable à la conclusion d’un sommet historique, mais ne constituent en rien l’épine dorsale d’un programme économique autrement plus ambitieux.

Qu’importe la couleur du chat

Politiquement, en proclamant la nécessité d’accroître le rôle de l’Afrique dans les institutions internationales, la Chine accélère le développement d’un réseau d’alliés, commencé lors des précédents forums, dans le bras de fer qui l’oppose aux Etats-Unis. Afin d’encourager et de consolider ces alliances, la Chine entretient une rhétorique en complète rupture avec l’approche post-coloniale de l’Occident. Pékin ne s’est pas privé de rappeler que la Chine elle-même a su s’affranchir des effets de toute présence étrangère sur son territoire. En inscrivant son dialogue dans une logique Sud-Sud, elle ne manque pas d’atouts pour se poser en leader d’un mouvement de libération qui n’avouerait pas son nom.

Passant outre les pratiques du FMI et de la Banque mondiale qui subordonnent leurs prêts à une meilleure "gouvernance", ce néologisme qui réduit le rôle des Etats à celui de succursales bancaires, elle libère les chefs d’Etats d’une politique intérieure axée sur le seul profit des investisseurs occidentaux. La Chine dispense ses équipements - voies ferrées, hôpitaux, réseaux de communication - à travers toute l’Afrique en fonction de ses propres intérêts politiques et commerciaux. Les reproches concernant le non-respect des Droits de l’homme émeuvent d’autant moins Pékin que de nombreux chefs d’Etats africains ne sont parvenus et ne se maintiennent au pouvoir, emprisonnant ou liquidant leurs opposants, qu’avec l’appui des anciennes puissances coloniales ou des Etats-Unis, derrière un semblant de démocratie propre à apaiser les mauvaises consciences.

Le sommet a permis au président Hu Jintao de rencontrer individuellement quarante et un chefs d’Etat ou de gouvernement africains, reconnaissant de facto les conditions pas toujours très claires de leur arrivée au pouvoir. Une façon de placer le slogan de la réunion "Amitié, paix, coopération et développement" au-dessus des querelles d’investiture. Qu’importe qu’un chat soit noir ou blanc, disait Deng Tsiao Ping, pourvu qu’il attrape les souris. La Chine maintiendra ses relations avec les Etats africains pourvu qu’ils ne reconnaissent qu’une seule Chine et qu’ils acceptent les termes de sa coopération : matières premières contre beaucoup de produits chinois. L’expertise chinoise dans l’élévation du niveau de vie d’une population constitue un argument de poids dans la suite des relations sino-africaines. Jeune Afrique souligne "l’émergence, en quinze ans, d’une classe moyenne [...] qui bouleverse l’économie du pays." Ce seul fait, aux yeux de nombreux Africains, vaut largement tous les conseils du FMI. Le sommet de Pékin aura ceci d’historique qu’il est le premier coin enfoncé dans une stratégie de rupture entre l’Afrique et l’Occident.

Il reste à la Chine à exercer toute son habileté diplomatique dans la pacification de l’Afrique pour devenir la puissance de référence du développement de ce continent.

Forum culturel

La reconnaissance de l’identité culturelle du continent africain constitue un aspect inhérent à la politique chinoise. Si le G8 ou l’OMC n’ont jamais songé à inviter des groupes de danses folkloriques, ou à exposer "quelque 300 pièces de sculpture, de la peinture, du tricot, de la poterie" à l’occasion de leurs arides conférences d’experts, les Chinois, eux, en ont tout de suite compris la nécessité. À l’heure où elle rentre dans le club très restreint des grandes puissances mondiales, au détriment des Etats européens, la Chine a souligné son opposition radicale avec les règles du dialogue Nord-Sud conduit par l’Occident, que les Africains traduisent non sans raison en relations dominant-dominé. Les Etats-Unis comme les anciennes puissances coloniales sont restés figés dans une vision civilisatrice de leur action en Afrique au détriment de l’identité même de ces peuples. À vouloir leur imposer un mode de vie basé sur leurs propres pratiques, les occidentaux n’ont jamais été en mesure d’offrir aux pays africains un modèle de développement répondant à la culture du continent. Le respect de la culture africaine, placée au même plan que la culture chinoise, pose les bases d’un dialogue beaucoup plus fécond dont nous ne devrions pas attendre longtemps les effets. Au lieu de copies de marques occidentales sur des polos, ce sont bientôt des boubous ornés de logos de marques chinoises que les Africaines s’arracheront sur les marchés.

En s’engageant en Afrique, la Chine s’avance néanmoins sur des voies difficilement carrossables. Ses projets d’implantation - comme les dix villages industriels intégrés dédiés exclusivement aux entreprises chinoises qu’elle projette d’installer (comprenant des activités manufacturières et de services : technologies de l’information et des communications, ingénierie légère, textile-habillement) - vont accroître la présence de techniciens et de commerçants chinois dont les populations locales ne voient pas toujours l’arrivée du meilleur œil. Tant qu’il était marginal, ce phénomène ne posait guère de difficultés. Il n’est pas dit que la montée en puissance d’une élite chinoise en Afrique soit mieux perçue que nos propres implantations coloniales. Il faudra dans doute de nombreux efforts aux Chinois pour apprendre à danser aux rythmes africains et ne pas retomber dans une relation dominants-dominés.

L’arrivée de la production chinoise sur le continent a déjà fait ses premières victimes dans l’industrie textile du Maghreb. Selon le site tunisien Babnet, certains diplomates africains présents au sommet de Pékin se sont déjà inquiétés de ce que le flux des produits manufacturés bon marché, de la Chine vers l’Afrique, paralyse l’industrie locale. Les relations culturelles ne pourront suffire à créer le climat de confiance nécessaire aux ambitions de l’Empire du milieu en Afrique.

Échec des ambitions françaises

Le premier sommet franco-africain avait réuni à Paris le 13 novembre 1973 onze dirigeants à l’initiative de Hamani Diori, chef de l’Etat nigérien. L’événement fut qualifié d’historique par la presse de l’époque. Le but de la rencontre était de créer le cadre d’un dialogue régulier entre la France et l’Afrique francophone afin de développer une zone pacifique de prospérité hors de l’influence des deux grandes puissances, les USA et l’Union soviétique. En plaçant délibérément le sommet sino-africain de Pékin dans le cadre d’un dialogue Sud-Sud, la Chine s’impose comme étant la seule puissance capable d’offrir à l’Afrique l’espoir d’une politique de développement économique réaliste, pragmatique et par conséquent applicable. Elle entérine l’échec de trente-trois ans de politique africaine française. La venue de Jacques Chirac à Pékin à la veille du sommet peut constituer le présage d’une volonté de Pékin de ne pas délibérément offrir Paris en sacrifice au dieu de la coopération sino-africaine. L’avenir dira si cela sera suffisant pour éviter une perte radicale des bénéfices économiques et politiques de la colonisation.

Renaud Delaporte

Sources :

http://www.french.xinhuanet.com

http://www.chinafrique.com

http://www.questionchine.net

http://fr.chinabroadcast.cn

http://fr.allafrica.com

Photo : xinhuanet


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