La Chine en fait-elle assez pour éliminer la pauvreté ?
par Michel Monette
vendredi 7 avril 2006
Non, admettent les autorités chinoises elles-mêmes. L’agence de presse officielle Chine nouvelle vient de révéler les chiffres de la pauvreté dans ce pays : plus de 63 millions de Chinois sont très pauvres, dont le tiers ne mange pas à sa faim. Tout un paradoxe, dans un pays qui compte de plus en plus de riches et de très riches... tout en prônant une nouvelle campagne pour le socialisme.
Longtemps endormi, le géant chinois, on le sait, se développe à une vitesse spectaculaire, et fait une entrée foudroyante sur les marchés mondiaux. On jurerait que les vêtements de la mondialisation ont été taillés sur mesure pour ce pays.
Malgré ce développement hors du commun, la Chine vit une dichotomie persistante : une élite profite d’un essor économique soutenu dans les villes, alors que les campagnes trainent de la patte.
Le nombre de Chinois vivant dans la pauvreté absolue a reculé mais, écrivait l’OCDE en 2005, « le niveau de revenu est encore faible et les inégalités
s’accentuent, non seulement entre zones urbaines et rurales - le revenu moyen dans les campagnes ne représente qu’un tiers de celui observé dans les villes - mais aussi au sein même des provinces côtières plus prospères » (Séminaire parlementaire de haut niveau. La Chine et ses défis actuels. OCDE. 6 octobre 2005).
Cette différence n’est pas rien. Plus de 60% de la population vit dans des zones rurales, et l’agriculture assure plus de 40% des emplois en Chine.
Ce qui ne veut pas dire que rien ne soit fait pour améliorer le sort des Chinois qui vivent dans le monde rural. La Chine compte dépenser l’équivalent de plusieurs milliards de dollars US « à l’action sociale et aux aides agricoles » au cours des prochaines années.
Il est cependant très difficile de porter un jugement objectif sur ces efforts publics ou privés.
Le gouvernement chinois maintient un contrôle serré sur ce que racontent les médias qui sont autorisés à s’exprimer, et continue de considérer la divulgation non autorisée d’information comme un crime d’État.
Cette réserve étant précisée, l’information sortant de Chine laisse croire que le passage d’une production agricole très centralisée à une production basée sur des exploitations familiales tournées vers les marchés a fait reculer la pauvreté rurale de façon significative.
Toutefois, selon un article de Bian Yongmin sur la sécurité alimentaire, paru dans Perspectives chinoises du Centre d’étude français sur la Chine contemporaine, le revenu mensuel moyen dans les villes chinoises - 86 US$ en 2002 - demeure de loin supérieur au revenu mensuel moyen en milieu rural.
Certes, la Chine peut s’enorgueillir d’avoir atteint l’autosuffisance alimentaire depuis 1995. Les faibles revenus, tant dans les campagnes que dans les villes, justifient toutefois que les consommateurs se tournent vers des aliments bon marché, produits dans des conditions de salubrité qui laissent à désirer.
Dommage que les autorités chinoises n’aient pas aussi lancé une campagne pour la liberté d’expression et la démocratie. Le prochain grand bond en avant des Chinois vers un niveau et une qualité de vie supérieurs passe par leur capacité à critiquer ouvertement ce qui ne va pas.