La Conférence d’examen de Durban : contre les idées fausses et les manipulations

par Eric Kaminski
jeudi 23 avril 2009

J’ai rapidement esquissé dans un précédent article (cf. Durban II : ne pas choisir entre la préservation de l’ONU et les défense des droits de l’Homme sur mon blog) le contexte dans lequel s’inscrit la Conférence d’examen de Durban. Je souhaiterais revenir, après l’adoption de la déclaration finale, sur les réactions que l’on a pu entendre suite au discours du Président Iranien Mahmoud Ahmadinejad lundi 20 avril.

Il est difficile d’être surpris par les propos certes inacceptables, mais habituels dans la bouche de ce populiste en campagne électorale dans son pays. La réaction des diplomates qui ont quitté la salle pendant son discours lundi 20 avril était la bonne. Ce type de geste est très fort pendant une réunion internationale, dont les codes sont évidemment différents - essentiellement symboliques - de ceux de la vie “réelle”. En revanche, le choix qu’ont fait quelques rares pays (Etats-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Pologne, Nouvelle-Zélande, Australie, puis République tchèque…) de ne pas participer à la conférence est celui de la lâcheté et de la capitulation devant des lobbies aux intérêts autres que la défense des droits de l’Homme. Il est plus facile de convaincre l’opinion publique que les propos du Président iranien sont inacceptables que d’expliquer l’intérêt des travaux des Nations unies à long terme.

Il est intéressant d’entendre Mme Malka Marcovich intervenir sur France Culture mardi 21 avril pour critiquer ce qu’elle appelle les « Nations désunies » et insister sur le fait que, depuis une dizaine d’années, l’ONU tend à revenir sur des acquis en matière de droits de l’Homme. Son raisonnement est partiel, car elle oublie que pendant toute la guerre froide, l’ONU a été divisée entre blocs de l’Est et de l’Ouest et le groupe des non-alignés. Presque vingt années ont été nécessaires pour adopter, après la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, juridiquement non-contraignante, les Pactes internationaux de 1966. Combien de batailles au sein de l’ONU pendant cette période pour arriver à ce résultat ?

Personne ne peut nier que la fin de la guerre froide a libéré de nouvelles forces qui jouent contre les droits de l’Homme. Des Etats peu respectueux de ceux-ci accusent régulièrement les pays développés de lutter insuffisamment contre le racisme ou l’intolérance religieuse - critique par ailleurs souvent fondée. Cette tactique vise principalement à détourner l’attention, voire justifier, des violations commises sur leur territoire, souvent pour préserver des régimes autoritaires. Personne n’est ou ne doit être dupe.

Mais étrangement, au lieu de tirer comme conclusion de cette situation qu’il est plus que jamais nécessaire de rester engagé dans les instances internationales pour défendre les droits de l’Homme, Malka Marcovich préconise que les pays plus respectueux des droits de l’Homme abandonnent la lutte pacifique. Cette attitude, tout aussi populiste que le discours d’Ahmadinejad, est soit fondée sur la mauvaise foi, soit sur une méconnaissance patente du miracle onusien qui permet de faire asseoir autour d’une table des pays aux intérêts les plus contradictoires. En effet, un rôle essentiel de l’ONU est d’institutionnaliser les conflits afin d’éviter que ceux-ci ne se transforment en lutte armée. Ce sont ces dialogues, critiques et exigents, qui permettent de construire, progressivement, une véritable société internationale respectueuse de la dignité humaine.

Il faut bien dérouler le fil de la pensée de ceux qui prônent le refus du dialogue pour en comprendre la logique profonde. Interrogés sur la manière dont il serait possible de continuer de faire progresser les droits de l’Homme sans l’ONU, ils restent souvent sans réponse. L’alternative est simple, mais si difficile à avouer : la guerre - comme l’ont défendu les néo-conservateurs - ou le renoncement pur et simple à la défense des droits fondamentaux. Ces deux voies sont fondées sur la même vision, dans la mesure où le repli sur soi a souvent été, dans l’Histoire, le signe annonciateur de catastrophes.

En ce qui concerne plus précisément la conférence d’examen de Durban, force est de constater que les pays qui ont fait le choix de l’engagement ont réussi à faire valoir leur point de vue. Les propos du président iranien n’auront eu aucun impact sur la déclaration finale. Au cours des négociations, certains Etats, principalement des membres de l’Organisation de la Conférence islamique, ont tenté d’imposer une critique unilatérale d’Israël, le concept de « diffamation des religions » (contre la liberté d’expression) et la reconnaissance d’injustices historiques (esclavage…). Tout cela était inacceptable et n’a pas été accepté, grâce au courage d’Etats et d’ONG qui ont refusé la fuite face à leurs responsabilités.

Ce résultat démontre clairement pourquoi il est important que la France reste engagée dans les travaux de l’ONU et qu’elle continue à promouvoir les droits de l’Homme. Le défi réside comme toujours dans l’équilibre à trouver entre des exigences apparemment contradictoires : le dialogue et la défense des droits fondamentaux. La mise en oeuvre de la déclaration finale par les Etats n’échappera pas non plus à cette réalité. Rappelons que la France attend depuis 2001 son plan d’action national de lutte contre le racisme (cf. article : Refonder le politique sur les droits de l’Homme sur le blog http://ekaminski.blog.lemonde.fr/) !

Pour aller plus loin :

- la déclaration finale (texte intégral) : http://www.ohchr.org/Documents/Press/Durban_Review_Conference_outcome_document.pdf

- le site officiel de la conférence : http://www.un.org/durbanreview2009/


Lire l'article complet, et les commentaires