La Cour de Strasbourg en danger. Plus de dernière chance ?
par A. Spohr
jeudi 24 novembre 2011
« J’irai jusqu’à Strasbourg s’il le faut, mais on me rendra justice », on entend souvent ces propos dans la bouche de justiciables qui craignent que leur cause ne soit pas entendue dans la succession pyramidale de tous les recours possibles dans les juridictions de leur pays. Par Strasbourg, il faut entendre ici « la Cour Européenne des Droits de l’Homme » (CEDH).
Organe prestigieux du Conseil de l’Europe (COE), cette juridiction étend sa compétence sur les 47 pays membres dont chacun désigne un juge et un seul quelle que soit son importance démographique
Mais voici que pour indigence de moyens et surabondance de plaintes, son fonctionnement est, sinon fortement compromis, du moins gravement perturbé jusqu’à craindre la paralysie. Victime de son succès ! Alors plus d'ultime recours ? Ou recours de plus en plus difficile ?
Dans son rapport qu’elle présentera, en janvier, à l’Assemblée Parlementaire du Conseil (APCE) une députée néerlandaise, Mme Bemelmans-Videc ne prend pas de gants : « la situation actuelle est simplement intenable, pour ne pas dire suicidaire ».
Un budget pauvre en recettes.
58,96 millions d’euros cette année pour salarier 630 agents et faire fonctionner l’Institution, fleuron de l’Europe des 47. Comparaison affligeante : le TPI de La Haye, organe de l’ONU, dispose d’un budget de près du double pour quelques agents de plus (103 millions pour 683 agents). Plus grave encore, la Cour de Justice de l’Union Européenne à Luxembourg, dispose de 4 fois plus de moyens financiers. Très étrange aussi, la même UE dépense davantage, rien que pour ses publications. Ce sont donc les pays les plus « influents » qui assurent la plus grande part : la France qui verse 25 millions au COE fait partie des cinq gros contributeurs. Rappelons que le budget de l’UE est de 142 milliards d’euros contre 340 millions pour le COE (217 millions pour la contribution des Etats). Oui, on ne joue pas dans la même catégorie mais les missions sont différentes bien que complémentaires.
Une totale inadéquation entre contribution et recours.
« Des oursins dans une poche et la main tendue pour remplir l’autre » commente un haut fonctionnaire inquiet. La formule est amusante mais inappropriée, puisque les Etats pingres sont aussi ceux qui sont le plus souvent mis en cause par leurs justiciables. En effet, depuis l’extension vers les pays de l’Est, il y a une décennie environ, les plaintes de particuliers contre ces pays de démocratie récente et inachevée s’entassent alors que les contributions financières sont minimes. « Absurde, injuste, scandaleux ! » pense tout haut Mme Bemelmans-Videc. Quinze pays membres ne mettent même pas au pot commun, ce que coûte le juge qu’ils ont délégué à la Cour, soit 330 000 euros par an pour un salaire net mensuel de 14000 euros. Eh oui !
A Luxembourg, en 2010, on a traité 1230 affaires et on en compte 2284 en attente.
A Strasbourg, 41 183 décisions ont été rendues et 139 650 requêtes sont pendantes. Une situation intenable en effet. Alors que faire ?
Evidemment, comme le suggère la députée néerlandaise, il faut augmenter les recettes.
Mais surtout : « la responsabilité première incombe aux juridictions et aux autorités nationales ; la Cour de Strasbourg ne devant jouer qu’un rôle secondaire. Cette obligation est consacrée par le principe de subsidiarité ». En clair, faites une meilleure justice et les plaintes seront moins nombreuses. Cela concerne particulièrement six Etats qui comptabilisent 70% des requêtes déposées (Italie, Pologne, Roumanie, Fédération de Russie et Turquie).
Osera-t-on suggérer à Mme Bemelmans-Videc de proposer une possibilité d’ « amélioration » supplémentaire qui consisterait à inclure en plus de la contribution fixe une participation variable en fonction des dépôts de plaintes à traiter.
Que l’Institution continue de fonctionner dans de bonnes conditions est dans l’intérêt de tous les justiciables même si, du côté français, on n’en abuse pas. De plus, les juridictions nationales prennent sans doute en compte cette possibilté de voir leurs jugements infirmés.
Antoine Spohr. ( article paru sur Médiapart)