La démocratie, c’est la volonté du peuple : Vladimir Poutine interviewé par « Bild »

par roman_garev
mardi 12 janvier 2016

Le 5 janvier 2016 à Sotchi le Président Poutine a été interviewé par deux journalistes de « Bild ». Le sténogramme complet de cette interview en russe est disponible ici :

http://aftershock.news/?q=node/362965

Voici la traduction sélective de ce sténogramme (sont omis des morceaux concernant surtout l’Allemagne).

Question : Monsieur le Président, nous venons de célébrer le 25ème anniversaire de l’achèvement de la guerre froide. Durant l’an passé on a observé une multitude de guerres et de crises, ce qui n’avait pas eu lieu lors de plusieurs années précédentes. Qu’avons-nous fait à tort ?

Réponse : Vous avez commencé par la question clef. Nous avons tout fait à tort, dès nos premiers pas, nous n’avons pas réparé le schisme de l’Europe. Il y a 25 ans le mur de Berlin est tombé, mais le schisme de l’Europe n’a pas été réparé, tout simplement des murs invisibles ont été déplacés vers l’est. C’est ce qui a conditionné dans la suite des reproches mutuels, l’incompréhension et des crises.

[Par la suite Poutine parle de l’extension de l’OTAN vers l’est qui contredisait les promesses des hommes politiques de l’Occident de l’époque et du déploiement du système de Défense antimissile en Europe, prétendument contre des missiles iraniens.]

Nous avons protesté activement contre ce qui se passait en Irak, en Libye, dans quelques autres pays. Nous disions : il ne faut pas le faire, il ne faut pas s’y mêler et commettre des erreurs. Mais personne ne nous écoutait ! Par contre, on estimait que nous occupions une position anti-occidentale, une position hostile à l’Occident. Et maintenant, quand vous avez des centaines de milliers, un million déjà, de réfugiés, qu’en pensez-vous, était-ce une position anti- ou pro-occidentale ?

Q : Si j’ai bien compris, vous venez d’énumérer des fautes commises par l’Occident envers votre pays. À votre avis, est-ce que la Russie de sa part à elle a commis des fautes durant ces 25 ans ?

R : Oui, elle les a commises. Nous n’avions pas manifesté nos intérêts nationaux, ce qu’il fallait faire dès le début. Peut-être dans ce cas le monde serait plus équilibré.

[…]

Q : À ce que j’ai compris de votre discours, à l’époque l’OTAN a dû refuser aux états de l’Europe de l’Est leur adhésion. À votre avis, est-ce que l’OTAN aurait pu l’endurer ?

R : Certainement.

Q : Mais c’est stipulé dans le Statut de l’OTAN !

R : Mais qui compose un statut ? Des gens. Est-ce que ce statut stipule que l’OTAN soit obligé d’accueillir un tout venant ? Pas du tout. Il faut des critères, des conditions pour ça. Si on avait la volonté politique, on aurait pu faire tout ce qu’on aurait voulu. Mais on ne l’a pas voulu. On voulait régner. On s’est carré dans ce trône. Eh bien, après ? Maintenant nous discutons des crises.

Q : Une théorie présume qu’il y ait deux Poutines : le premier, le jeune, d’avant 2007, qui avait déclaré sa solidarité avec les étasuniens, qui était ami de Schröder, et puis en 2007 un autre Poutine a apparu. En 2000 vous avez dit qu’on ne devait jamais avoir de confrontation en Europe, qu’il fallait faire tout pour la surmonter. Et maintenant cette confrontation a lieu. Je vous pose une question tout à fait directe : quand aurons-nous le Poutine d’autrefois ?

R : Je n’ai jamais changé. Primo, je me sens jeune à présent. J’étais ami de Schröder, je reste ami de Schröder. Rien n’a changé. Quant à mon attitude envers des problèmes tels que la lutte contre le terrorisme, elle aussi n’a pas changé. Oui, à l’époque, le 11 septembre, j’ai été le premier à téléphoner au Président Bush et à lui exprimer ma solidarité. Et nous étions prêts à faire tout pour lutter ensemble contre le terrorisme. Maintenant, après les actes terroristes à Paris, j’ai parlé, et puis j'ai rencontré avec le Président de la France. Si à l’époque on avait écouté Schröder, si on avait écouté Chirac, si on m’avait écouté moi, on n’aurait pas eu, peut-être, ces actes terroristes à Paris, car un tel rejaillissement de terrorisme n'aurait pas eu lieu sur les territoires de l’Irak, de la Libye et d’autres pays du Moyen Orient. Nous sommes devant des menaces communes, nous voulons, pas moins que nous le voulions autrefois, réunir les efforts de tous les états de l’Europe et du monde entier dans la lutte contre ces menaces. Ce n’est pas que le terrorisme, c’est la criminalité, le trafic des gens, la lutte contre la pollution de l’environnement, bref, on a beaucoup de problèmes communs. Mais cela ne signifie guère que nous soyons obligés chaque fois de nous ranger à l’avis de tous, soit-ce sur ces problèmes-là ou sur d’autres. Et si notre position à nous ne plaît pas à quiconque, ce n’est pas le meilleur moyen de nous déclarer chaque fois ennemis. Peut-être, parfois il serait utile de nous écouter, de modifier son interprétation, d’approuver quelques-unes de nos approches et de chercher des décisions communes ?

Q : La lutte contre le terrorisme islamiste devenu si dangereux pourrait unir de nouveau la Russe et l’Occident, mais le problème de la Crimée émerge. Est-ce que vraiment la Crimée vaut le risque de faire échouer la collaboration avec l’Occident ?

R : Qu’entendez-vous par le mot « Crimée » ?

Q : La modification des frontières.

R : Et moi j’entends par ce mot les gens, deux millions et demi de gens. C’étaient les gens qui ont été angoissés, sinon effrayés par le coup d’État en Ukraine. Et après ce coup d’État à Kiev — et ce n’était rien autre qu’un coup d’État, on a beau l’enjoliver —, des forces extrêmement nationalistes qui étaient en train de s’emparer du pouvoir et qui, en grande partie, ont accédé au pouvoir, se sont mis à menacer les gens ouvertement. Menacer les gens russes et russophones habitant l’Ukraine et en particulier la Crimée, car là-bas la concentration des Russes et des russophones est plus grande que dans toutes les autres parties de l’Ukraine. Qu’avons-nous fait ? Nous n’avons pas fait la guerre, nous n’avons occupé personne, nous n’avons tiré nulle part, pas une seule personne n’a péri au cours des évènements en Crimée. Pas une seule ! Nous avons recouru aux forces armées rien que pour retenir plus de vingt mille militaires de l’Ukraine d’intervenir dans la libre expression de la volonté d’habitants de la Crimée. Les gens sont venus au référendum et ont voté. Ils ont voulu adhérer à la Russie.

Q : Qu’est-ce que c’est que la démocratie ?

R : La démocratie, c’est la volonté du peuple. Les gens ont voulu vivre de la manière qu’ils ont voté. Pour moi ce n’est pas le territoire et les frontières qui importent, mais le sort des gens.

Q : Mais les frontières font une partie intégrante de l’ordre européen. Vous-même vous avez dit que c’était très important, y compris pour le cas d’extension de l’OTAN.

R : Il est toujours important de respecter le droit international. Dans le cas de la Crimée le droit international n’est pas violé. Selon le Statut de l’ONU chaque peuple a le droit de disposer de lui-même. Dans le cas du Kosovo le Tribunal international de l’ONU a stipulé que dans la question de souveraineté l’opinion du pouvoir central pouvait ne pas être prise en considération. Le Kosovo a déclaré son indépendance, et le monde entier l’a acceptée, et savez-vous d’après quel procédé ?

Q : Suite à la guerre ?

R : Non, par la décision du parlement. Il se sont même passé de référendum. Qu’est-ce qui s’est passé en Crimée ? Primo, le parlement criméen a été élu en 2010, quand la Crimée faisait partie intégrante de l’Ukraine. C’est très important, ce que je viens de dire. Donc ces députés, élus à l’époque de la Crimée ukrainienne, ont voté pour l’indépendance et ont fixé le référendum. Par la suite les citoyens ont voté lors de ce référendum pour l’adhésion à la Russie. Maintenant c’est à moi de vous demander : si les Kosovars au Kosovo ont le droit de disposer d’eux-mêmes, pourquoi les habitants de la Crimée seraient privés de ce même droit ? Si nous voulons que les relations entre la Russie et nos amis voisins en Europe et dans le monde entier aient l’aspect positif et constructif, il faut observer pour le moins une seule condition, à savoir se respecter l’un l’autre, respecter les intérêts de l’un et de l’autre et s’en tenir aux règles identiques, surtout ne pas les changer chaque fois suivant le profit à tirer par quiconque. Vous m’avez demandé, si j’étais un ami ou non. Les relations entre les États, on les construit d’une manière un peu différente, pas exactement comme les relations entre les gens. Je ne suis ni ami, ni futur épouse ou époux, je suis le Président de la Fédération de Russie. 146 millions de gens ont leurs propres intérêts, et je suis obligé de les faire valoir. Nous sommes prêts à le faire sans confrontation, à transiger, mais, bien sûr, à la base du droit international conçu par tous d’une manière identique.

[Par la suite on parle de sanctions européennes, de l’économie russe, des accords du Minsk.] 


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