La faim de la crise

par sisyphe
lundi 23 novembre 2009

La semaine dernière s’est tenu, du 16 au 18 Novembre, dans un quasi silence médiatique ET total désintérêt politique (les dirigeants du G8 en étaient tous absents, sauf Berlusconi, qui avait joint l’utile à l’agréable, puisque sa venue à Rome lui a permis de faire remettre un procès à son encontre qui s’ouvrait le même jour à Milan ; les autres avaient des choses vachement plus importantes à faire ; Obama chez les chinks, pour rassurer les créanciers, Sarko recevait le fantoche chef d’état de l’Irak, les autres avaient piscine...), s’est tenu donc, à Rome, organisé par la FAO (Food and Agriculture Organisation), dépendant de l’ONU, le « sommet » (pas besoin de piolets pour celui-là), contre la faim .

Où l’on a confirmé que 1,2 milliards d’êtres humains souffraient de la faim (augmentation de 18% en 1 an ; un chiffre à faire rêver les banquiers), qu’un enfant en mourait toutes les 6 secondes (ben ouais, c’est rapide, un enfant à mourir), et que les engagements : financiers (20 milliards d’aides promises) et temporels (faire reculer la faim de moitié d’ici 2020) pris l’année dernière par les pays du G20, étaient totalement passés à la trappe ; plus de date, plus d’engagement financier ; et les 20 milliards ont disparu dans les caisses des banques.

Du coup, les "ambitions" (curieux mot pour la circonstance) de réduire la faim dans le monde pour l’avenir, ont été largement revues à la baisse (pas de quoi investir un kopek là dessus)

On a appris, aussi, que, régler ces problèmes de faim dans le monde (en relançant, entre autres les agricultures vivrières éradiquées par les subventions agricoles des pays riches, et la spéculation sur les produits alimentaires), nécessiterait une somme de 44 milliards de dollars par an :

D’après l’organisation Action contre la Faim, entre 4 et 9 milliards de dollars par an permettraient de sauver les dix-neuf millions d’enfants de moins de cinq ans qui souffrent de malnutrition sévère. Au-delà de l’aide d’urgence, les pays où règne la famine auraient besoin d’investissements pour développer leur production agricole : le directeur général de la FAO estime que la part des pays développés devrait se monter à 44 milliards de dollars.

Oui ; 44 petits milliards de dollars, introuvables, quand les états ont renfloué les banques, responsables de la crise de pour se recaver dans leur petit casino planétaire ; et que, ainsi recavées, le capitalisme enfin moralisé, les affaires peuvent reprendre. Selon le Wall Street Journal, les 23 plus grands établissements financiers américains verseront, cette année, 140 milliards de dollars à leurs employés cette année. Un record absolu.

En voilà, au moins, qui ne mourront pas de la faim. 

Une somme que l’on peut comparer également à d’autres chiffres :

"L’élimination de la faim de la surface de la terre nécessite 44 milliards de dollars par an d’aide publique au développement qu’il faudra investir dans les infrastructures, les technologies et les intrants modernes. Cette somme est modeste quand on sait que les subventions aux producteurs agricoles dans les pays de l’OCDE ont totalisé 365 milliards de dollars en 2007 et que les dépenses pour les armements dans le monde ont atteint 1 340 milliards de dollars la même année”.

En réalité, sauf quand des émeutes, comme en 2008, viennent leur rappeler que les affamés sont nombreux et peuvent peut-être devenir un facteur de déstabilisation pour l’ordre mondial, la faim dans le monde n’est pas un problème pour les gouvernants ni les possédants des pays riches. C’est pourtant leur système économique qui, par le pillage des richesses mondiales, est responsable de la misère dans les pays pauvres. Ce sont leurs multinationales qui exploitent les matières premières de ces pays où, après le pétrole, le bois, les métaux, etc. elles s’emparent aujourd’hui de plus en plus des meilleures terres. C’est la crise du système capitaliste qui a enfoncé encore plus profondément dans la pauvreté et jusqu’à la famine, une part croissante de la population mondiale dans des pays où, la plupart du temps, on ne manque pas d’aliments mais de l’argent nécessaire pour les acheter.

Sans parler, évidemment, des mesures absolument urgentes, nécessaires, vitales, pour que ces 44 milliards ne soient pas qu’un petit sparadrap sur une fracture ouverte, mesures qui ne seront jamais prises et même pas envisagées, de mettre LES PRODUITS ALIMENTAIRES HORS DU CHAMP SPECULATIF.

Mais... pas de souci ; le Parlement Européen s’en "préoccupe" !

... mais.... comme les "promesses" de l’an dernier n’ont pas été respectées, cette fois-ci, pas de lézard, les dirigeants des 20 pays les plus riches, n’ont pris aucun engagement

Ben quoi ? Comme ça, l’année prochaine, quand on sera passé à 1 milliard et demi, on ne pourra pas leur reprocher de ne pas avoir tenu leurs promesses... 

Ben oui, parce que, mon bon monsieur, étant donné que le pétrole se barre en couille, que l’immobilier ne trouve plus autant preneur, il faut pas déconner non plus ; avec quoi les fond de pension et autres spéculateurs vont gagner de l’argent, alors ?

Les denrées se font rares ; donc leur prix augmente, donc, c’est le moment ou jamais de se faire du fric avec, non ?

C’est pas lumineux, la loi du marché ?

On trouvera, ici, une interview, parue dans "Le Monde", du 16 Novembre, de Olivier de Schutter, rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation depuis 2008 :

extraits :

La situation s’est-elle améliorée depuis les "émeutes de la faim" de 2008 ?

Non. Toutes les conditions pour une nouvelle crise alimentaire dans un ou deux ans sont réunies. La question n’est pas de savoir si elle aura lieu, mais quand.

Les causes structurelles de la crise alimentaire de 2008 – une brutale hausse des prix liée à des facteurs conjoncturels puis accélérée par la spéculation – restent en place. Il suffit d’une étincelle pour que la hausse des prix redémarre. On n’a pas tiré les leçons de la crise passée.

Etes-vous favorable aux plantations pour compenser les émissions de gaz carbonique ?

Parmi les nombreuses raisons qui poussent à la spéculation sur la terre, il y a de grands projets de plantations qui sont liés à l’appât que représente le marché des droits à polluer.

Je pense que c’est une solution trop commode, parce qu’elle nous dispense de réfléchir aux moyens de réduire notre consommation d’énergie.

 
Alors, on voit d’ici venir débouler tous les eugénistes de masse, qui vont venir nous parler de surpopulation comme cause de la faim, ce qui est, évidemment, un mensonge absolu ; la terre, et sa production agricole, a largement de quoi nourrir ses habitants actuels (comme l’a déjà démontré Jean Ziegler) , et également les 9 milliards prévus à l’horizon 2050  :

Aujourd’hui, il y a mathématiquement assez de productions alimentaires pour nourrir les quelque 6,5 millards d’êtres humains. La question fondamentale réside dans l’accès des populations pauvres à l’alimentation. La FAO répète régulièrement que la planète est tout à fait capable d’augmenter la production alimentaire de 70% pour nourrir les 9 milliards de personnes en 2050. Mais encore faudra-t-il que ces 9 milliards d’individus aient un emploi et un pouvoir d’achat suffisant pour accéder aux denrées alimentaires.
 

Allez ; c’est promis, l’année prochaine, on fait un beau ramdam autour de la "journée de la faim", où on mangera léger (en même temps, c’est bon pour le régime) ; entre la journée des grands-mères, et Halloween ; s’agirait pas non plus de saper le moral des consommateurs, hein...

T’es pas content ? Tu veux ma main du marché dans ta gueule ?
(bien plus invisible que la main d’Henry, la main du marché)

Allez, bon appétit !!

Et vive le marché libre !
 

- le rapport de la FAO 2009

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