La faune politique Tunisienne à la veille des élections

par Le Carthaginois
mercredi 1er octobre 2014

La Tunisie vie actuellement une phase importante de ce qu'on appelle transition démocratique. Le 26 Octobre auront lieu les élections parlementaires qui seront suivis, un mois après, par les élections Présidentielles.

Une candidate islamiste et une candidate communiste aux législatives. En blanc, l'islamiste..

 

Le régime politique qui a été promu par la constitution est un régime parlementaire où le Président de la République aura, en pratique, peu de pouvoirs. Toutefois, le régime électoral choisi favorise un parlement où toutes les forces seront représentés de sorte qu'aucun parti de semble être en mesure de diriger le pays sans multiples coalitions.

La campagne électorale a démarré sous le signe de la démagogie. La lutte contre le terrorisme et la relance économique sont les deux thèmes majeurs avec, désormais en arrière plan , un fort clivage autour de l'islamisme politique. Economiquement, La Tunisie est dans une sorte de stand by économique où les entrepreneurs attendent une clarification du paysage politique avant de reprendre les investissements.

En termes de sondages politiques, la Tunisie vit sous Black Out depuis le 6 Juillet. Les sondages ont été interdits avant même que les partis et les candidats aux présidentielles n'aient déposés leur listes et leur candidatures. L'intention d'étouffer dans l'oeuf toute force émergente par le pouvoir est évidente. Il est dès lors très difficile d'évaluer les tendances et les progrès des partis le long de la campagne.

Avant le Black Out, les deux partis majeurs étaient, de loin, le parti islamiste, Ennahdha et le parti Nidaa Tounes, anti Ennahdha. A eux deux, ils représentaient environ 50 à 60 % de l'électorat qui a une intention de vote, sachant que ceux qui ont intention de vote ne représentent que 50% de l'électorat réel. Le reste des voix est éparpillé sur une nébuleuse de partis qui espèrent tous grappiller des sièges au parlement grâce au système électoral qui favorises les petites listes.

Probablement pour des raisons culturelles et historiques, la campagne présidentielle avec ses stars est entrain de phagocyter la campagne législative. 27 Candidats seront sur la ligne de départ. Il faut dire que les programmes électoraux sont tous quasi identiques, de la droite à la gauche en passant par les partis islamistes et même , probablement, le parti communiste.

Cette bizarrerie politique est en grande parti due au fait que le contexte révolutionnaire a favorisé, au cours de ces trois dernières années, le retour de la notion d'Etat providence et au fait que les "néo-libéraux" islamistes ont appliqué une politique très à gauche avec augmentation des salaires, recrutement massif de fonctionnaires, relance par la consommation, endettement intérieur et extérieur. Les indicateurs économiques sont quasiment tous au rouge, avec une inflation importante et une dévaluation relativement lente mais ferme de la monnaie.

Ainsi, la situation économique semble imposer à tous un virement à droite de la politique économique du pays. Cette tendance est confortée par une entrée massive des hommes d'affaires dans la vie politique. Plusieurs sont entrés comme têtes de liste dans les grands partis. Le Patronat Tunisien a même émis une "fatwa" à ses membres en ce sens. Même le chef du parti communiste a appelé à être plus clément avec les patrons et fait l'éloge de la bourgeaoisie entreprenante..

 

Les 27 candidats à l'élection Présidentielles.

 

Les partis Islamistes.

Mis à part quelques partis sans intérêt, les islamistes sont relativement unis autour du parti principal Ennahdha qui a été au pouvoir grâce à une coalition avec un parti de gauche et un parti nationaliste arabe.

Au cours des trois dernières années, depuis les élections, le pays a été très difficile à manœuvrer. Trois premières ministres ont été consommés. Les deux premiers étaient islamistes alors que le troisième était "indépendant". Il faut dire que devant la colère des tunisiens, le grand cheikh des islamistes avait malicieusement déclaré sa volonté de laisser filer le gouvernement mais de garder le pouvoir parlementaire. Beaucoup considéraient le troisième premier ministre comme islamiste "indépendant". Son gouvernement était "consensuel", ce qui revenait à dire que le parti islamiste a donné sa bénédiction à tout ce qui se faisait pendant sa "retraite" politique de "recueillement spirituel" en vue de préparer les élections.

Il semble d'ailleurs que le mot indépendant n'ait plus le sens commun auquel on est habitué. Ainsi, non seulement des "indépendants" se sont retrouvés en tête de liste du parti islamiste mais aussi une tête de liste du Parti Ennahdha, dans la deuxième région de Tunisie (Sfax) , est candidat indépendant aux présidentielles contre l'avis du Cheikh et du Parti.

La Parti Islamiste semble avoir beaucoup changé. En tut cas, c'est qu'il désire afficher.. Ainsi, les islamistes traditionnels hauts en couleurs ont été écartés (Messieurs Chourou et Ellouze notamment) pour laisser place, du moins pour les élections, à des visages plus modérés et à des hommes d'affaires. Plus de 60% des députés actuels du parti Islamiste ont été écartés des listes électorales. Le parti islamiste se réclame désormais d'une filiation spirituelle de l'AKP Turque au point de plagier sans aucune honte le clip de campagne d'Erdogan. 

Les islamistes n'ont officiellement aucun candidat aux présidentielles. Ca ne les intéresses pas. D'ailleurs l'homme fort du parti n'est candidat à rien sauf, peut être, a un poste de grand cheikh dans la confrérie internationale des grands savants des oulémas Sunnites.Le Grand Cheikh est un très fin politicien avec un expérience datant de l'ère Bourguibienne.

Reste que le Parti Islamiste semble le plus structuré, avec les militants les plus dociles, les plus mobilisés et très probablement les mieux rémunérés, parfois comme nouveaux fonctionnaires de l'Etat. Beaucoup de ses "indépendants" auront leur mot à dire dans l'organisation des élections.

La chariaa semble être devenue un mot tabou qu'aucun islamiste d'Ennahdha n'ose plus prononcer. Les électeurs Nahdhaouis sont acquis naturellement à la cause et les islamistes cherchent à conquérir de nouveaux marchés.

 

Le Parti Nidaa Tounis.

Côté sondages, c'est le premier parti Tunisien. Autre grande bizarrerie Tunisienne, ce parti n'a aucun élu dans l'assemblée actuelle puisqu'il a été créé après les précédentes élections. Il dispose néanmoins actuellement de 6 députés suite à des ralliements. Il faut dire d'ailleurs que les changements de partis ont été une pratique courante et la composition actuelle du parlement n'a presque plus grand chose avec celle du lendemain des élections.

L'homme fort du parti est Mr Beji Caied Essebsi. C'est l'ancien Premier ministre d'avant les élections précédentes. Malgré ses 88 ans, le vieux est encore assez vert. Pour la majorité de ses partisans, il incarne le successeur de Bourguiba, reconnu comme père de la Tunisie moderne et héros de l'indépendance. Monsieur Essebsi est un favori pour les élections présidentielles.

Le thème majeur de la campagne de Nidaa est donc le retour aux fondamentaux du Bourguibisme et surtout l'éviction du pouvoir du parti Ennahdha. On accuse même le Parti Nidaa de n'être qu'"Anti-nahdhaoui" et de n'avoir pratiquement aucun autre thème de campagne. D'ailleurs, le Parti fait campagne sur le thème du "vote utile" pour enlever le pouvoir des mains des islamistes. Ce qui ne plait pas beaucoup aux autres partis anti-islamistes.

Sur le terrain, ce parti a su rallier à lui une grande partie des Tunisiens effrayés par les islamistes. Il dispose aussi de l'adhésion d'un grand nombre d'hommes d'affaires, de cadres, et d'ex Hauts Commis de l'Etat. Nidaa appelle a restaurer "l'honneur" et "la puissance de l'Etat" avec en arrière plan capitaliste relativement discret. Au fond, ce parti rappelle les partis "républicains" garants de l'ordre établi et de la préservation de l'essentiel en France dans le passé.

Ce Parti, bien qu'aisé financièrement, semble nettement moins riche que le parti islamiste.

 

Le Parti Communiste.

Malgré les classiques militants indéfectibles, le parti communiste Tunisien semble s'embourgeoiser. Il faut dire que le principal syndicat du pays, l'UGTT, l'une des rares structures organisées au lendemain des élections, a vu son aura s'étendre sur tout le pays et fait de l'ombre au parti communiste sur le plan de la défense du droit du travailleur. Le syndicaliste en chef du pays aurait même été effleuré par l'idée de se porter candidat aux présidentielles..

Avec deux grands martyrs, Messieurs Brahmi et Belaid, deux députés assassinées en cours d'exercice après la révolution, le parti communiste, outre les fondamentaux inévitables, fait surtout campagne sur le thème des authentiques résistants à l'ancienne dictature et, évidemment, à l'ennemi idéologique de toujours, les islamistes. Le Parti communiste était évalué à 8% des intentions de vote exprimées avant le Black Out des sondages. 

 

La Gauche Tunisienne

Elle aussi, comme pour les communistes, n'arrive pas à faire le deuil de BEN ALI et du combat d'opposition à la dictature. On est toujours dans une logique d'opposition plus que de proposition avec un combat aussi bien contre les islamistes que l'ancienne nomenklatura de BEN ALI. Les thèmes de gauche, comme le service public, la santé publique et autres thèmes chéris de la gauche sont quasiment en veilleuse depuis que les caisses ont été vidées par les islamistes. Doublés à gauche par les islamistes, y compris dans les œuvres sociales de charité, la gauche Tunisienne semble totalement désorientée. Elle est dans l'incapacité budgétaire d'appeler à une relance par la consommation ou à un renforcement des services publics. La gauche en est donc réduite à prôner plus de libéralisme.

D'autre part, la Gauche Tunisienne souffre de ce qu'elle considère être la trahison du parti Takattol qui s'était rallié au parti islamiste pour le pouvoir.

Disséminé sur des moyens Partis (Jomhouri , Massar, etc.) et plusieurs petits partis, la gauche Tunisienne est très mal en point alors qu'au lendemain de la révolution, elle avait le vent en poupe et aurait pu être la première force politique du pays. Elle ne s'est pas rétablie de la grosse défaite que lui a imposée le combat pour une laïcité que le peuple Tunisien voit d'un très mauvais oeil (les islamistes ont réussi à associer ce terme à de l'hérésie). La Gauche Tunisienne est redevenue attachée aux valeurs "musulmanes" non sans réussir à imposer ses idées de séparation de la religion et de la politique à la majorité des Tunisiens, mais dans un cadre toujours musulman.

 

Les partis Libéraux

C'est incontestablement les partis les plus jeunes avec le plus de jeunes. Il faut dire qu'à la fin de l'ère Ben Ali, une majorité des jeunes Tunisiens aspiraient à monter leur propre affaire pour leur avenir. Le discours libéral a son public en Tunisie mais ne peut se targuer d'avoir été des résistants à la dictature avant la révolution..

Les deux principaux partis libéraux sont Afek et l'UPL. Ils ont les caractéristiques communes d'être dirigés par de jeunes leaders revenus de l'étranger avec un staff tout aussi jeune. Avec les communistes, les partis de gauches, ces deux partis se targuent aussi, grâce au Black out des sondages, d'être le seul authentique troisième parti du pays.

Afek est le parti le plus étoffé en jeunes cadres, médecins etc. Il est victime de l'appel au vote utile de Nidaa contre les islamistes et souffre d'une image élitiste. C'est probablement le parti qui ressembles le plus à ce qu'il dit être avec une idéologie libérale de plus en plus claire et de plus en plus mûre.

L'UPL est en revanche comparable à un parti Berlusconien. Le Chef du Parti, Slim Riahi, est un Tunisien de 42 ans, parti de rien mais enrichi en Lybie sous l'ère Kaddafi, Désormais Président d'un Club prestigieux de foot et heureux acquéreur d'une chaine de télévision, Mr Riahi n'a pas d'affinités connues pour le bunga bunga, se réclames d'une culture arabo musulmane mais semble surtout avoir une revanche familiale à prendre au nom du père forcé à l'exil politique.

L'électorat UPL est nettement plus populaire que celui d'Afek et manque dramatiquement de cadres. Mr Riahi était totalement inconnu en Tunisie il y a trois ans, n'a même pas de business en Tunisie et est victime d'une image d'intrus dans la scène politique. Les uns le traitent de grand patriote qui s'est mis au service du pays et les autres de grand filou qui ne cherche qu'à se faire de l'argent sur le dos des Tunisiens.

 

Les partis de l'ex parti de Ben Ali.

Ces trois dernières années, gadin économique obliges, la côte de Ben Ali comme capitaine de l'économie s'est nettement redressée. Ben Ali ne gouvernait pas seul et ses partisans étaient nombreux. Les ex cadres de Ben Ali, en accusant la famille de Ben Ali de tous les maux, se présentent comme les plus aptes à diriger le pays et comme ceux qui en connaissent le mieux les rouages.

Divisés en trois mouvements, on accuse Ennahdha de les piloter pour affaiblir le parti Nidaa qui a recueilli la majorité des Ben Alistes pas trop impliqués dans le Ben Alisme. Reste que les destouriens ne sont pas à sous estimer et sont assez populaires dans des les régions qui n'ont pas trop souffert de la politique régionaliste de Ben Ali et de Bourguiba. Nombreux sont ceux qui veulent avoir leur revanche. C'est les plus experts en politique politicienne et semblent vouloir négocier leur poids politiques personnels avec les futurs vainqueurs.

 

Le parti du Président Actuel.

Troisième membre de l'actuelle Troika au pouvoir, ce parti est à classer dans le nationalisme arabe. Pratiquement abandonné par tous ceux qui portent un diplôme en Tunisie, ce parti donne l'apparence d'une petite branche morte du parti islamiste.

Mais auprès du petit peuple totalement dépassé par toute cette faune politique, l'aura qu'apporte le fauteuil du Président est difficile à estimer.

 

Les divers

Nombreux mais sans intérêt sauf celui probablement d'éparpiller les voix. Certains sont inclassables comme les islamistes de gauche de l'alliance démocratique ou surtout comme le parti de Hachemi Hamdi, arrivé dans le quartet dans les précédentes élections probablement sous l'impulsion de Ben Alistes. Hachemi Hamdi, ex islamiste, ex Ben Aliste, est un présentateur télé qui n'a pas mis les pieds en Tunisie depuis la révolution.

 

Conclusion :

Heureux celui qui arrive à y voir clair. Après l'élimination de toute la classe politique au pouvoir dans un pays où il n'y avait aucun débat politique il y a quatre ans, il est sommes toutes assez normal que les partis poussent comme des champignons avec des idéologies pas totalement maitrisées. Tout le monde est devenu révolutionnaire et prétend être le seul apte à répondre à l'aspiration qui a porté le peuple à la révolution.

Le rôle des puissances Etrangères est flou. On ne sait pas exactement qui ils soutiennent et combien vaut leur amitié. Surtout que ces puissances ne semblent pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Mais il est certain que les Américains, les Français, les Qataris, les Saoudiens, les Algériens et autres pays plus ou moins amis s'intéressent à la Tunisie et aux conséquences de l'expérience Tunisienne.

Mais derrière l'uniformité des "visions et programmes" de partis aussi divers, se cache une grande uniformité dans la mentalité d'un peuple biberonné dans une culture de consensus national. Le débat politique est devenu un débat sur la forme, une simple lutte pour le pouvoir et les sièges. C'est un concours à la petite phrase et à la plus belle âme qui semble prévaloir.

Le peuple Tunisien n'est pas dupe. Il est déjà arrivé au stade du "tous pourris" en trois ans seulement. Il semble résigné à choisir le moins mauvais candidat. Ceci pour les 50% qui ont l'intention de voter.

Désemparés devant cette offre politique sens dessus dessous, dans un Black out des sondages, la majorité des Tunisiens risquent encore une fois de voter de façon totalement subjective.

A court terme, le danger que courent les Tunisiens serait de donner le pouvoir à des incompétents ou à des loups qui bêlent avec les moutons. A supposer qu'il y ait des compétents et des moutons. L'anti-parlementarisme est devenu un sentiment populaire et risque d'être exacerbé par le mercato attendu après les élections législtatives.

De toute façon, sur le plan économique, il semble que ce soit le FMI et la Banque Mondiale qui décideront de ce qu'il faut faire. Tous les partis connaissent désormais par cœur la chanson. La Banque Mondiale s'est récemment invitée dans la campagne électorale et a prêché sa bonne parole économique. Certains diront qu'elle a même présenté un candidat sérieux aux présidentielles. Une sorte de DSK mais, lui aussi, sans le côté bunga bunga. DSK est d'ailleurs venu en personne prêcher la bonne parole.


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