La folle semaine de M. Normal

par The Political Bazar
mercredi 23 mai 2012

La semaine qui vient de s'achever aura été certainement l'une des plus denses pour un Président de la République française fraichement élu. François Hollande dont on raillait l'idée même d'une candidature il y a tout juste un an, a dû faire face en sept jours à un véritable baptême du feu international, l'un des points forts unanimement reconnu de son prédécesseur. Il lui était nécessaire d'être crédible en tenant bon sur deux sujets majeurs : la croissance et le retrait des troupes en Afghanistan. Pari réussi ?

Skip the use

Le rondouillard qui quittait ses fonctions de premier secrétaire du parti socialiste en novembre 2008 dans l'indifférence absolue a fait sa mue de manière spectaculaire. Du moins, c'est l'image qu'il a su donner. Il bredouille toujours autant, mais pour beaucoup cela lui donne des airs plus posé, plus réfléchi... et plus humain, en particulier lorsqu'on en vient à le comparer à Nicolas Sarkozy. François Hollande s'est construit contre son adversaire en le renvoyant à son image trop abîmée, par une une démarcation à hauteur d'homme, à hauteur de ces électeurs qui perçoivent l'exercice du pouvoir comme une chose bien étrangère à leurs préoccupations, desserrée d'avec les principes moraux élémentaires. D'aucuns n'auront manqué de souligner une stratégie de l'évitement, sans que pourtant elle ne soit si fortement ressentie par l'opinion publique. Pourquoi ? Sans doute parce qu'il a su jouer sur deux leviers : faire miroir contrastant et déplacer le débat. Le premier a été particulièrement visible lors de la fameuse anaphore "Moi, Président de la République" (voir la vidéo) : je ne dis pas ce que je suis, je dis ce que je ne veux pas et c'est déjà une bonne manière d'exister. Cependant, cela ne peut suffire à rallier une majorité, et le score en définitive serré de l'élection présidentielle a montré que si l' "anti-sarkozysme" primaire a joué un rôle fondamental dans cette campagne, à l'heure du vote certains ont relativisé leur antipathie pour le sortant. Il faut aussi une forme de contenu. Pris entre les intérêts contradictoires des impératifs économiques conjoncturels et les nécessités de la campagne, François Hollande évite intelligemment les sujets qui fâchent, en déplaçant la focale des questions essentielles : au déficit budgétaire, il répond la croissance ; au coût du travail, la jeunesse ; aux problèmes de sécurité, la proximité et le rassemblement ; au communautarisme rampant, la reconnaissance des minorités, etc. Et pendant ce temps, la presse étrangère s'étonnera de l'absence de débats... à contre-courant de ce qui avait pu être constaté lors des autres scrutins en Europe.

Croissance, growth, Wachstum, crescita, crecimiento...

La croissance, justement, est au cœur du projet du Président élu. Pour être plus clair, elle est au cœur du projet de toutes les institutions gouvernementales et politiques à travers le globe. Forte dans les économies émergentes, elle était déjà "en panne" en Europe avant la crise et de nombreux signes de récessions sont venus obscurcir encore davantage les perspectives économiques. La stratégie de l'Europe 2020 développée par la Commission européenne avait fixée dès 2009 le cap en matière d'emploi, d'innovation, d'éducation, d'inclusion sociale et d'énergie avec pour ambition d'avoir une croissance "durable, intelligente et inclusive". Aussi lorsque François Hollande rencontre Angela Merkel, Mario Monti ou encore Barack Obama, tous connaissent déjà l'importance vitale de dépasser les fameux 1 point de croissance... Être pour la croissance, c'est comme être contre la pauvreté, c'est incontestable. Tout le problème est de savoir quels sont les moyens pour y parvenir. Les fameuses relances keynésiennes (i.e. stimuler la croissance par la dépense publique en supportant la consommation) ont rencontré des succès divergents par le passé. Certains se souviennent ainsi qu'à son arrivée au pouvoir en 1981, François Mitterand avait engagé un vaste programme de grands travaux et de réformes débouchant sur une récession sans précédent dès 1983. Mais le modèle de François Hollande semble se trouver de l'autre côté de l'Atlantique, du côté de Franklin D. Roosevelt avec, peut-être, pour ambition d'offrir à notre pays un "New Deal" la française ? Il y a certes des similitudes historico-économiques dans les conditions d'accès au pouvoir des deux hommes, une proximité évidente en matière de programme volontariste et interventionniste, même les choix des noms ne sont pas anodins - le Ministère du Redressement productif ne fait-il pas echo au National Industrial Recovery Act ?. A ceci près que le Président américain lors des premiers cent jours de son mandat avait fixé pour règle l'équilibre budgétaire, diminué le salaire des fonctionnaires et réduit les pensions de retraite pour les vétérans (-40% !). En d'autres termes, si l'ensemble des gouvernants s'accordent sur la nécessité absolue de croissance, à l'heure où le monde occidental rencontre une crise inégalée de la dette, la question demeure de savoir comment y parvenir. Entre prudence budgétaire ou stimulation par la dépense, il est fort à parier que l'étroitesse des marges de manœuvre laissée par les marchés financiers pèsera fortement dans les choix d'après les noces entre le Président et le peuple de France.

Should we stay or should I go ?

Toujours est-il que François Hollande a gagné son premier pari en se présentant comme l' "homme de la croissance et de l'espérance". De cette semaine on retiendra l'accord diplomatique autour de son sujet - la croissance - quand bien même cela recouvrirait des réalités tout à fait divergentes. Il ne lui restait qu'une dernière chose pour boucler la boucle : acter le retrait des troupes françaises postées en Afghanistan. Les tensions grandissantes sur le terrain entre les forces de l'Alliance et le peuple de la région ont certainement autant pesé que la volonté tout à fait légitime de ne pas froisser le nouveau Président français en acceptant sans heurt le retrait anticipé de nos soldats. En contrepartie, la France s'engage à soutenir financièrement le pays (environ USD 200 millions) notamment en continuant les actions de formation, et surtout elle confirme son soutien du bouclier antimissile européen. Rien d'exceptionnel si ce n'est le sentiment diffus pour certains de voir la France ne pas respecter ses engagements à l'international pour ménager les promesses électorales. Much Ado about nothing, et les media français s'empressent de souligner le jeu gagnant du Président élu. C'est tout l'art politique de savoir présenter les choses. Dans le jeu déterminant de la com', François a eu tout bon.


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